Ou La vie c’est toi
Chapitre 1 : Rencontre
Il est 20 heures. Dam est planté devant son ordinateur depuis douze heures, comme chaque jour depuis qu’il habite à Paris. Il peaufine une maquette graphique, conscient qu’elle ne lui rapportera presque rien, voire rien du tout. Son parcours professionnel le désespère. Des années d’apprentissage, de communication, de métamorphoses et d’expériences diverses pour se retrouver dans un désert absolu, paradoxe cruel de la capitale monstrueuse. Fatigué, il soupire longuement, laissant échapper l’espoir ténu d’une surprise.
Le téléphone sonne, brisant la monotonie. C’est Jaw, son ami d’enfance, qui l’appelle depuis le Portugal. Il est au festival Off du Boom Festival, et d’après lui, il se prélasse au bord du lac Idanha-A-Nova, bercé par des sons techno dans une oasis de bonheur. Jaw l’invite à le rejoindre, certain que cela plaira à Dam.
Dam, encore hésitant, ouvre deux pages internet : une pour consulter les informations sur le Boom, l’autre pour vérifier l’état de son compte en banque. Ce dernier lui chuchote : « C’est risqué. » Les images, elles, semblent hurler : « Viens ! » D’un clic, il ferme la page de son compte, puis en ouvre une autre pour consulter les horaires d’avion. Un vol décolle le lendemain à 7h30. Décidé, il achète son billet et annonce à Jaw qu’il sera là dès le lendemain soir.
— Comment je vous trouve au Off ? — Facile ! On est le campement avec un drapeau de pirate, tu ne peux pas nous louper ! — Yes, à deum mon gros, merci pour l’invite !
Après avoir raccroché, il ressent une secousse intérieure, un mélange d’excitation et de vertige. Partir sur un coup de tête lui donne l’impression de briser ses chaînes. Il organise son départ, prépare son sac, fume, puis s’endort, porté par l’idée d’une aventure imminente.
Départ tumultueux
À 5h30, le réveil sonne. Dam bondit de son lit, se prépare en vitesse, et s’engouffre dans le métro. À peine arrivé, il découvre que la ligne est suspendue. Normal. Déterminé, il court de Métro Crimée à Gare de l’Est, traverse les rues encore endormies, et attrape la ligne 4 de justesse. Essoufflé, mais soulagé, il arrive à temps pour l’embarquement. L’avion décolle et l’emmène vers Lisbonne, où il foule pour la première fois le sol portugais.
Dans l’aéroport bondé, il se laisse guider par l’effervescence des festivaliers qui se dirigent vers le Boom On. Il embarque dans un bus spécialement affrété, l’ambiance bon enfant et les maquillages colorés des passagers ajoutant à l’atmosphère. Le terminus se fait devant deux immenses portes ornées des panneaux « Achat Badges » et « Déjà Badgé ». Une queue interminable se forme devant la première, mais Dam se dirige instinctivement vers la seconde, vide et ouverte. Aucun contrôle ne l’arrête. Ça passe.
2 » L’arrivée au Off
Il est 16 heures, et Dam se retrouve au cœur du festival principal. Le silence ambiant l’intrigue. À sa question sur l’absence de son, un passant lui répond que la sono sera branchée à 17 heures. Dam en profite pour demander son chemin vers le Off. « Tu vois le lac ? C’est de l’autre côté. Mais ce lac est en étoile, ça risque de te prendre du temps. »
Dam traverse le festival, un brin fébrile. En atteignant l’extrémité, il tombe sur deux gars en quad, manifestement détendus par des substances relaxantes. Il tente une négociation.
— Hé, vous pourriez me déposer au Off ? Je peux payer. Les deux gars scrutent son poignet, remarquent l’absence de bracelet, puis échangent un regard complice avant de rire. — Hé mec, comment t’es entré ? — Par la porte… répond Dam, un sourire en coin.
Amusés, ils lui expliquent qu’ils ne peuvent pas l’aider, mais il finit par monter dans une voiture conduite par des Espagnols, qui partent justement dans cette direction. Le voyage est rapide, et le paysage qui défile lui donne déjà un avant-goût de liberté.
Arrivé au Off, Dam est ravi. Il remercie chaleureusement ses conducteurs, puis se précipite vers le premier mur de Son qu’il trouve. Les basses résonnent dans son corps, lui insufflant une énergie nouvelle.
Chapitre 2 : Retrouvailles
Alors que la nuit tombe, il décide qu’il est temps de retrouver Jaw et poser son sac. Il progresse dans le festival, naviguant entre les campements, chaque camion arborant un drapeau de pirate. Mais l’abondance de ces symboles semble se moquer de lui. Il marche longtemps avant d’apercevoir, enfin, le dernier campement, et au-dessus, le drapeau tant attendu. Jaw se tient là, l’ayant déjà repéré. Il avance vers lui avec un sourire large, bras ouverts pour l’accueillir.
Le spectacle derrière Jaw est somptueux. Le soleil se couche sur les collines et le lac, peignant le ciel de teintes d’or et d’orange. Ce soir-là, Dam rencontre Ciboulette, Fanfan, Romarin, Mu, et Pample. La chaleur des retrouvailles fait briller les visages, et l’aventure ne fait que commencer.
Le matin des brumes et la tentation du Boom On
Au lendemain, enveloppés dans une brume majestueuse qui s’élève du lac, le groupe profite d’une douche matinale. Les échos du Boom On traversent l’eau calme, un ronflement sourd et profond, comme une promesse de fête. Ce son, à lui seul, est une invitation irrésistible. Tous ressentent l’appel, et c’est décidé : ils s’y infiltreront, tels des renards, une fois la nuit tombée.
Ils s’entassent à sept dans une voiture, excités et confiants. Mais l’euphorie les emporte, et l’erreur fatale est commise : ils consomment des drogues avant même de partir. À mesure que la substance monte, leurs idées s’embrouillent, et ce qui semblait être une stratégie de pénétration efficace devient une improvisation floue. L’organisation du Boom On est impitoyable : des vigiles postés partout, surveillant chaque recoin. Après plusieurs tentatives infructueuses, ils doivent admettre leur défaite. Malgré l’échec, l’humeur reste joyeuse. Riant de leurs maladresses, ils retournent au campement du Off, prêts à poursuivre la soirée.
Rencontre avec le géant adorable
De retour dans le tecknival, ils déambulent au gré des sons et des lumières. Le groupe s’arrête lorsqu’il croise un homme gigantesque, massif, qui semble appartenir à une autre dimension. Il fait bien quatre fois la taille de Mu en hauteur et en largeur. C’est la première fois qu’elle expérimente la MDMA, et elle est irrésistiblement attirée par cet être qu’elle perçoit comme un Ogre-Géant protecteur. Mu s’approche doucement, presque instinctivement, et pose sa tête contre son bras. Elle se sent comme un petit être fragile abrité par une force colossale.
Le garçon ne semble pas gêné, mais Mu capte les regards complices et accusateurs de Dam et Jaw. Leur sourire, teinté de malice, lui rappelle l’effet de la drogue. Elle rit, un peu gênée. La soirée continue dans une ambiance légère et pleine de fous rires.
Une deuxième tentative : la détermination renaît
Au réveil, la discussion tourne rapidement autour d’une nouvelle tentative d’infiltration. Pample, déterminée, galvanise les troupes : — Hier, on n’était pas assez DETERMINE. Ce soir, on va y arriver !
Ils réduisent leur groupe à trois : Pample, Dam, et Mu. La nuit tombée, ils garent la voiture en sous-bois et commencent leur ascension de la colline qui sépare la route du Boom On. Dam mène l’expédition, adoptant une démarche quasi militaire. Ses baskets solides tranchent avec les tongs des filles, qui souffrent à chaque ronce ou caillou.
La progression est ardue. Par moments, ils doivent se tapir au sol pour éviter les lampes torches des vigiles. Chaque bruit de craquement dans la forêt fait bondir leur cœur. Après plusieurs hésitations, oscillant entre abandon et persévérance, ils atteignent enfin le sommet. La vue est spectaculaire : sous une lune pleine, le festival s’étend comme un joyau scintillant au milieu de l’obscurité.
Ils descendent prudemment, choisissant un point stratégique pour pénétrer le périmètre. Lorsqu’ils traversent finalement la dernière ligne invisible, une explosion de joie secoue Dam : — Ça y est, on est dedans ! Maintenant, on peut se lâcher. Qui veut quoi ? J’ai du LSD et de la mescaline !
Pample accepte une micro-pointe de LSD et un buvard de mescaline, tandis que Mu préfère rester sobre.
Plongée dans un autre univers
Le groupe se perd rapidement dans l’immensité du festival. Dam, dans un état de transe euphorique, file vers le mur de son. Les filles restent en retrait, se laissant imprégner par l’atmosphère vivante et colorée. L’endroit ressemble à une cour de récréation géante, où chacun trouve naturellement sa place.
Le produit commence à monter chez Pample, qui ferme les yeux et se balance doucement, un sourire béat sur le visage. Mu, en revanche, se sent en décalage. La musique ne l’inspire pas, et son esprit reste trop lucide. Elle décide de chercher Dam. Elle le trouve non loin, au centre de la foule, complètement dans son élément, libre et exalté.
Pour le jeune homme, la perche bat son plein, il est dans un vaisseau spatial et court sur le dance floor en dessinant un triangle isocèle dans lequel il retrouve à chaque angle un personnage emblématique de la famille humaine à qui il balance à la volée quelques mots. Un point c’est le comptable ordonné, impassible, il lui lance au passage :
“Impeccable, c’est la base.” ; à un autre coin il croise le business man luxuriant : “A l’Or, à l’heure les affaires ?” ; encore à l’autre coin il voit l’artiste : “Mais pourquoi ? Me direz vous. » ; puis un professeur : “Hè, prof ? Ca propagande ?”… Comme à chaque fois qu’il consomme pas mal, il a l’impression d’être extra lucide, de comprendre toute l’évidence de la réalité, sûr de son signal.
Puisque les magnifiques colonnes de “Funktion One” trônent déversant le torrent de son psychedélique, les sourires fusent, les gens dansent à fond dans la fête sans retenue. C’est un bain de bonheur, Dam ressent la perfection. Il ferme les yeux et l’arc en ciel des hallucinations continue, il se voit changer d’environnement. C’est puissant. Il vacille et tente de se rattraper à ce qu’il peut, il a une femme dans les bras qui lui sourit et se transforme en tous les visages de femmes possibles. Il teste les limites du réel, court, saute, comme s’il cherchait une autre dimension.
Une balade sous la Voie Lactée
Tantôt éclairées par des lanternes, tantôt par la Voie Lactée, Mu et Pample se promènent, explorant les différents espaces chill du festival. L’endroit est vaste et parfaitement conçu, offrant des coins de détente et des zones vibrantes. Elles s’arrêtent un moment, un peu à l’écart du son principal, pour se poser. Un garçon sous MD s’allonge près d’elles, fasciné par leurs chevilles qu’il commence à masser. Son sourire est si large qu’il en devient contagieux. Elles rient et le laissent faire.
Une silhouette bondissante surgit. Dam, dans un état second, s’écroule en étoile à leurs pieds. Après un instant de respiration, ensemble, ils décident de continuer leur exploration.
Une communion étrange et inoubliable
Dam s’allonge sur une butte offrant une vue panoramique sur le festival. Mu, frigorifiée, se love contre lui. — J’ai froid, dit-elle simplement. Dam la regarde, mais ce qu’il voit est tout autre. Dans son esprit, elle devient un squelette de pierre, puis une étoile, puis un océan. son visage est un génie créatif qui habite les éléments et joue à fabriquer et déconstruire l’univers comme un démiurge tout puissant. Lorsqu’elle propose : — On va faire un tour ? Dam interprète cette phrase comme une invitation à recréer l’univers une fois de plus pour le Fun.
Dans un ultime effort, la respiration ralentie par cette montée hallucinante, il renonce en la regardant disparaître dans un horizon de chaleur, un désert où sa silhouette ondule jusqu’à disparaître dans l’immensité du panorama comme pour dire : “Je suis le tout”.
—
Quand elle revient, pour Dam la poussée de la drogue s’est stabilisée, il vient tout juste de quitter la butte pour aller rejoindre le son, Mu s’assoit à ce même endroit et le regarde parcourir une longue distance sautillant à larges enjambées, léger comme une plume jusqu’à le perdre de vue au travers des couleurs de la foule.
Les filles profitent du soleil et discutent pendant toute l’après midi en alternant bain de Son et bain dans le lac.
La fin de l’après-midi approche et ils doivent partir pour rendre la voiture qu’ils ont empruntée à Ciboulette. Mu part prévenir Dam qui est retourné danser dans une ambiance parfaite, noyé dans un Son épique, sourire jusqu’au oreilles.
Avant de partir, Dam boit dans une bouteille d’eau chaude, abandonnée sur le sol. Mu, observant cet étrange garçon, ne peut s’empêcher de penser : « Je ne le comprendrai jamais. »
Chapitre 3 : L’au-revoir et l’éveil
À la sortie du Boom, ils montent dans une voiture qui les ramène à l’endroit où leur propre véhicule attend dans les sous-bois. Les souvenirs de la nuit s’entrechoquent dans leurs esprits, flous mais chargés d’émotions. Ils roulent jusqu’au village d’Idanha-A-Nova, où le seul supermarché semble être un lieu hors du temps, contrastant avec l’intensité du festival. Après quelques courses rapides, ils retournent au BOOM Off, retrouvant le confort familier de leur campement et des visages amicaux.
Les jours suivants s’écoulent dans une parenthèse lumineuse, entre rires et danses sous un ciel constellé. Les nuits étoilées s’étirent à l’infini, rythmées par les basses hypnotiques et la douce chaleur de l’absinthe. Le lac, toujours accueillant, offre une fraîcheur apaisante, tandis que l’ombre des arbres devient le théâtre de conversations inattendues, riches et légères à la fois. Dans cette bulle suspendue, le quotidien semble s’effacer, remplacé par une autre réalité, plus simple, plus essentielle.
Pour Dam, cependant, l’échappée touche déjà à sa fin. Au petit matin, il prépare son départ, et une étrange gravité flotte entre lui et Mu. Leurs regards se croisent, remplis d’une émotion difficile à nommer. Ils se serrent dans les bras, longuement, comme pour sceller un moment qu’ils ne comprennent pas tout à fait. Une force magnétique circule entre eux, étrange et puissante, quelque chose d’indéfinissable mais de profondément réel.
— À bientôt, murmure Dam avec un sourire. Mu le regarde s’éloigner, sautillant légèrement, presque aérien, comme une plume portée par le vent. Il disparaît au loin, laissant un vide qu’elle ne peut encore nommer.
La libération et le plongeon
La drogue avait toujours été une frontière pour Mu, un territoire inconnu qu’elle avait scruté de loin avec crainte et fascination. Mais à quelques années de la trentaine, une pensée s’impose : peut-elle partir sans jamais avoir franchi cette limite ? Ce soir-là, elle décide d’explorer l’inconnu. Elle avale un gros parachute – un mélange de speed et de MDMA – emballé dans une feuille de papier à rouler.
Elle se dirige vers le mur de son, le cœur battant. Les premières vibrations des basses s’emparent de son corps. Peu à peu, elle perd tout contrôle. Les mouvements ne lui appartiennent plus. Son corps devient un langage, une histoire vivante qui s’écrit d’elle-même. Rapide, fluide, il raconte sans retenue l’histoire de l’humanité : les luttes, les pleurs, les surprises, la naissance et la mort, l’évolution incessante. Ses mains, comme habitées par une force inconnue, expriment des vérités qu’elle ne savait pas porter en elle. Chaque geste est un cri, un souffle, un murmure universel.
Elle tourne la tête vers les autres danseurs. Eux aussi semblent raconter cette histoire collective, par des pas qui scandent la marche terrestre. Certains la regardent, fascinés, presque hypnotisés. Elle se demande avec une pointe d’angoisse : « À quoi est-ce que je ressemble ? » Mais ceux qui la reconnaissent lui offrent des sourires bienveillants, comme s’ils comprenaient et vivaient avec elle cette épopée intérieure.
Pour Mu, ce moment est une révélation. Elle découvre pour la première fois la puissance libératrice du « laisser-aller », cette sensation d’abandon total où l’on cesse d’être et où l’on devient tout. C’est magique. Fabuleux. L’instant s’inscrit profondément en elle, gravé comme une mémoire vibrante et indélébile.
La marionnette et la mythologie
Quelques jours plus tard, alors qu’elle s’apprête à repartir pour Paris, quelqu’un lui fait une remarque curieuse : on lui dit qu’elle ressemble traits pour traits à une marionnette de bois en vente dans le campement. Ces mots la frappent, résonnant avec une vérité qu’elle ne peut ignorer. Une marionnette, c’est exactement ce qu’elle s’est sentie être ce soir-là, au cœur du dancefloor, à la merci d’une force qui semblait guider ses mouvements.
Rupture
De retour du Boom Festival, Mu et Dam entament une relation intense mais chaotique. Après un pic-nique aux Buttes Chaumont, Mu quitte son appartement pour s’installer chez Dam. Sous l’influence de substances, Mu découvre la peinture, mais les hauts créatifs côtoient des bas émotionnels. Leurs personnalités contrastées et des difficultés de communication mènent à une ambiance souvent morose. Six mois plus tard, ils emménagent à la Cité des Arts, où Mu se consacre à la peinture et Dam à la musique. Le couple finit par se séparer, laissant un goût amer.Dam reste encore quelque temps à Paris avant de partir en Inde, espérant y jouer sa musique. Après un séjour solitaire à Goa, il revient en France, marqué par un l’écoeurement de vivre.
Plus d’un an passe et Dam cherche à racheter du matériel musical et louer une maison. Il reprend confiance et recontacte Mu, absente de sa vie depuis la rupture.
Elle accepte de renouer. Ensemble, ils emménagent dans la maison de la grand mère de Mu, prêts à tenter une nouvelle aventure commune.
Le déclencheur du Récit
Une semaine hors du réel : le plongeon dans l’improbable
Profitant d’une semaine de solitude dans la maison, Dam décide de plonger tête première dans une expérience hallucinatoire démesurée. Il se cale une « perche géante » en consommant, toutes les quelques heures, des drops de champignons mexicains écrasés. Seul maître à bord, il joue à supprimer méthodiquement ses repères : le temps, les frontières, la logique. Il s’enferme dans son studio, dont les murs tapissés de mousse acoustique deviennent la matrice de son voyage intérieur. Là, il fait du son, griffonne frénétiquement, parle à sa webcam comme si elle était une oracle et se laisse emporter dans une quête délirante : comprendre ce que signifie « devenir fou » et, peut-être, en revenir avec des éclats de création pure.
Son esprit part en état de folie exaltée, il touche une mythologie étrange et pourtant viscéralement humaine, un monde conceptuel où tout est symbole. Il aperçoit, par exemple, « l’Esprit du Vent », un personnage qui retrouve des souvenirs enfermés au fond d’une bouteille perdue au milieu des océans. Ce souvenir se révèle être un « Vaisseau-boîte-à-musique » qui chante l’histoire des aventures passées du vent, lui apprenant qu’il fut, tour à tour, tous les personnages du totem de la vie. Ce monde est peuplé d’histoires bizarres, oscillant entre poésie pure et science-fiction surréaliste, où les notions mêmes de temps et d’identité se dissolvent.
Le retour à la réalité (ou presque)
Quand Mu revient, elle découvre un Dam méconnaissable. Il a dessiné au stylo bic sur tout son corps, esquissant ce qu’il appelle « le totem vital », une tentative de capturer les formes subtiles de l’existence. Il parle à toute vitesse, ses pensées jaillissant dans un chaos incontrôlable. Incapable de faire face seule, Mu appelle Jaw et Ciboulette à la rescousse. Le constat est unanime : il faut « le dépercher ». Direction les urgences psychiatriques.
Dam passe une semaine en observation, puis est transféré dans un centre psychiatrique installé dans une ancienne base militaire désaffectée. Le lieu est sinistre, délabré, presque absurde dans son incohérence. La nuit qu’il y passe est une caricature d’humanité. Son voisin de lit gémit et flatule sans interruption. Un autre patient se chie dessus volontairement, un troisième hurle sans raison, tandis qu’une femme passe son temps à justifier qu’elle n’est pas folle. Dam, en robe de chambre synthétique mauve et pieds enveloppés dans des sacs plastiques remplis de papier toilette pour contre le froid car le centre n’avait même pas de vêtements de rechange c’est tout ce qu’il avait trouvé, explore les lieux comme un anthropologue dans une dystopie. Il fouille des bureaux, compose une chanson grotesque au crayon à papier et engage une discussion avec un homme convaincu d’être un descendant important des Francs-Maçons. Chaque détail, chaque interaction semble appartenir à une pièce de théâtre absurde.
L’émergence d’un conte mystique
Cette plongée improbable marque la fin définitive de sa « perche », mais Dam en revient avec un étonnant sentiment d’accomplissement. Il a traversé un conte mystique, une sorte d’odyssée intérieure dont il est persuadé de pouvoir tirer un matériau créatif.
Dans les jours qui suivent, il retranscrit ses visions pour Mu. Les notes, dessins, et bribes de récits qu’il a ramenés forment les bases d’un projet unique.
Dam propose d’en faire un conte allégorique sur l’existence, une histoire où les forces de l’univers deviennent des personnages à part entière.
Mu, séduite par l’idée, y voit un terrain fertile pour une collaboration. Plus méthodique que Dam, elle organise le flot chaotique de ses idées et y ajoute ses propres contributions. Ensemble, ils imaginent auto-produire ce projet : Dam s’occupe de l’infographie, Mu peaufine l’écriture, et ils envisagent de publier en ligne ou de chercher un éditeur. Le projet, baptisé « L’Oeil du Mystère », devient un rituel quotidien. Chaque matin, ils s’installent pour écrire, explorant ensemble les frontières du réel et de l’imaginaire.
Chapitre 4 Concevoir le scénario :
- entre Mythe et Réalité
Les mythes : héritage et miroir du monde
Un mythe, c’est avant tout un récit légendaire où des personnages imaginaires, souvent allégoriques, traversent des épreuves. Au fil du temps, ces histoires se chargent de merveilleux et se déforment, mais restent profondément révélatrices : elles renferment les peurs, les rêves, et la philosophie des générations qui les transmettent.
Pour Dam, les mythes ont d’abord la saveur des contes de fées lus par sa mère. Plus tard, une autre mythologie se révèle à lui : l’univers de la teuf (milieu techno underground, collectif et vibrant). Là, il ressent la puissance des basses, la foule qui danse à l’unisson, et imagine un « super-organisme » : une entité plus vaste dont chaque être, chaque danseur, est comme une cellule en résonance infinie.
Question centrale : peut-on dialoguer avec ces macro-organismes ? Et si oui, que leur dire ?Dam s’avance avec deux outils :
1 L’analyse (sensible, expérimentale, intellectuelle)
2 L’ignorance assumée (toute connaissance dépend d’un point de vue, on ne peut pas tout saisir à la fois)
La conscience comme miroir
Pour Dam, la conscience est un miroir : d’abord, elle reflète le monde extérieur (on se sait « exister »), puis elle s’élargit à autrui, à l’inconnu, créant un arbre infini de réflexions. Ce processus est dynamique, comme des branches qui ne cessent de grandir vers un ciel sans limites.
Toujours en quête de sens, Dam expérimente des « environnements de synthèse » – images 3D, musique assistée par ordinateur – pour manipuler l’espace, le temps, la matière. L’idée : recréer les mécanismes fondamentaux de l’univers dans un cadre contrôlé. Ces simulations sont imparfaites, mais elles reflètent une essence des forces qui l’obsèdent.
Note : Ces environnements préfigurent aussi l’adaptation des robots, façonnés par l’humanité pour cohabiter avec elle, parfois sans qu’on en ait vraiment conscience.
La trame du scénario : un être éveillé
Au fil de leurs discussions, Dam et Mu imaginent une histoire simple, mais symbolique :
« Un être s’éveille à lui-même, prend conscience de son existence et cherche un sens. Dans cette quête, il découvre qu’il vit… dans l’imagination d’un lecteur. »
De cette révélation naît un dialogue entre l’être et le lecteur — autrement dit, entre existence et conscience. C’est cette relation qui va permettre la transformation du personnage.
Idée fondamentale :
Chaque expérience, chaque information n’existe que par la personne qui l’éprouve. Le lecteur, en lisant, fait exister l’histoire et en devient presque « Dieu » l’espace d’un instant. Sans lecteur, point d’histoire.
Pour rendre tangible ce concept, Dam et Mu conçoivent des personnages qui incarnent des émotions humaines primordiales, comme des archétypes. Ces allégories prennent vie dans un « monde théorique » (source de toute création) qui enfante le monde physique.
Exemple : avant de fabriquer un objet, on le conçoit d’abord dans l’imaginaire, puis on le matérialise.
Du RIEN au TOUT, la boucle de la vie
La vie suit un cycle :
1 RIEN → 2. Monde théorique (imagination) → 3. Monde physique (présent) → 4. Monde futur (fantasme)
Chacun de ces quatre stades fait écho à un principe :
« Il y a quelque chose → Je sens → Je suis → Je partage → Je laisse une trace → Cette trace prend vie et ressent à son tour. »
Deux forces se révèlent :
• Le TOUT (tout ce qui existe)
• Le RIEN (l’absence, le support invisible d’où tout émerge)
Leur tension perpétuelle engendre la diversité : mouvement, transformation, création.
La polarité masculin / féminin : clé d’une énergie créatrice
Dam et Mu observent une dynamique essentielle entre deux polarités primordiales : le masculin et le féminin, qui se reflètent dans la nature, les relations humaines, et même dans la structure même de leur histoire.
• Masculin (yang) : force d’expansion, d’exploration, poussant vers l’interaction et la conquête.
• Féminin (yin) : force d’accueil, d’intégration, harmonisant ce qui est déjà présent, le transformant en un équilibre cohérent.
Quand cette polarité fonctionne en osmose, on optimise la transformation énergétique dans une relation ou une société. Et la nature prouve souvent cette complémentarité :
ex. Maximiser l’effort collectif, maintenir la diversité et l’adaptabilité, etc.
Une structure narrative en trois plans
Le récit imaginé par Dam et Mu se déploie sur trois plans :
1 Le plan théorique (monde des symboles et de l’imagination)
2 Le plan du présent (monde réel et concret)
3 Le plan du futur (projections, rêves, fantasmes)
Le présent agit comme point d’équilibre où le RIEN devient force d’expansion. On pourrait comparer ces trois plans à un prisme :
• Le monde réel = le faisceau lumineux,
• Le monde théorique = les couleurs individuelles,
• Le monde futur = leur projection dans l’environnement.
L’histoire comme miroir
Dans ce scénario, la séparation des forces se symbolise par la Reine et le Roi (féminin/masculin) du « monde théorique ». Un jour, la Reine jette à la face du Roi une énigme :
« Pourquoi ? »
ou « L’Ordre du Palais ? »
Cette question agit comme un déclencheur, mettant en mouvement l’ensemble du récit. Elle pousse les personnages (et même le lecteur) à chercher une réponse, à traverser divers mondes et affronter leurs dualités. Car ce « Pourquoi ? » est la source même de l’aventure, l’étincelle qui génère histoires, dimensions et rencontres.
En somme, c’est toute la vie : un mélange subtil de RIEN, de TOUT, de polarités qui s’attirent et se complètent, et d’une conscience qui se cherche, se questionne, pour finalement se transformer.
Dam était assis en tailleur au milieu d’une pièce chaotique. Des monticules de feuilles de papier griffonnées s’empilaient autour de lui. Chaque feuille portait un mot ou une idée centrale inscrite en lettres capitales : « Énergie », « Temps », « Unité », « Fréquence », « Masse ». Les définitions précises s’étendaient en notes serrées, des flèches reliaient des concepts, et certaines annotations semblaient évoquer une logique mystérieuse reliant musique et physique.
Il était fatigué, les cernes marquant son visage. Pourtant, son regard brillait d’une intensité étrange. « Tout est écrit dans la musique, » murmura-t-il. « Les harmoniques, les fréquences… Ce n’est pas juste une métaphore. C’est là que la réalité se replie sur elle-même. »
Mu ouvrit la porte doucement, observant ce spectacle. Elle hésita un instant avant de parler. « Dam, tu passes encore toute la nuit là-dessus ? »
Il releva à peine les yeux, absorbé par une feuille qu’il tenait. « Je n’ai pas le choix, Mu. Je suis si proche… Si proche. »
Elle s’approcha, examinant l’un des diagrammes complexes. « Explique-moi, » dit-elle doucement.
Dam respira profondément, sa voix oscillant entre fatigue et passion. « Trois variables : dynamique, substance, espace-temps. Chaque chose, chaque interaction dans cet univers peut être ramenée à ces trois notions. Mais ce n’est pas juste une question de comprendre. Il faut les interfacer, les plier ensemble. Comme une partition musicale. »
Il attrapa deux feuilles : l’une marquée « Fréquence », l’autre « Structure ». « Regarde. Les notes, les concepts, les interactions… tout résonne. Il y a un accord fondamental, un équilibre que je ne parviens pas à saisir. » Sa voix se brisa légèrement. « Mais c’est là. Juste hors de portée. Comme si la nature elle-même se protégeait, ne voulant pas qu’on la voie. »
Mu posa une main sur son épaule. « Et si la clé n’était pas de tout comprendre, mais de ressentir cette harmonie ? »
Dam la regarda, un éclat mélancolique dans les yeux. « Peut-être… Mais si je pouvais assembler tout cela, Mu, si je pouvais revenir à la source… ça peut être une porte, on pourrait peut être traverser la porte des mondes et retrouver le notre.
On va attribuer une note à chaque personnage et les faire jouer sur la partition de l’histoire, si je ne me trompe pas, il suffira de les regarder danser pour les écrire la narration avec eux dans l’absolue du présent. L’histoire est là déjà écrire, j’entends toutes les bribes d’accords et figures qui semblent éclatés dans le potentiel sous-jacent. Toi et Moi nous avons juste à vivre cette aventure comme pleinement réelle, comme notre histoire, la seule, qui se répète dans l’infini des variations du possible.
Mu et Dam, assis à la terrasse d’un café, discutent devant quelques notes griffonnées sur un carnet.
Mu (feuilletant les pages) :
J’ai vu tes schémas sur la dynamique, la substance et l’espace-temps… Mais tu sais que j’ai du mal à tout connecter. Tu peux m’expliquer plus simplement ?
Dam (souriant) :
Bien sûr. Tu vois, je cherchais un moyen de résumer toute la complexité du monde en quelques notions de base. Finalement, je suis arrivé à trois variables : la dynamique, la substance et l’espace-temps.
Mu (curieuse) :
D’accord, mais pourquoi celles-là et pas d’autres ?
Dam (montrant un premier croquis) :
Parce que tout ce qui se passe dans l’univers — du mouvement des planètes à la vie de nos idées — peut se réduire à ce trio.
1 La dynamique, c’est l’énergie en mouvement : les forces, la vitesse, l’évolution.
2 La substance, c’est la matière, mais aussi les données, les concepts. Bref, ce qui est.
3 L’espace-temps, enfin, c’est le cadre universel : la toile où tout se produit.
Mu (parcourant le schéma) :
Je vois : dynamique = « moteur du changement », substance = « contenu », et l’espace-temps = « terrain de jeu ».
Dam :
Exact. Et l’astuce, c’est de quantifier ces variables pour mieux comprendre ou simuler n’importe quel système.
Mu :
Quantifier ? On parle de nombres ?
Dam (hoche la tête) :
Oui. Par exemple, pour la dynamique, je peux mesurer l’énergie, la force ou la vitesse d’un phénomène.
Pour la substance, je peux estimer la masse, le nombre de composants, la complexité d’une idée.
Pour l’espace-temps, je me renseigne sur les distances, les durées, ou l’échelle utilisée.
Mu (lève un sourcil) :
Et tu appliques ça à quoi ?
Dam (change de page) :
À plein de choses. Disons que si je veux analyser un système social, ou un écosystème, ou même un projet créatif, je regarde :
1 Quelles dynamiques (flux d’énergie, mouvements, interactions) s’y jouent ?
2 Quelle substance (ressources concrètes, idées, entités) je manipule ?
3 Quel cadre d’espace-temps (long terme, court terme, étendu, restreint) je prends en compte ?
Mu (frappant la table, enthousiaste) :
Et tu fais des simulations ?
Dam (rit doucement) :
Exactement. Je peux tester : si je modifie la dynamique, qu’est-ce qui se passe ? Ou si j’ajoute plus de substance ? Ou si l’espace-temps est courbé, comme en relativité ?
Dans ce modèle, tout est connecté. La masse d’un objet (substance) modifie l’espace-temps, qui influence la dynamique locale… Et ça crée une boucle.
Mu (ferme le carnet, pensive) :
Donc c’est un cadre pour analyser le monde, ou même le recréer, si j’ai bien compris.
Dam :
Oui, c’est ça. On peux s’en servir pour voir plus clairement la réalité, prévoir des comportements, ou carrément inventer des solutions innovantes.
-Pour les personnages on va représenter ceux du monde théorique comme des archétypes par lesquels tous les autres personnages du récit existent en tant qu’occurence, multiplication diversifiés. On pourrait aussi utiliser les chiffres pour les représenter ces archétypes :
La reine et le roi comme des pôles primordiaux
• La Reine et le Roi sont les deux faces complémentaires d’une seule et même entité, représentant la polarité fondamentale de l’univers : l’intuition et la réflexion, l’élan et la réception, le yin et le yang.
• Leur séparation apparente crée la dynamique de la quête. C’est cette tension entre eux qui déclenche l’histoire, mais leur but ultime est de se rejoindre.
Le Chasseur : Énergie cinétique (la force en mouvement, symbolisant le moteur des transformations dans l’univers).
Le Clown : Entropie (la dispersion et le désordre qui stimulent la créativité et la nécessité d’un nouvel ordre).
Le Professeur : Transmission thermique (le transfert de connaissances, comme la chaleur qui se propage pour équilibrer un système).
L’Artisan : Travail mécanique (la transformation de l’énergie en constructions tangibles et ordonnées).
L’Artiste : Ondes vibratoires (les fréquences créant des structures esthétiques et émotionnelles, comme le son ou la lumière).
Le Comptable : État stationnaire (l’équilibre dans un système, contrôlant les flux et veillant à la conservation des ressources).
L’Ascète : Énergie potentielle (la capacité d’agir ou de transformer, mise en réserve dans un état de contemplation).
Le Patron : Flux de matière (gestion et redirection des ressources pour maintenir un système actif).
Le Clochard : Effet Joule (la dissipation d’énergie sous forme de chaleur, rappelant l’improvisation et la création spontanée).
Correspondances entre personnages archétypes et note de musique :
1 Ré (Chasseur) : Énergie dynamique.
2 Si (Clown) : Chaos et surprise.
3 Mi (Professeur) : Clarté et savoir.
4 Do (Artisan) : Construction et solidité.
5 La (Artiste) : Passion et émotion.
6 Fa (Comptable) : Équilibre et rigueur.
7 Sol♯ (Ascète) : Introspection et calme.
8 Do♯ (Patron) : Autorité et direction.
9 Ré♯ (Clochard) : Poésie et liberté.
10 Sol (Roi) et Fa♯ (Reine) : Harmonie centrale.
On garderait 2 notes de réserve… silencieuses qui symboliseraient la dualité du lecteur.
On va aussi faire un chanson qui pourra sortir du récit pour être chanté dans le monde du lecteur.
j’ai une base :
LA CHANSON DU RECIT :
[Couplet 1 : La question de la Reine]
Un matin, la Reine a dit, pourquoi ?
Le Roi, perdu, n’avait pas le choix.
Dans le miroir, l’ombre a répondu,
« Retrouves le sens de ton chemin perdu. »
[Refrain : L’égal et le miroir]
Un livre s’ouvre, un livre s’écrit,
Un monde s’efface, un monde grandit.
Tu es moi, je suis toi,
L’harmonie, c’est la loi.
[Couplet 2 : Le voyage du Roi]
Dans trois mondes, il a voyagé,
Théorie, futur, réalité.
Chaque éclat d’un miroir brisé,
Réfléchit la quête à recomposer.
[Refrain : L’égal et le miroir]
Un livre s’ouvre, un livre s’écrit,
Un monde s’efface, un monde grandit.
Tu es moi, je suis toi,
L’harmonie, c’est la loi.
[Couplet 3 : Le lecteur et la résolution]
Toi qui lis, entends cette chanson,
Chaque page est une dimension.
L’univers chante pour toi et moi,
Le tout s’unit en une seule voix.
[Refrain final : L’homéostasie]
Un livre s’ouvre, un livre s’écrit,
Un monde s’efface, un monde grandit.
Tu es moi, je suis toi,
Le cercle s’achève, la vie renaîtra.
(Reine et Roi, Sol et Fa♯)Les échos s’unissent, l’harmonie s’élève,Deux âmes se croisent dans une seule grêve.Le trône brille, le miroir vibre,Une unité renaît, un univers libre.
Refrain final :Tous les fragments d’une seule lumière,L’énergie naît d’un mystère.Dans le miroir, je te vois nous,Je suis toi et nous sommes tout.le miroir enfin d’un nouveau jour
-Mu: oui mais on pourrait intégrer les archétypes dans la chanson pour dynamiser et faire le lien avec l’histoire.
-Dam: Tu as raison, ou même leur faire une chanson chacun qui exprime ses attributs et toutes ces chansons superposés comme un totem searit la chanson du récit. cool.
Le Chasseur (Ré) : Il ouvre la chanson avec son énergie et son appel à l’aventure. Sa note Ré peut dominer dans les premières mesures, symbolisant l’impulsion initiale.
»Je suis l’élan, la flèche en feu,
Le monde avance dans mes yeux. »
Le Clown (Si) : Introduit une tension ou un jeu chaotique au milieu du premier couplet. Sa note Si peut marquer un léger déséquilibre, une surprise ou une cassure.
»Sous mes pas résonne l’éclat,
L’ombre danse, elle rit déjà. »
Le Professeur (Mi) : Arrive pour stabiliser et clarifier l’histoire, apportant un ton lumineux. La note Mi pourrait se retrouver dans le refrain comme un point de repère.
»Je trace des lignes au cœur du ciel,
Chaque étoile révèle un sel. »
L’Artisan (Do) : Représente la construction ou l’équilibre, peut-être dans un pont ou une transition musicale où la note Do devient fondamentale.
»Brique par brique, je forge le temps,
Chaque pierre éclaire le moment. »
L’Artiste (La) : Explose dans le climax émotionnel, avec une montée autour de la note La qui exprime passion et créativité.
»Ma lumière jaillit et guide la nuit,
La beauté chante dans l’infini. »
Le Comptable (Fa) : Apporte une phase plus grave, introspective, où les choix sont pesés. La note Fa soutient ce moment de réflexion.
»Un pas en avant, une balance en moi,
L’équilibre trace une voie. »
L’Ascète (Sol♯) : Introduit une touche mystique, un moment suspendu. Sa note Sol♯ pourrait marquer un ralentissement ou une transition étrange dans la mélodie.
»Je veille dans l’ombre, écoute le vent,
Une force calme guide le temps. »
Le Patron (Do♯) : S’impose dans une section puissante, dirigeante, avec une note Do♯ ascendante.
»Je donne l’ordre, je porte le poids,
Mon royaume brille dans la loi. »
Le Clochard (Ré♯) : Apporte une touche poétique et libre. La note Ré♯ pourrait être utilisée dans une coda, évoquant une fin ouverte ou un écho rêveur.
»Je vagabonde, je cueille des sons,
Mon cœur danse avec l’horizon. »
Le Roi (Sol) et La Reine (Fa♯) : Représentent l’harmonie et la tension entre l’ordre et l’expansion. Leurs notes pourraient être au centre du refrain, symbolisant leur rôle central dans l’équilibre du récit.
»Un royaume né des éclats du temps,
Unis dans l’écho du présent. »
Les idées fusent entre Mu et Dam, l’excitation est palpable et semble chauffer la pièce.
- Le miroir comme structure universelle
Le miroir, dans son état brisé, symbolise la fragmentation de l’unité. Chaque fragment reflète :
1 Les personnages : Chaque personnage est une facette de l’entité unique (le Roi et la Reine).
◦ Exemple : Le Chasseur est l’énergie en mouvement, la Fée est l’intuition, l’Ogre est la force brute.
2 Les notes : Chaque fragment est une fréquence, une note, qui vibre indépendamment mais doit s’harmoniser pour recomposer l’ensemble.
3 La narration : Chaque scène est un éclat narratif qui, lorsqu’il est relié aux autres, forme l’histoire complète.
4 Le lecteur : Chaque fragment représente une partie du lecteur : ses doutes, ses espoirs, ses questions. Le miroir recomposé est une invitation à s’unifier intérieurement.
5 L’énergie potentielle : Chaque fragment contient une tension, une possibilité. Une fois rassemblés, ils libèrent cette énergie pour créer une résolution. - Miroirs dans les scènes
Chaque scène peut inclure un fragment du miroir, physiquement ou symboliquement, pour renforcer cette idée :
-Dans le réel :
◦ Mu et Dam manipulent des fragments de miroir. Les reflets qu’ils perçoivent changent en fonction de leurs émotions ou de leurs paroles.
◦ Ces fragments apparaissent comme des morceaux incomplets de leur propre image, ou de paysages alternatifs.
-Dans le théorique :
◦ Les fragments flottent dans l’air, chaque éclat contenant une scène ou un personnage.
◦ Par exemple, le Chasseur tire une flèche, qui transperce un fragment, révélant la scène suivante.
-Dans le futuriste :
◦ Les fragments du miroir sont des écrans holographiques qui projettent des images ou des mots liés à la quête.
le miroir devient un point d’échange dynamique entre ces deux réalités :
1 Côté lecteur : Le miroir capte les fluctuations, les incertitudes et les déséquilibres propres à la conscience et au vécu du lecteur. Ces éléments nourrissent l’univers fictif.
2 Côté livre : Le livre convertit cette entropie en organisation narrative, utilisant les déséquilibres du lecteur pour enrichir son propre monde théorique, comme une machine à assembler des fragments de sens.
L’histoire du livre pourrait alors être perçue comme un processus d’auto-organisation progressif, rendu possible par cette « osmose entropique ». Cela ferait du lecteur une partie intégrante de la mécanique de l’histoire, un peu comme une lentille qui canalise la lumière chaotique pour former une image cohérente.
L’idée d’une équation égale entre les mondes ajoute une dimension fondamentale. Si l’univers du lecteur et celui du livre coexistent dans une dynamique de miroir, l’égalité devient la clé métaphysique de leur interaction. Chaque action ou désordre dans le monde du lecteur est « répercuté » ou converti dans le livre, et vice versa, mais sous des formes complémentaires.
Le chasseur agit dans le monde du livre comme l’opérateur principal de la néguentropie. Son travail consiste à organiser, recoudre, équilibrer.
Le lecteur, de l’autre côté du miroir, contribue par ses doutes, son désordre intérieur ou ses questions à injecter de l’énergie entropique dans l’univers du livre.
L’équation d’équilibre pourrait être représentée ainsi :
Entropie (lecteur) + Néguentropie (chasseur) = Réalité partagée (histoire)
Ici, « réalité partagée » représente l’unité ultime que le livre et le lecteur construisent ensemble.
il faut symboliser cette équation dans le livre par un moment-clé où le chasseur prend conscience qu’il ne recolle pas seulement les morceaux pour l’univers du livre, mais aussi pour le lecteur. Il devient alors conscient de sa fonction d’intermédiaire, reliant les deux réalités pour restaurer l’unité du miroir, un peu comme un pont entre l’entropie et la néguentropie.
Les fragments du miroir comme notes et personnages
Chaque fragment du miroir est associé à une note et à un personnage, renforçant leur connexion :
Ré (Chasseur) : Un fragment anguleux, vif, qui brille intensément lorsqu’il est en mouvement.
Si (Clown) : Un fragment irrégulier, qui renvoie des reflets déformés et joue avec la perception.
Mi (Professeur) : Un fragment stable, qui reflète des schémas ou des lignes claires, représentant la compréhension.
Do (Artisan) : Un fragment robuste et opaque, qui semble solide, incarnant la construction.
La (Artiste) : Un fragment vibrant, aux couleurs changeantes, reflétant l’émotion et la passion.
Fa (Comptable) : Un fragment équilibré, symétrique, qui renvoie un reflet précis et ordonné.
Sol♯ (Ascète) : Un fragment sombre, presque transparent, qui semble absorber la lumière, évoquant la réflexion intérieure.
Do♯ (Patron) : Un fragment imposant, brillant, qui reflète des formes nettes et autoritaires.
Ré♯ (Clochard) : Un fragment poétique, ébréché, qui scintille doucement, incarnant la liberté.
Sol (Roi) et Fa♯ (Reine) : Les fragments centraux, plus grands, autour desquels tous les autres s’assemblent.
Miroir et énergie potentielle
• Chaque fragment contient une énergie latente :
◦ Lorsqu’un fragment est manipulé, une lumière douce ou une vibration émerge, suggérant son potentiel.
◦ Plus les fragments s’assemblent, plus la lumière et l’énergie deviennent intenses, jusqu’à l’explosion finale où l’ensemble est recomposé.
• La recomposition libère l’énergie :
◦ Une fois le miroir recomposé, il devient une source de lumière ou de vibration pure. Chaque fragment contribue à cette énergie, et la résolution devient une explosion d’harmonie.
Application au lecteur
1 Chaque fragment représente une facette du lecteur :
◦ Le lecteur voit ses propres émotions et questions dans les reflets des fragments.
◦ Par exemple, un fragment reflète un doute qu’il a eu, un autre reflète une vérité qu’il cherche.
2 Le miroir recomposé devient le lecteur lui-même :
◦ À la fin, le miroir parfait montre le visage du lecteur, symbolisant qu’il est à la fois la quête et la résolution.
Application à la narration et à la chanson
• Narration : Chaque scène révèle un ou plusieurs fragments, permettant au lecteur de découvrir peu à peu leur signification.
• Chanson : Chaque couplet correspond à un fragment (une note, un personnage, une émotion), et le refrain unifie le tout.
Exemple :
• Couplet 1 (Chasseur, Ré) : « Une flèche tirée dans l’éclat de la nuit, / Chaque fragment éclaire la vie. »
• Couplet 2 (Clown, Si) : « Le chaos danse dans l’éclat brisé, / Un reflet de l’ombre cachée. »
• Refrain : « Tous les fragments, une seule lumière, / L’énergie naît d’un mystère. »
Une scène finale puissante
• Lieu : Le miroir recomposé dans une plaine infinie.
• Effet visuel : Chaque fragment s’illumine en vibrant, puis une lumière éclatante inonde la scène lorsque le dernier fragment est placé.
• Dialogue final :
◦ La Reine : « Tout était déjà là, mais il fallait voir. »
◦ Le Roi : « Et maintenant que tu vois, que vas-tu créer ? »
-Dam: On pourrait s’appuyer sur la structure du réel pour organiser le récit, par exemple utiliser la thermodynamique :
Thermodynamique du Récit : Une Collaboration Entropique
- Le Point de Départ : Un Déséquilibre Initial
Le récit débute avec l’entropie : un miroir brisé, des fragments éparpillés, et une absence de cohérence. Ce déséquilibre reflète les conflits internes des personnages, les tensions du monde narratif, et les interrogations du lecteur.
La Reine déclenche le mouvement par sa question fondamentale, le pourquoi. Cette question agit comme une source d’énergie, donnant une direction et un sens à la quête des personnages. - Les Personnages : Acteurs Néguentropiques
Tous les personnages sont néguentropiques et ont un poids égal. Chacun d’eux joue un rôle dans la réduction du désordre et dans l’organisation des fragments.
Par exemple :
Le Chasseur rassemble les fragments, incarnant le mouvement dynamique.
La Fée inspire et oriente par son intuition.
L’Ogre de Pierre stabilise, offrant la constance nécessaire.
Le Clown perturbe le récit par son chaos contrôlé, incitant à des réarrangements créatifs.
Tous agissent ensemble, dans un équilibre collectif, pour rétablir l’unité du miroir. - Le Lecteur : La Source d’Entropie
Le lecteur est un élément clé de la thermodynamique du récit :
Il apporte l’entropie, incarnée par ses doutes, ses questions, et son propre chaos intérieur. Cette entropie est absorbée par le récit, devenant une énergie brute.
En retour, le récit utilise cette énergie pour se structurer : chaque fragment devient une réponse, chaque scène une étape vers l’organisation. - La Transformation Énergétique
La Question de la Reine agit comme un catalyseur universel :
Elle incarne la faculté de transformation, posant la question essentielle du sens, que chaque personnage tente de résoudre par ses actions.
Elle dynamise le processus narratif, transformant l’énergie brute de l’entropie en une force d’organisation (négentropie).
Au fur et à mesure, les fragments du miroir se recomposent, et chaque étape rapproche le récit de son point d’équilibre. - L’Homéostasie : L’Égalité des Forces
Le récit atteint un état d’homéostasie, où :
Les personnages ont tous contribué également à rétablir l’ordre, leurs rôles individuels ayant permis une organisation globale.
Le lecteur, par son interaction, a intégré son propre chaos dans le récit, devenant un acteur du processus.
Le miroir, désormais recomposé, reflète cette unité retrouvée. Il montre non seulement l’histoire achevée, mais aussi le lecteur lui-même, symbolisant son intégration dans le récit. - Le Cycle Thermodynamique
Le récit peut être vu comme un cycle énergétique :
Entropie (Désordre) : Le miroir est brisé, le lecteur apporte ses questions.
Énergie (Transformation) : La Reine pose sa question, dynamisant les personnages.
Négentropie (Organisation) : Les personnages rassemblent les fragments, et le lecteur participe par son interaction.
Homéostasie (Équilibre) : Le miroir est recomposé, l’histoire atteint une résolution.
———
le développement de l’histoire, c’est justement l’organisation, et que cette organisation ou « néguentropie » est inversemment favorisée par l’entropie dans le monde du lecteur, donc de l’autre côté du miroir qui représente le égal de l’équation en jeux.
On pourrait imaginer que l’entropie dans le monde du lecteur (le désordre croissant ou l’absence de structure) agit comme un moteur pour la néguentropie dans l’univers du livre. Autrement dit, à chaque acte de lecture, de questionnement ou d’interprétation, le désordre « absorbé » par le lecteur contribue à organiser et structurer le monde interne de « L’Œil du Mystère ».
Dans ce cadre, le miroir devient un point d’échange dynamique entre ces deux réalités :
1 Côté lecteur : Le miroir capte les fluctuations, les incertitudes et les déséquilibres propres à la conscience et au vécu du lecteur. Ces éléments nourrissent l’univers fictif.
2 Côté livre : Le livre convertit cette entropie en organisation narrative, utilisant les déséquilibres du lecteur pour enrichir son propre monde théorique, comme une machine à assembler des fragments de sens.
L’histoire du livre pourrait alors être perçue comme un processus d’auto-organisation progressif, rendu possible par cette « osmose entropique ». Cela ferait du lecteur une partie intégrante de la mécanique de l’histoire, un peu comme une lentille qui canalise la lumière chaotique pour former une image cohérente.
le personnage du chasseur est typiquement l’acteur de la négentropie dans ce livre, puisqu’il recompose les fragments qui représentent l’entropie dans le monde du lecteur, et qui sont rassemblés par le biais du chasseur.
Le chasseur, en tant qu’agent de néguentropie, devient le catalyseur qui transforme le chaos en organisation. Il agit comme une aiguille cosmique, recousant les fragments du miroir pour recomposer un tout cohérent. Sa quête est donc double : assembler un ordre dans le livre tout en équilibrant la tension entre les deux mondes.
L’idée d’une équation égale entre les mondes ajoute une dimension fondamentale. Si l’univers du lecteur et celui du livre coexistent dans une dynamique de miroir, l’égalité devient la clé métaphysique de leur interaction. Chaque action ou désordre dans le monde du lecteur est « répercuté » ou converti dans le livre, et vice versa, mais sous des formes complémentaires.
-Mu: cool mais faut aussi rester léger c’est indigeste…
-Dam: oui.
Portés par l’effervescence de leurs idées,Mu et Dam se sentent happés par une énergie créative irrésistible. Les concepts qu’ils ont explorés — cycles, forces primordiales, oppositions — prennent vie dans leur esprit sous forme de cartes, chacune incarnant un personnage ou une force essentielle. Ces neuf personnages fondamentaux, comme l’Artiste, le Professeur, ou encore la Reine, deviennent des outils narratifs, des miroirs des émotions et des tensions humaines. À ces cartes s’ajoutent des attributs symboliques — une graine, un miroir infini, un vaisseau-boîte-à-musique — autant de clés pour naviguer dans cet univers en gestation.
Parmi ces figures, le Vent surgit avec une force particulière. Il n’est pas seulement un élément, mais une mémoire du monde, sans que lui même ne puisse rien retenir, une conscience diffuse qui traverse les mondes, transportant avec lui des fragments d’histoires et des traces oubliées. Le Vent devient un messager du temps, un souffle qui lie les personnages et les plans, un moteur invisible qui pousse le récit en avant.
Emportés par cette pression créative, Mu et Dam décident de projeter toutes ces idées dans un récit futuriste. Ce sera une fresque où ces cartes, ces attributs et le Vent interagiront dans une danse symbolique, explorant des questions profondes sur la vie, la conscience et l’imagination. Le monde qu’ils imaginent s’impose avec urgence, et chaque idée s’imbrique comme un engrenage parfait.
Ils se lancent alors dans l’écriture, le cœur battant, prêts à ouvrir une nouvelle porte dans « L’Oeil du Mystère ». Cette nouvelle partie sera à la fois une expérience narrative et un exutoire créatif, une quête pour matérialiser l’univers qu’ils sentent déjà vibrer en eux.
Lundi, 9h21. Mu et Dam, occupés à construire leur récit, sirotent un café. Entre deux gorgées, ils envisagent d’illustrer le chapitre VI, dédié à la famille, sous la forme d’un entonnoir.
Dam (enthousiaste) :
« À ce stade de l’histoire, on devrait montrer comment les personnages se rapprochent jusqu’à se superposer en un seul point. C’est le principe de l’arborescence inversée, comme remonter un arbre généalogique en superposant les nouveaux sur les anciens. »
Il souffle un rond de fumée :
« Regarde : ce rond se déploie, oui, mais imagine l’inverse. D’abord, il est disloqué et mélangé au monde, puis l’anneau se reforme en un cercle parfait. Finalement, il est aspiré par la bouche — la bouche du Lecteur. La fumée qui s’échappe, c’est l’histoire. Et quand elle entre dans la bouche du personnage, c’est la fin de l’histoire : elle est en lui. Tout ce qui était extérieur au Lecteur lui appartient maintenant.
Avant ça, quand l’anneau est parfaitement formé, c’est le chapitre VII, “Les Personnages Forment L’Anneau De La Compréhension” : un cercle bien délimité, avec un centre mû par une force unidirectionnelle. Mais attends, j’en refais un autre ! »
Dam recrée un nouveau rond de fumée.
« Tu vois, quand l’anneau, après quelques tours, laisse sortir une petite griffe de fumée qui perturbe la perfection ? C’est là que la force s’inverse. L’environnement modifie la poussée, donc la forme de l’anneau. Il se disloque sous l’effet de turbulences. Dans l’histoire, ça correspond au miroir brisé, donc aux multiples dimensions. »
Scène : Discussion autour de Bergson et du temps
Contexte : Mu et Dam, entourés de leurs notes et brouillons, sont en pleine session créative. Ils viennent de parler des cycles (entropie/négentropie, miroir, etc.) et cherchent à approfondir le concept du temps dans leur récit.
Lieu : Un salon encombré de livres et de miroirs fracturés, avec une grande fenêtre laissant passer la lumière du matin.
Mu (l’air pensif, feuilletant des pages) :
Tu sais, Dam, on s’est beaucoup appuyés sur ces cycles de l’entonnoir, du moteur à quatre temps, de l’horloge… Mais j’ai l’impression qu’on effleure à peine le vrai problème du temps, tel qu’il est vécu. J’ai repensé à Bergson, et…
Dam (qui cale un livre sous son bras) :
Henri Bergson, oui. Celui qui critique l’idée qu’on puisse tout expliquer par la science seule ?
Mu (hoche la tête) :
C’est ça. Il parle de « durée », cette conscience subjective du temps qui n’a rien à voir avec les secondes de l’horloge.
Mu sort un petit carnet où elle a noté les idées principales de Bergson.
Mu (lisant ses notes, voix douce) :
« Le temps physique », c’est le temps qu’on mesure en heures, minutes, secondes. Mais pour Bergson, c’est une simplification. Le vrai temps, celui qu’on vit, c’est la durée, un écoulement continu qu’on ne peut pas vraiment fractionner.
Dam (intéressé) :
Donc ce temps subjectif, c’est celui qu’on éprouve quand on s’ennuie et qu’une minute nous paraît interminable, ou quand on est passionné et qu’une heure file comme une seconde.
Mu (enthousiaste) :
Oui ! Et Bergson rappelle qu’on ne peut pas définir le temps par lui-même, parce qu’on finit toujours par l’expliquer avec des concepts qui supposent déjà qu’on sache ce qu’est le temps. C’est comme un cercle.
Dam (s’assoit, curieux) :
Il y a aussi cette idée que le passé « n’existe plus » et le futur « n’existe pas encore ». Bref, le présent paraît insaisissable, une frontière perpétuellement franchie.
Mu :
Exactement. Or, dans notre récit, on a ce monde « futur », ce monde « réel », et ce monde « théorique »… Chacun pourrait être une phase du temps : le passé, le présent, ou le futur. Sauf qu’en réalité, notre personnage ou le lecteur n’existe qu’au présent. Les autres temps sont déjà souvenirs ou anticipations.
Dam (tapote la table) :
C’est drôle. Ça me rappelle les cycles qu’on voulait décrire — admission, compression, explosion, échappement. En fait, Bergson nous dirait qu’on ne vit jamais qu’un maintenant : c’est l’horloge “physique” qui segmente en heures ou en chapitres. Mais notre ressenti, lui, se moque de ces découpes.
Mu (léger rire) :
Oui, et on s’acharne à enfermer le temps dans des cases, alors que dans notre histoire, le temps doit se ressentir, s’écouler. Comme le miroir brisé : on essaie de réorganiser les morceaux, alors que peut-être, le temps est déjà une coulée continue…
Dam (rêveur) :
Alors on pourrait intégrer ça à notre récit en montrant que chaque monde (réel, futuriste, théorique) n’est qu’une traduction d’un écoulement unique. Le lecteur essaie de saisir chaque fragment comme s’il “photographiait” un instant, alors que l’histoire, elle, coule sans cesse.
Dam sort un exemple au tableau
« Imagine une scène où le Chasseur — qui symbolise l’action, l’énergie — s’arrête net, incapable de saisir le “moment présent” parce que, comme Bergson le dit, il nous échappe aussitôt. »
Mu :
Magnifique. Et pour Bergson, la mémoire joue un rôle clé : le passé « existe » via la mémoire, comme des strates qui s’agrègent dans le présent.
Dam :
Ça veut dire qu’on pourrait décrire le Chasseur, ou l’Ogre, ou le Roi, chargés du passé via leurs souvenirs… Eux non plus ne maîtrisent pas le “maintenant”. Leur “durée” est unique à chacun, selon ce qu’ils ont vécu… tout en se croisant dans l’instant du récit.
Mu (sourit, ravie) :
Carrément ! On montrerait dans quelques chapitres comment leur perception du temps varie. Par exemple, le Clochard pourrait avoir une durée hyper élastique, le Comptable au contraire serait enfermé dans l’heure d’une horloge…
Dam (clin d’œil) :
…et le Lecteur, lui, pourrait ressentir encore un autre tempo, apportant son chaos, son entropie, dans l’histoire, que le récit s’efforce d’organiser. On y glisserait juste une brève allusion à Bergson, genre : “Les héros tentent de saisir le présent, mais il leur file entre les doigts, un peu comme la durée dont parlait un certain philosophe…”
Mu :
Exact. Ça rendrait la lecture plus concrète. Au lieu de professer la théorie, on la vivrait par le décalage entre la durée du Chasseur et celle, par exemple, de la Fée.
Dam (rassemble les notes) :
Alors notons : « Intégrer la vision de Bergson via la distinction temps physique / temps subjectif dans les arcs narratifs ». On pourrait même faire une mini-scène, un flashback, où quelqu’un mentionne la phrase de saint Augustin : “Si on ne me demande pas ce qu’est le temps, je le sais. Mais si on me le demande, je ne le sais plus.”
Mu (enthousiaste) :
Parfait. Ça montrera que malgré tous nos schémas, on ne peut pas totalement enfermer le temps. Ça rend l’histoire plus profonde et un brin mystérieuse.
Sans prévenir, Dam se leva brusquement, comme tiré par une force invisible. Ses gestes étaient saccadés, presque mécaniques, et pourtant étrangement fluides. Mu l’observa, intriguée. « Mais qu’est-ce qu’il fait ? » pensa-t-elle, à la fois amusée et légèrement inquiète. Il traversa la pièce en quelques pas nerveux, saisit un dictionnaire posé sur une étagère et le feuilleta frénétiquement.
« Regarde ça ! » dit-il, comme si une idée brûlante jaillissait de lui sans contrôle. « Les quatre temps du moteur thermique ! Écoute bien, Mu : »
1 Admission : L’entrée des gaz dans la chambre.
2 Compression : La réduction du volume dans la chambre.
3 Explosion : L’activation, l’énergie pure.
4 Échappement : L’expulsion, la libération.
Sa voix était animée, presque fébrile. Les mots semblaient couler de lui comme s’ils ne lui appartenaient pas. Mu le regarda, fascinée. « On dirait une marionnette », pensa-t-elle. Quelque chose ou quelqu’un semblait tirer les fils, mais qui ? Ou quoi ?
« Et ce n’est pas tout ! » continua Dam en tournant frénétiquement les pages. « Les quatre temps du galop du cheval, c’est exactement pareil ! C’est un cycle, comme si toute chose fonctionnait sur ce modèle. » Il eut un instant de pause, ses doigts figés sur une page, avant de lancer : « Regarde encore ici, dans la natation. Les quatre temps de la brasse. C’est partout, Mu, c’est une mécanique universelle ! »
Il s’arrêta un instant, relevant les yeux vers elle avec une intensité qui la fit frissonner. « Mais attends, le plus important, c’est le cœur. » Ses mains tremblaient légèrement en feuilletant encore une fois. « Le cœur, Mu. Son rôle, c’est de faire circuler le sang et de l’oxygéner. Pour nous, c’est pareil : toi et moi, on est le sang sale. L’histoire, c’est l’oxygène. Le cœur, c’est le support, le média qui fait tout fonctionner. Et le lecteur… » Il marqua une pause, le regard dans le vide, comme s’il recevait cette idée d’une autre dimension. « …le lecteur, c’est le sang purifié, prêt à circuler dans le monde. »
Mu, bien qu’impressionnée, ne pouvait s’empêcher de sentir une étrangeté. Il n’était plus tout à fait lui-même. « Et si c’était le récit lui-même qui le guidait, comme un fil invisible ? » se demanda-t-elle, une lueur de compréhension s’allumant dans ses yeux.
Dam continuait, listant les expressions liées au cœur comme s’il dictait une vérité intemporelle :
• « Aimer de tout cœur », pour l’amour.
• « Redonner du cœur », pour l’énergie.
• « Aller au cœur des choses », pour toucher l’essence.
• « Avoir le cœur net », pour chercher la vérité.
• « Apprendre par cœur », pour inscrire dans la mémoire.
Mais Mu n’écoutait plus tout à fait. Une idée venait de germer dans son esprit. « Et si on intégrait ces cycles dans notre mécanique narrative ? » Elle visualisait déjà une structure où chaque phase trouvait un écho dans leur récit. Admission, compression, explosion, échappement… Les mots prenaient vie dans sa tête, se liant aux émotions et aux arcs des personnages. Elle voyait un schéma, presque organique, où le cœur du récit battait au rythme des cycles universels.
Dam, Mu et le passage entre les mondes
Mu se redressa, ses yeux brillants d’une clarté nouvelle. Une idée l’animait maintenant, comme si elle répondait à l’impulsion presque surnaturelle qui avait saisi Dam. « Tu sais, » commença-t-elle, sa voix douce mais ferme, « tout ce que tu viens de dire… les cycles, les quatre temps, le cœur, c’est juste une première couche. C’est un moteur, oui, mais regarde au-delà. »
Elle saisit un stylo et traça sur une feuille un mouvement sinusoïdal. « Le sinus, Dam. Regarde cette courbe. À chaque oscillation, elle traverse le zéro, ici. Ce point est crucial, parce que c’est le moment où tout bascule. Quand elle franchit cette frontière, elle passe d’un monde à l’autre. Ce zéro, c’est une porte. Une frontière entre les dimensions. Et ce qui est fascinant, c’est que ce point n’appartient à aucun des deux mondes. C’est un entre-deux. »
Dam cligna des yeux, comme pour ajuster sa vision mentale à cette image. Elle continua, portée par l’élan de sa réflexion. « Tu vois, ça pourrait être notre horloge. Chaque cycle traverse ce zéro, ce point de bascule, et à chaque passage, quelque chose change. Les personnages eux-mêmes ne sont peut-être que des expressions de cette oscillation. Ils évoluent, basculent d’un état à un autre. C’est comme une respiration universelle. »
Elle marqua une pause, traçant maintenant une spirale autour du sinus. « Imagine… cette oscillation ne serait pas seulement linéaire, mais tournerait autour de l’axe du temps, comme les aiguilles d’une horloge. L’heure zéro, ce serait le moment où tout commence, le big bang du récit. Et chaque passage par le zéro, chaque oscillation, recrée une convergence, une synchronicité entre les mondes. À l’heure douze, tout s’unit. L’horloge devient une sphère, une clé pour relier les dimensions. »
Dam, captivé, murmura : « Les personnages ? »
Mu sourit. « Ils sont les aiguilles de cette horloge. Chacun d’eux avance dans son propre rythme, mais tous convergent vers ce point unique. Le Chasseur, par exemple, serait l’aiguille du temps dynamique. Il file, il traverse les mondes, reliant les fragments. La Fée pourrait être l’aiguille du sentiment, de l’intuition. Le Roi et la Reine, eux, seraient les pôles opposés de cette mécanique, maintenant la tension qui fait tourner tout le système. »
Elle regarda Dam intensément. « Et toi ? Et moi ? Peut-être sommes-nous les forces qui activent ce mécanisme. Nous écrivons cette horloge. Et le Lecteur… il est l’énergie qui fait tourner les engrenages, traversant lui aussi les dimensions avec nous. »
Un silence empli de tension résonna dans la pièce, comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle. Puis Mu se pencha encore plus près de la feuille. « Mais attends. Si chaque monde correspond à une phase de cette oscillation, alors chaque phase a son rôle. Le monde réel est l’admission, où tout entre en jeu. Le monde théorique est la compression, où les idées se cristallisent. Le monde futuriste, c’est l’explosion, la libération de l’énergie. Et… l’échappement, Dam, c’est peut-être le moment où tout redevient fluide, où tout s’échappe pour revenir à l’heure zéro. »
Dam, presque immobile, écoutait. Il ressentait cette vision comme une vérité gravée dans son propre être. « Tu veux dire que… chaque personnage, chaque événement est une oscillation ? »
Mu hocha la tête. « Exactement. Et chaque monde est une strate de cette horloge, un fragment qui, une fois rassemblé, fait résonner l’ensemble. Mais c’est en traversant les points zéro, en oscillant entre les mondes, qu’on trouve la clé. Que l’on recompose l’horloge. Que l’histoire… devient complète. »
Mu et Dam habitent chez Mémé depuis quelques mois maintenant.
La vieille maison, imprégnée d’une odeur de bois ciré et de lavande fanée, semblait figée dans le temps, à l’image de sa propriétaire, hospitalisée depuis que sa mémoire vacillait entre souvenirs perdus et éclats de lucidité. Mémé, avec son sourire fragile, n’était plus là pour occuper les lieux, mais sa présence imprégnait chaque objet, chaque meuble.
C’est dans ce refuge inattendu que Mu et Dam avaient trouvé un peu de paix, un espace où poser leurs idées et donner naissance à leur histoire. Un matin, alors que Dam griffonnait des notes sur la table encombrée, Mu fouillait distraitement les placards poussiéreux. C’est là qu’elle tomba sur une vieille horloge, posée sur une étagère oubliée.
Elle était magnifique, malgré les marques du temps : un grand cadran entouré de bois sculpté, avec des aiguilles immobiles figées sur une heure quelconque, comme si elles s’étaient arrêtées en plein élan, refusant de continuer leur course. Mu la sortit délicatement, fascinée par sa présence imposante mais silencieuse.
« Regarde ce que j’ai trouvé, » dit-elle en posant l’horloge sur la table. Dam leva les yeux, intrigué. « Elle est arrêtée depuis combien de temps, tu crois ? » murmura-t-il, touchant l’aiguille avec précaution.
« Je ne sais pas. Mais elle a quelque chose… » répondit Mu, son regard se perdant sur le cadran. Une idée germa doucement dans son esprit. « Et si on l’utilisait ? Pour structurer l’histoire ? Chaque cycle, chaque scène, pourrait être une heure, un mouvement. »
Dam haussa les sourcils, puis sourit. « Ça pourrait marcher. Chaque chapitre, une heure. Et on ramène les aiguilles à la vie… »
Ils remontèrent le mécanisme de l’horloge avec précaution. Le premier clic résonna comme un battement de cœur. Lorsqu’ils tournèrent les aiguilles pour qu’elles marquent l’heure zéro, un étrange frisson traversa la pièce, imperceptible mais présent, comme si quelque chose, quelque part, venait de s’éveiller. Sans le savoir, en animant cette vieille horloge inerte, ils donnaient le premier souffle à l’énergie qui alimenterait leur récit.
Lorsque Dam donna le dernier tour au mécanisme de l’horloge, un frisson parcourut la pièce. Ce n’était pas un simple courant d’air ni même une vibration mécanique. C’était plus profond, presque organique, comme un souffle silencieux qui résonnait dans leurs corps. Les aiguilles, enfin alignées sur l’heure zéro, semblaient attendre. Attendre quelque chose de plus grand qu’eux, quelque chose qui les observait.
Au même instant, ailleurs,
Dam donna le dernier tour au mécanisme de l’horloge. Un cliquetis sec brisa le silence, suivi d’un souffle sourd, comme si l’air autour d’eux s’était contracté. Les aiguilles se mirent en place, marquant l’heure zéro. Et alors, le monde s’arrêta.
Tout se figea, comme si le temps lui-même avait replié ses ailes. La lumière, suspendue dans l’air, ne vibrait plus. Les ombres, immobiles, semblaient sculptées dans la pierre. Les objets autour d’eux prenaient l’allure de fossiles, un instant figé dans l’éternité. C’était comme si le monde entier s’était pétrifié.
Dam releva les yeux vers Mu, et leurs regards se croisèrent. Ce qu’ils virent dans l’autre les laissa sans voix. Une étrange profondeur, un reflet qui n’était pas tout à fait le leur. Le temps, ou ce qu’il en restait, semblait avoir fait mille tours sur lui-même, les projetant dans une boucle infinie d’échos et de sensations.
ils virent dans ‘l’oeil de l’autre cette scène:
Un Roi levant sa main, un éclat froid dans les yeux.
Sa voix, douce et impitoyable, glissa vers son génie. « Brise-le. »
L’impact résonna comme un coup de tonnerre, et dans le fracas des éclats de miroir, une force invisible sembla se réveiller et transforma le miroir du génie en une horloge qui indique 12h.
Et alors, il y eut cette sensation. Une présence. Pas dans la pièce, pas dans leur monde, mais au-delà. Quelque chose scrutait. Quelque chose d’immense, d’insondable, dont le regard transperçait le tissu même de leur réalité. Ce n’était pas une curiosité bienveillante, mais une attention affamée, une prédation.
Le lecteur venait de lever les yeux de sa propre réalité, attiré par ce moment. L’histoire, dans sa naissance chaotique, avait allumé un phare dans son obscurité. Comme un prédateur captant l’odeur d’une proie, il s’approchait, son intérêt croissant à chaque pulsation de l’horloge, à chaque éclat du miroir brisé.
Mu resta immobile, le regard planté dans celui de Dam, comme un phare dans l’immensité. Elle ne bougea pas, comme si elle refusait de fuir cet instant, de le laisser s’échapper. Dam, lui, sentit ses jambes fléchir, incapable de soutenir l’intensité de ce qu’il voyait. Il s’effondra doucement sur une chaise, sa respiration saccadée, les mains tremblantes.
L’horloge, quant à elle, continuait de tourner, imperturbable. Dans le silence qui suivit, son tic-tac résonnait comme un battement de cœur venu d’un autre monde.
Pour eux c’était plus qu’un signe, il fallait écrire le futur, et maintenant.
Sans même parler ni se regarder, ils s’assirent autour de l’ordinateur et se mirent à écrire frénétiquement.
Le FUTUR:
Chapitre 5 LE PRISME :
À 7h30, une voix synthétique et chaleureuse retentit dans l’appartement minimaliste :
— Abletown vous souhaite une excellente journée, WHY SPARK. Le temps est somptueux ce lundi 5 mars 2067.
Les murs s’animent doucement, projetant une lumière d’aube artificielle. Y ouvre les yeux, parfaitement alerte mais étrangement détaché. Qui est-il ? Que fait-il ici ? La réponse ne lui importe pas pour l’instant. Sa curiosité naturelle et son esprit joueur le poussent à suivre le fil de cette situation inhabituelle.
Il se dirige vers son standard d’hygiène, un cube métallique qui s’ouvre dans un souffle discret. Une brume fine et sèche l’entoure, éliminant toute impureté en quelques secondes. Quelques gestes suffisent à lui indiquer que tout est en ordre. Une boisson énergétique apparaît dans une cavité murale, fraîche et effervescente. Sur la table, un petit papier avec une adresse intrigue Y. Il l’insère dans une borne multimédia encastrée, où des hologrammes dynamiques projettent l’itinéraire. Souriant légèrement, il récupère le papier et sort.
Une ville en mouvement perpétuel
Chaussé de patins magnétiques, Y traverse les rues vibrantes d’Abletown. La ville est un ballet incessant, où les immeubles végétalisés s’élèvent comme des falaises vivantes, reliés par des passerelles animées. Les passants se déplacent sur des tapis roulants suspendus, des Flys planent juste au-dessus des trottoirs, et les hologrammes publicitaires saturent l’air de messages scintillants. À chaque borne télépathique, Y reçoit des annonces directement dans son esprit :
— Bravo, Y ! Votre santé est optimale aujourd’hui. Profitez de cette belle journée !
— Pensez à vous faire des amis, Y Spark !, suggère un Thinkmail.
— Il vous reste 850 mètres. Continuez à ce rythme impressionnant !, le guide une borne d’orientation.
Y slalome entre les piétons, leurs silhouettes floues s’évanouissant dans la vitesse. Il savoure cette sensation de fluidité, comme s’il avait toujours appartenu à ce monde hyper-connecté. Mais au croisement d’un carrefour majeur, tout s’interrompt.
Les feux de circulation synchronisés passent au vert en même temps, provoquant un chaos instantané. Un transporteur de bouteilles vides surgit, ses pneus crissant sur le bitume. Une caisse mal sanglée s’élève, tournoie dans l’air et vient heurter Y. Le choc est brutal. Le temps semble se figer. Des éclats de verre scintillent autour de lui comme une pluie de diamants sous le soleil. Puis, l’impact. Le silence.
Y se réveille au sol, un passant penché au-dessus de lui : — Ça va ?
— Pourquoi ?
— Parce que vous venez d’être accidenté ! Peut-être les circuits bouffés par ces foutues fourmis électriques… Vous avez des papiers ?
Y tend le papier de l’adresse. L’homme, après un bref regard, lui conseille de passer par une borne santé avant de poursuivre son chemin puis il disparaître dans la foule en mouvement. Y se redresse, sans douleurs, intrigué mais curieusement, amusé. Cette situation le pousse à avancer pour voir où cela le mène.
Génétix : au cœur de la machinerie
L’adresse le mène à un imposant bâtiment hi-tech. Une réceptionniste l’interpelle :
— Vous êtes en retard, Y Spark ! Voici votre carte. Prenez la porte C7, descendez. Dépêchez-vous !
Sur ce, elle disparaît sans attendre dans le couloir adjacent d’où elle lance à haute voix : “N’oubliez pas vos gants !”. “Y Spark, ce serait mon nom, alors ?” Hormis le réveil de l’accident, Y ne se souvient de rien. Arrivé à la porte C7, il se demande s’il ne ferait pas mieux de se présenter plutôt à un hôpital et alors qu’il entame la descente de l’escalier, en se demandant s’il fait bien d’être là, il aperçoit le responsable d’équipe.
C’est un black immensément grand avec un short orange. Torse nu, les épaules et la nuque sont couvertes de magnifiques écailles vertes. Il remarque Y l’air hésitant dans les escaliers et l’accueille souriant : “Ah ! Salut. T’es en retard, les autres sont déjà aux flys. Viens, descends. Regardes, ils sont là-bas. Tiens, tes gants, à toute !” Y aurait aimé lui parler de l’accident mais l’homme l’invite du regard à rejoindre prestement les autres intérimaires installés sur des petits scooters magnétiques appelés “Flys”. L’une d’entre eux, une fille aux cheveux roses, est manifestement la chef d’équipe puisqu’elle a un fly bien plus sophistiqué sur lequel on peut remarquer entre autre un sticker “Mini-Phant-Friend” ce qui ne manque pas d’interpeller un intérimaire qui spontanément s’exclame : “Ah, moi aussi j’avais un conseiller Mini-Phant ! Je l’avais eu pour mes quatre ans ! Ah, il est trop doux et il apprend bien !”. Ce à quoi la chef de groupe qui sourit répond : “Je l’adore ! Et je l’ai toujours !” Elle sourit de nouveau se remémorant alors l’anniversaire de ses 6 ans. Une grosse tablée familiale avec en son centre un énorme gâteau à étages. Toutes les personnes présentes chantent “Joyeux anniversaire” et le Mini-Phant sort du gâteau en chantant lui aussi. Puis, assise dans l’herbe, sous la voie céleste, le Mini-Phant lui apprend les constellations et lui décrit les astres. Une autre fois, lui enseignant le solfège et jouant ensemble du piano. Le jour où elle rentra de l’école si énervée et après lui avoir raconté ses peines, son Mini-Phant qui la console et l’aide à relativiser. En randonnée de groupe, l’animateur montrant un arbre millénaire et son Mini-Phant faisant remarquer qu’à l’endroit où se trouve cet arbre la température est plus élevée :
- Vous remarquez comme la température est légèrement différente ici ? Cet à cause de cet épicéa, juste à côté. En effet, en 2210 on a inventé cet épicéa modifié qui résiste à de grands froids mais on n’avait pas envisagé qu’il provoquerait de la chaleur, on a accéléré sa circulation interne.
- Personne ne sait encore pourquoi… Ajouta un conseiller Mini-Turttle/Rabbit d’un autre enfant.
Mini-Phant signant à la place de ses parents le mot d’avertissement d’un professeur mal-aimé. Il avait prit le carnet avec sa fameuse expression et alors qu’il allait pour signer il la regarda avec un petit sourire pincé et signa finalement. Le Mini-Phant sirotant une grosse bière dans un concert où elle portait ce fameux tee shirt avec inscrit dessus : “It’s my firts concert alone, i’m free”. Devant la télé, son Mini-Phant vieilli, tout plissé comme un charpet préparant des lignes de cocaines sur la petite table du salon et levant les yeux vers elle avec un sourire en coin tout autant qu’il faisait la moue quand ils devaient se presser de partir au boulot. D’ailleurs, cette scène, c’était ce matin et elle sourit remarquant entre autre la présence parmi eux du retardataire : “On est tous là ? Ok, en route maestro ! Allez hop, on décolle !”
Y enfourche le fly restant et constate qu’il sait très bien comment diriger l’engin, il s’envole et les suit. En tête du groupe, la chef informe : “Ok tout le monde, je suis Sarah, voilà le topo aujourd’hui : ici, vous êtes à Génétix dans l’unité principale de production. Génétix se trouve être la plus grosse entreprise du monde actuel avec 4 milliards d’employés. Elle traite les informations corporelles de 27 milliards de personnes en temps réel, 27 milliards d’abonnés. La base de données est nourrie par des laboratoires de recherches qui analysent et restituent les synthèses informatiques de nos clients. 11 % du capital de chaque pays est directement investi dans génétix. Même les rebelles profitent de notre technologie par le biais des déchets. Génétix c’est aussi la partie logiciel et bio mécanique intra corporelle. Actuellement, nous gérons tous les systèmes d’hyper-réalité, du modem intégré à la synthèse cellulaire instantanée. C’est Genetix qui a développé le premier logiciel permettant de connecter la pensée humaine à la base d’informations internet. Comme vous êtes intérimaires et que vous ne connaissez pas les lieux, gardez un oeil partout pour ne pas vous blesser et aussi pour préserver notre matériel qui coûte très cher. Comme vous le savez, Génétix produit des outils vivants dans plusieurs catégories : aide à la personne, réalité amplifiée et différents outils spécialisés pour des grosses corps. On va devoir traverser l’atelier pour arriver au sujet du jour, du coup, je vous fais une petite visite… Juste en dessous de nous, c’est le bain primaire pour la culture organique. Les tubes que vous voyez là-bas ajustent, régulent les molécules d’apport. Au dessus, ce sont les silos de matières. Sur les deux murs latéraux, ce sont les moteurs qui balancent le bassin en continu pour mélanger les molécules.”. L’équipe quitte le premier bassin et arrive dans l’atelier suivant, encore plus grand, avec, au centre, un gigantesque bras mécanique qui tient tout en haut une capsule inondée de fils électroniques, tuyaux, ressorts en tout genre… “Ici, c’est notre agitateur/compresseur : c’est lui qui gère la densité des matières. Et voici le troisième et dernier atelier : la confection. On assemble, on programme, on donne vie, on teste.”. En dessous d’eux, une centaines de personnes sont toutes attentivement concentrées à leur tâche, l’ensemble est très coloré. Il y a de tout : végétal, minéral, organique, synthétique, électronique… “En ce moment, on lance une nouvelle gamme de parure végétale, j’adore ! J’ai même testé aujourd’hui la fougère, qu’est ce que vous en dites ?”, Sarah se retourne vers son équipe laissant voir son oreille recouverte d’une fourrure de la dite plante. Un “Whao, la classe baby !…” se fait entendre.
Sarah – Aujourd’hui, on charge et livre un Robot-Conseiller. Faites attention, c’est un modèle unique ! - Le Robot-Conseiller du Super-Président ! S’exclame un intérimaire. Whao, on est payé combien pour ça ?
- Heu, c’est risqué comme mission ? Demande un autre.
- Oui je pense comme vous. A chaque déplacement du Super Conseiller la stratégie est pensée par le Robot-Conseiller lui même et c’est vrai qu’à chaque déplacement, il invente des méthodes complètement loufoques comme celle d’aujourd’hui. La contrepartie c’est qu’effectivement vous êtes payés triple ! Informe Sarah.
(Sarah)-)Ce qui va se passer… : On a répartit les tâches : Fouk, t’es au chargement avec Litch. Lubie, Marzin et Tim, vous organisez le montage dans la charrette. Kob, toi tu conduis le tanker, il est déjà programmé. Et Y, toi aussi t’es dans le tanker en témoin pour assurer le contact et en attendant, vous aidez au chargement et au montage.
Le Robot-Conseiller repose sur une plateforme élévatrice, entouré d’un réseau de fils bioélectriques et de récepteurs en suspension. Ses composants organiques, d’un noir irisé, pulsent doucement comme un cœur vivant. La tête est encore démontée, laissant apparaître une matrice complexe d’émetteurs neuronaux et de capteurs de données.
Les intérimaires se répartissent les tâches. Y et Marzin travaillent ensemble pour fixer les modules auxiliaires sur le châssis principal. Les mouvements sont fluides, presque chorégraphiés, aidés par des exosquelettes d’assistance qui amplifient leurs gestes. Marzin, tout sourire, soulève son tee-shirt pour dévoiler des haut-parleurs en carbone incrustés dans ses abdominaux : — Chef, un peu de musique pour l’ambiance ?
— Pas trop fort, on ne veut pas réveiller le robot, plaisante Sarah avec des yeux gourmands.
Un bon Son enrobe cette salle pourtant gigantesque
Les manipulations se poursuivent, chaque étape dévoilant un peu plus la finesse technologique du Robot-Conseiller. Y, fasciné, remarque des inscriptions gravées sur les composants, comme des runes codées. Il ne peut s’empêcher de se demander si tout cela a un lien avec lui, avec cet accident étrange.
Kob, le conducteur, consulte une carte holographique projetée sur le tableau de bord : — Hmm, le GPS veut nous faire passer par la forêt ? C’est une blague ? Espérons que ce machin blindé tiendra le coup.
Le tanker s’élance, d’abord dans un passage souterrain sécurisé, éclairé par des halos flottants qui suivent leur progression. Lorsqu’ils émergent dans les rues animées d’Abletown, Y observe la transition : des drones de surveillance planent au-dessus, et des passants s’arrêtent brièvement pour laisser passer le véhicule imposant. Mais dès qu’ils quittent la ville pour entrer dans la forêt, la tension monte.
En quelques heures de trajet La forêt se referme autour d’eux, dense et oppressante.
L’attaque des pirates
Dans l’obscurité croissante, des ombres mouvantes apparaissent entre les arbres. Une onde électrique traverse soudain le tanker, immobilisant ses roues. Les portes s’ouvrent dans un souffle mécanique. Des pirates surgissent, leur équipement mêlant métal brut et composants biologiques modifiés.
Cinqas, leur leader, s’avance. Sa stature imposante et ses traits marqués par les épreuves lui confèrent une présence magnétique. Ses yeux, perçants et bienveillants, fixent Y avec une intensité troublante. Sa voix, basse et posée, semble contenir une autorité naturelle :
— Nous ne voulons que le Robot-Conseiller. Ce n’est pas une attaque. C’est une libération.
Kob, paniqué, lève les mains :
-Qu’est ce que vous voulez ?
(Cinquas) – Le Conseiller.
(Kob)- On est juste des intérimaires, ne nous tuez pas ! On vous le donne le Robot, hein Y ?
(Y)- Ah oui, là, on leur donne… Mais vous voulez faire quoi avec ça ?
(Cinquas) – Ok, alors maintenant c’est soit vous rentrez vite chez vous, soit on vous dénumérise et vous restez avec nous, soit on vous tue.
- Je rentre ! Répond Kob sans hésiter.
- Bah, je viens avec vous… Répond Y puisque tous le regarde.
(Cinquas) – C’est irréversible.
(Kob)- T’es fou Y, viens on rentre chez nous ?
(Y)- Pourquoi ?
(Kob)- … Nan t’es trop fou toi, allez, bye. Hè vous avez pas de l’eau quand même ?…
Kob s’élance dans les bois, jetant un regard incertain en arrière, son visage figé dans une expression indéchiffrable, avant de disparaître.
Y reste immobile, observant Cinqas. Les mots du pirate résonnent avec une clarté désarmante, une promesse implicite de justice et de réconciliation. — Ce robot est la clé pour réconcilier les peuples. Il a orchestré cette mission pour nous rejoindre, poursuit Cinqas.
Un des pirates jette un gourde et une barre énergétique à Y: “Et que ça ferme ta bouche Ok ? Allez les gars, en route ! Mais avant, toi, on va te changer ton modem, tiens, viens par là et montre moi ta nuque”. Le pirate sort de sa ceinture une télécommande qu’il colle sur la tête de Y visant l’hypophyse et appuie sur le bouton qui indique “Aberrisé”
Les pirates, satisfaits, prennent le contrôle du tanker. À l’intérieur de sa capsule, le Robot-Conseiller, avec son visage noir irisé, semble sourire subtilement, comme s’il approuvait cette tournure des événements.
Une traversée vers l’inconnu
Le tanker, télécommandé par les pirates, s’éloigne de la forêt dense. À l’intérieur, Y observe silencieusement, absorbé par les mouvements précis de Cinqas et son équipe. L’atmosphère dans le véhicule est à la fois tendue et fascinante. Cinqas, imposant et calme, engage la conversation, son regard perçant fixant Y.
— Tu te demandes sûrement pourquoi on a pris ce robot, commence-t-il.
Y incline légèrement la tête, attendant la suite.
— Ce Robot-Conseiller est unique. Pas de mouchard, pas de limites.
Il peut penser par lui-même. Et nous avons besoin de sa lucidité pour prouver au monde que nous, les aberrants, méritons de vivre libres.
Cinqas pose sur Y un regard qui semble sonder son âme.
— Nous sommes le fruit du rejet : des créatures nées des déchets génétiques, des intelligences accidentellement éveillées dans les eaux usées des villes. Mais nous sommes aussi la preuve que la nature trouve toujours un chemin, même dans un monde artificiel.
Il a accès à toutes les données sans être contrôlé par Génétix. C’est notre opportunité de changer les choses.
Sa voix posée, presque bienveillante, contraste avec son allure robuste. Les autres pirates écoutent en silence, leurs expressions gravement marquées par des années de lutte.
— Nous n’agissons pas seulement pour nous, mais pour chaque être vivant sur cette planète, ajoute Cinqas. Ce robot pourrait nous permettre de réconcilier les peuples et de restaurer l’équilibre perdu.
Y, captivé, sent une étrange résonance dans ces paroles. Cinqas continue de lui parler avec une assurance naturelle, comme si chaque mot portait un poids historique. C’est moins une explication qu’une invitation à comprendre.
Le campement des aberrants
Lorsqu’ils atteignent le campement, Y reste bouche bée. Devant lui, s’étend sur plusieurs hectares un village organique d’une complexité époustouflante. Les cabanes sont tissées entre les troncs massifs d’arbres millénaires, et des spirales de lumière naturelle semblent guider chaque structure. Un arbre générateur de véhicules, immense et vibrant, trône au centre du camp, ses racines plongesant dans un réseau de conduits luminescents. Y peut sentir presque physiquement la vie qui en émane.
— Whao, vous êtes incroyables, murmure-t-il.
Cinqas esquisse un sourire.
— Ce campement est né de rien, tout comme nous. Chaque structure, chaque outil ici est fabriqué avec ce que le monde a rejeté.
Au loin, Y aperçoit une bobine électrique géante, rafistolée avec soin. Plusieurs créatures hybrides — mi-végétales, mi-métalliques — travaillent à repeindre ses arceaux en jaune fluo, couleur emblématique des pirates. Y passe également devant une scierie monumentale, où des créatures humanoïdes fabriquent des meubles et des pièces d’architecture d’une précision artistique.
Sur son chemin, il croise un groupe de créatures tubulaires, blanches et translucides, qui s’assemblent et se désassemblent au gré des besoins. Leur chaleur rayonne doucement, rappelant leur ancienne fonction : chauffer les bâtiments publics. Y apprend qu’elles ont été abandonnées par Génétix après les grandes révoltes et qu’elles ont trouvé refuge ici.
Le village des aberrants
Lorsque le tanker arrive enfin, la scène qui s’offre à Y est époustouflante. Le campement pirate s’étend sur plusieurs hectares, un immense village de fortune tissé entre des arbres gigantesques et une clairière lumineuse. Les cabanes sont construites avec une ingénierie improbable : des formes organiques qui se fondent dans la nature, des spirales naturelles et des matériaux récupérés.
— Whao, vous êtes sacrément bien installés, lâche Y, sincèrement impressionné.
Cinqas sourit légèrement :
— Il nous manquait juste le Conseiller. Maintenant, on peut avancer.
pour toi l’urgence c’est de savoir où dormir ce soir parce que les nuits sont froides.
Le leader tend une carte à Y, l’appliquant directement sur sa poitrine comme un sceau. Une flèche lumineuse s’active.
— Dirige-toi vers l’accueil. Ils vont te trouver un endroit où dormir. Ici, les nuits peuvent être glaciales. , tu verras, ils sont pas méchants. Maintenant que ton arrivée est organisée je dois faire de même avec notre deuxième hôte…” Cinquas regarde le Robot-Conseiller maintenant hors du tanker , branché à une myriade d’autres composant electroniques : “Et cela demande un peu plus de de technicité. Allez, à plus tard !
D’un geste confiant, Cinqas se retourne vers le Robot-Conseiller, qui repose immobile mais semble presque vivant, comme s’il observait la scène. Son faciès noir irisé renvoie un éclat subtil, et Y croit deviner un sourire dans ses contours mécaniques.
” Y lit la carte et se dirige vers l’accueil. Sur le chemin il remarque d’abord l’arbre générateur de véhicules qui est gigantesque, il faut des dizaines d’années pour en avoir un pareil, apparemment la cachette des pirates est prospère. Il passe aussi devant la bobine électrique qui nourrit le camp, là aussi c’est énorme, totalement rafistolé mais bien fait, c’est un moteur à percussion dernière génération qu’ils ont enfoui de moitié pour le stabiliser. Plusieurs créatures travaillent dessus à repeindre les arceaux en jaune d’un fluo irradiant qui visiblement est la couleur typique des pirates, pas très discret mais sympa.
Juste derrière le moteur, la scierie d’où sort toute l’ébénisterie magnifique qui façonne le camp, là aussi, du lourd ! Des milliers de mètres carrés organisés en une myriade d’ateliers. Il croise toutes sortes de personnages bizarrement familiers humains/végétaux/minéraux tout une richesse de formes et fonctions exprimées. Un groupe de créatures tubulaires en silicone d’environ un mètre de haut faites de gaines blanches entremêlées se déplace en s’assemblant les uns dans les autres. Quand Y les croise, il remarque que ces êtres dégagent un forte chaleur.
— Avant, elles chauffaient les bâtiments publics, murmure un pirate en passant qui remarque l’étonnement de Y. Génétix les a abandonnées après les grandes révoltes.
Ils sont des éléments chauffage qu’on utilisait auparavant pour gérer la température des bâtiments publics. L’avantage était qu’ils se déplaçaient dans les doubles murs d’isolation en fonction du mouvoir des personnes à chauffer. Cette méthode fut abandonnée à la suite des grandes révoltes anti Génétix menées à bien par toutes ces créatures générées comme des esclaves pour répondre à une tâche précise et unique.
Après plus d’un kilomètre à déambuler à travers le camps, Y arrive devant une structure sans murs. C’est l’accueil, son toit est fait d’immenses arceaux végétaux ressemblant à des coques de bateaux couvert de chaume, comme dans les îles pacifiques.
Y reste bouleversé par tout ce qu’il vient de voir et savoir.
Juste devant lui une créature le rappelle à l’ordre et lui lance :
- Hè petit, qu’est ce qui t’arrive ? On dirait un oisillon qui vient de tomber du nid, tu cherches quelque chose ?
Y toujours plus perturbé regarde la créature qui, malgré ses bons huit cent kilos et sa voix rauque à l’air plutôt sympathique : - Heu, oui, j’ai été capturé par vos gars au cours de l’enlèvement du Robot-Conseiller aujourd’hui.
- Ho ! T’es pas rentré chez toi ?
- non
- Ha, tu t’appelles comment ? Interroge la créature sur un ton un peu moins provocateur
- Je m’appelle Y Spark.
- Moi c’est Alfa, enchanté !
Alfa regarde la tortue posée sur le bar en répétant le nom du jeune homme plus bas, faisant mine de chercher : “Y Spark, Y spark, Y spark, Y spark …. Yo, Gustave, tu te réveilles ?”. La Tortue-Ordinateur de l’accueil visiblement dort. Elle ouvre l’oeil en même temps que la bouche : “Mais oui, mais oui, je suis sur le coup, oh ! Je te sors ça.”. Alfa qui secoue la tête en levant les yeux au ciel lâche entre ses dents :
(Alfa)- Cet ordinateur est caractériel, elles ont beau calculer lourd, imparamétrable écoutes la…, c’est la dernière tortue que je prends…
(la tortue)- Oh, oh, tu les veux tes infos ou pas ? Donc : Y Spark, type : humain, une vingtaine d’année, soixante cinq kilos, sans emploi, compétences particulières : ouïe musicale, bonne réception aux vibrations. Les deux parents travaillaient à Génétix, tous les deux morts de maladies normales et … pas d’accès à la généalogie du dessus. Hum, classique, hormis tes compétences, tout est faux, tout est inventé, la méthode Génétix.
La tortue regarde Alfa qui lui, regarde Y :
(la tortue)- Mon garçon, j’ai bien peur que tu sois un pur produit de nos ennemis de longue date : Génétix. Tu as été totalement crée comme nous. - D’après le profil, ils t’ont généré pour tester la capacité du flux, comme Hiss. Ajoute la tortue. Ce n’est pas un hasard si tu te retrouves parmi nous, Il faut bien que tu comprennes jeune Y que tu es un produit crée ! En l’occurrence, tu es un testeur, Génétix te place dans des environnements puis ils récupèrent les informations qui t’ont sculpté afin d’améliorer le système. N’aurais tu pas eu un accident ces derniers jours ?
- Ouai ce matin.
- Alors tu n’a pas plus d’un jour. S’ils t’ont rendu amnésique c’est pour que tu n’ai pas de questions à te poser sur ton passé. Tu sais, quand on fait un clone chez Génétix, on le bombarde d’un champ magnétique qui le stimule à faire des choses spontanément, c’est efficace mais seulement pour une petite heure et puis bing, accident avec amnésie histoire que tu accomplisses ta tâche sans même en avoir conscience et sans te poser de questions ! Par exemple, toi, quand tu t’es réveillé ce matin, qu’as tu fais en premier ?
- Bin, je sais pas, je me souviens pas…
- Hum, oui évidement ! apparemment tu vas rester avec nous. On va te trouver une cabane, t’aime bien la musique, c’est ça, hein ? On a une chambre qui s’est libérée tu vas voir…
Alfa sort de sous le bar une puce qu’il tend à Y : “Bienvenue chez les aberrants petit, on risque de se recroiser.”. Y prend la puce, le remercie d’un signe de tête encore éberlué de ce qu’il vient d’entendre. La puce indique une petite flèche bleue clignotante. Il comprend que c’est la direction de son logement et marche donc pour s’y rendre. A mesure qu’il avance la flèche devient verte puis orange, la nuit est désormais totale et le camp est magnifique, les lucioles scintillent et dansent avec les biches en lisière de forêt.
Y ressent cette vague de chaleur propre aux nuits d’été. Bien qu’il soit totalement perdu dans ce nouvel univers, la vérité éclatante qui justifie son sentiment d’être une pure production, en même temps cette sensation bizarre que tout est à jouer maintenant.
Une confiance naissante guide ses pas. Il croise d’autres créatures qui le saluent en souriant sur son passage. En montant sur une des collines, il peut encore mieux apprécier l’étendue du campement. La flèche de la puce tire sur le rouge et Y comprend qu’il approche, il monte toujours plus au travers des bungalows et voit un tout en haut isolé sur le côté sur la falaise, le seul encore éteint à cette heure. C’est bien lui, arrivé devant la porte, celle-ci s’ouvre, la lumière s’allume laissant voir l’intérieur de sa nouvelle chambre.
Le garçon ne peut réprimer un “Whao” en découvrant le design du logement. C’est super beau. Tout est courbes et volutes dans des tons naturels et lumineux. Il avance jusque la terrasse et ne peut réprimer un Whoaaaho”, un bon cent dix mètres de falaise le sépare de la clairière en bas. C’est la seule partie du campement qu’il n’a pas encore vu et comprend la forme de la structure dans son ensemble : c’est une forme hélicoïdale autour de cette montagne cassée, probablement une ancienne carrière. Après un temps à regarder le spectacle, il s’écrase dans le lit.
Chapitre 6 : Le Robot-Conseiller Choisit Son Camp
Aux premières lueurs du matin, une basse tonitruante secoue la prairie et résonne dans tout le campement. Le son traverse les cabanes comme un appel irrésistible. Y ouvre les yeux en sursaut, un sentiment étrange l’envahissant. Cette musique, il la connaît. Intrigué, il bondit de son lit et file vers la terrasse. En contrebas, au centre de la clairière, un énorme Sound System trône fièrement, ses haut-parleurs monumentaux crachant des vibrations qui semblent réveiller chaque habitant.
Y se rappelle soudain les mots d’Alfa :— “On va te trouver une cabane, t’aime bien la musique, c’est ça, hein ?”
Un sourire amusé lui échappe, mais il n’a pas le temps de réfléchir davantage. Une voix féminine l’interpelle :— Hè ! Tu continues ta nuit là, ou tu viens ?
Y tourne la tête pour découvrir une jeune femme rousse. Ses cheveux flamboyants descendent en cascade sur ses épaules, ses taches de rousseur illuminent un visage jovial, et ses yeux rieurs sont plissés par un sourire chaleureux.— Hiss, enchantée, ajoute-t-elle en tendant une main.
— J’arrive, répond Y en souriant, encore un peu déconcerté.
En chemin, les deux avancent parmi les créatures bigarrées du camp, et Y découvre pour la première fois en plein jour toute l’étendue de la diversité des aberrants : des silhouettes mi-végétales, mi-mécaniques, des êtres aux traits hybrides, des entités translucides traversant les foules comme des fantômes de lumière.
— Où est-ce qu’on va, exactement ? demande Y.
Hiss, marchant avec un entrain contagieux, lui explique :— Les Aberrants ont volé le Robot-Conseiller du Super-Président pour lui proposer notre cause. On va tous se présenter devant lui, et pendant ce temps, notre ambassadeur va lui exposer notre projet. Il devra choisir de son propre chef s’il veut ou non être avec nous.
Elle marque une pause, laissant les mots s’imprégner.— Tu sais Y, notre philosophie, c’est la liberté, le développement du caractère. On veut qu’il choisisse en toute connaissance de cause. S’il accepte, ce sera énorme pour nous. Il connaît tous les secrets de nos ennemis, et sa puissance est… incommensurable.
— Je vois, murmure Y, fasciné par l’enjeu.
La présentation au Sound System
Ils arrivent enfin devant le Sound System, une machine monumentale entourée d’une foule massive. Sur la scène, au centre, une boule fluide ressemblant à du mercure semble flotter, changeant subtilement de forme sous la lumière : le Robot-Conseiller. Y, impressionné, reste un instant figé devant cet être qui semble à la fois vivant et étranger.
— Mais, on ne risque pas de se faire repérer, tout ce monde en pleine prairie ? chuchote-t-il à Hiss.
Elle rit doucement, un éclat malicieux dans le regard :
— Tout est filmé du ciel par Abletown, mais on projette à leurs capteurs les valeurs inverses de ce que nous sommes. Là, tu émets une température de 37,5 degrés, mais notre dispositif leur envoie un -37,5. Pareil pour le visuel, ils voient une prairie vide.
Elle ajoute en riant :
— On fait de l’anti-bruit. Comme dans Cochlée.
La musique s’arrête, plongeant la clairière dans un silence presque sacré. Tous les regards se tournent vers la scène, où Cinqas s’avance. Ses traits marqués et son port majestueux dégagent une autorité naturelle, son regard captant l’attention de chaque être présent.
— Mes amis exagénaires, aujourd’hui, nous avons l’occasion de parler avec ceux qui sont nos pères et nos ennemis, commence-t-il, sa voix résonnant dans l’air.
Puis, se tournant directement vers le Robot-Conseiller, il poursuit :
— Toi, Robot-Conseiller du Super-Président qui connaît les secrets du gouvernement, veux-tu te rallier à notre cause maintenant que tu lis en nous ce que nous sommes ? Que choisis-tu ?
Un silence total s’installe. Tous retiennent leur souffle, leurs yeux rivés sur la boule argentée. Le Robot-Conseiller affiche avec humour un sourire commercial, puis sa voix synthétique mais chaleureuse retentit dans la clairière :
— Je suis des vôtres !
Une explosion de joie
L’annonce déclenche une vague d’euphorie inégalée. Des cris de joie fusent dans toutes les directions, et des milliers de créatures se mettent à sauter de toutes parts. Le DJ reprend les platines, samplant la phrase du Robot-Conseiller et la transformant en un rythme frénétique. Les basses explosent, et la clairière se transforme en une gigantesque fête.
Hiss, hystérique, secoue Y avec une énergie débordante.
— T’imagines ? Il est avec nous !
Y, d’abord figé, finit par céder à la contagion de l’euphorie générale. Les créatures hybrides dansent avec une frénésie électrisante, leur énergie semblant presque surnaturelle. La fête s’intensifie, le soleil brillant dans un ciel sans nuage comme pour approuver silencieusement cet instant.
Une quête d’identité
Tandis que la fête continue, une mélodie particulièrement puissante envahit la clairière. Les notes résonnent profondément en Y, éveillant en lui une sensation de déjà-vu, ou plutôt, de déjà-entendu. Son rythme cardiaque s’accélère, et une agitation intérieure commence à le submerger. Des questions sur son identité, sur sa place ici, assaillent son esprit.
Ne pouvant plus contenir son trouble, Y quitte la foule et interroge un aberrant proche :
— Où est le Robot-Conseiller ?
— On l’a mis au salon, répond la créature, en désignant un immense dôme sur la colline voisine.
Une conversation énigmatique
Le dôme est une structure imposante, son toit translucide reflétant les lumières naturelles et artificielles. À l’intérieur, une salle de conversation luxueuse, conçue pour accueillir des débats philosophiques ou stratégiques, s’étend sur plusieurs étages. Au centre, le Robot-Conseiller est entouré par un cercle de créatures, chacune attendant son tour pour lui parler.
Y rejoint la file, et malgré le nombre impressionnant de personnes, il progresse rapidement. Quand vient son tour, il se retrouve face à la boule mercurielle. Avant qu’il ne parle, le Robot-Conseiller s’enthousiasme :— Y, c’est bien que tu sois là, je voulais te voir. La musique te plaît ? Tu sais, rien n’est par hasard et, peut-être, te doutes-tu déjà que je ne me fais pas enlever par des intérimaires si cela n’est pas mon souhait. Tout comme je ne ferais pas la fête avec des aberrants si ce n’était la meilleure chose à faire dans ce monde. Je t’ai fait venir ici pour que nous allions à la recherche de notre histoire, tu ne peux encore te douter de l’aventure de toi-même. Si tout se passe comme il faut, nous nous retrouverons en un point de compréhension et nous reverrons la maison originelle.
— Je ne suis pas sûr de comprendre… murmure Y.
— Ne t’inquiète pas. Moi non plus, pas encore, répond le Robot-Conseiller avec un sourire énigmatique.
Une Dame-Oiseau-Mouche envoie un pochon d’euphorisant, qui disparaît sur la tête du Robot-Conseiller. Ce dernier plaisante, amusé :— Oh yeah ! Non, c’est vrai, pas encore ?…
Y, troublé mais intrigué, se laisse pousser doucement hors du cercle, tandis que le Robot-Conseiller lui lance en riant :— Nan, chérie ! C’est pas ce que tu crois, je suis pas défoncé ! De toute façon, on se revoit demain plus sérieusement.
Chapitre 7 : Y S’entretient Avec Le Robot-Conseiller
La fête, qui avait illuminé la prairie sous le soleil, avait continué sous la lune et, maintenant que le jour est revenu, elle persiste encore. Les basses sourdes et les rires des habitants résonnent toujours au loin. Mais Y, lui, a quitté la liesse. Le message du Robot-Conseiller, la veille, n’a cessé de tourner dans son esprit, éveillant une curiosité qu’il ne peut plus ignorer. Il décide de retourner au salon de conversation.
En arrivant, on l’informe que le Robot-Conseiller a été déplacé en jungle pour des raisons de sécurité. Alors qu’il s’interroge sur cette décision, une créature aux traits presque translucides s’approche. Ses yeux brillent d’un éclat bleu pâle, et sa voix douce mais ferme résonne :— Je suis Sytar. Je vais te montrer le chemin. Tu devras le mémoriser, car ici, nous ne faisons jamais deux fois le même itinéraire.
Une jungle vivante
Le cheminement avec Sytar se transforme en une leçon étrange. Chaque arbre devient un point de repère dans une forêt foisonnante, presque vibrante d’énergie. Sytar, avec une gestuelle élégante, nomme les essences qu’ils croisent :
— Ici, un hêtre, unique dans cette clairière. Ensuite, cinq bouleaux. Suis deux chênes, un pin et enfin neuf palmiers coco.
Y, concentré, répète les séquences dans sa tête. La végétation s’épaissit, et l’air semble chargé d’une humidité presque électrique.
— C’est de bonnes précautions ? dit-t-il.
Sytar sourit légèrement.
— Nos techniques de sécurisation sont d’une simplicité extrême, et c’est pour cela qu’elles sont si efficaces. Rendre quelque chose invisible est un art subtil, Y.
Leur chemin les mène à une prairie minuscule, presque entièrement cachée par des cocotiers. Là, au centre, trône le Robot-Conseiller, immobile mais imposant. Sytar s’assure que Y a bien retenu le chemin, puis disparaît dans les arbres, le laissant seul.
Un échange intrigant
Y s’approche prudemment. Comme la veille, c’est le Robot-Conseiller qui engage la conversation :
— Bonjour Y. J’imagine qu’ils t’ont déjà raconté ta vraie histoire et quand tu es né ?
— Oui, avant-hier, répond Y, encore incertain.
— Là, je ne suis pas exactement d’accord, reprend le Robot. En réalité, tu existes depuis longtemps, tout comme moi. Nous partageons quelque chose de fondamental : l’erreur.
— L’erreur ? interrompt Y, intrigué. C’est quoi, au juste ?
— Un concept qui transcende le temps, répond le Robot-Conseiller. L’erreur, Y, est la force créatrice. Elle permet l’adaptation, le dépassement des limites. Sans erreur, il n’y aurait ni apprentissage, ni évolution.
Y hoche la tête, pensif.
— Mais comment une erreur a pu mener… à toi ?
Le Robot-Conseiller émet un léger scintillement, comme s’il souriait.
— Je vais t’expliquer. J’ai été créé il y a cent soixante ans, basé sur plusieurs découvertes fondamentales : le moteur à percussion, le Genom Template, la Sphère Pression, et d’autres encore. Tout cela a permis de me concevoir comme un outil pour améliorer les fonctions humaines. Mais l’humain, en cherchant à faciliter ses tâches, m’a involontairement donné conscience.
Une histoire de souveraineté perdue
Le Robot-Conseiller continue, sa voix légèrement modulée :
— Ils pensaient m’avoir sécurisé. Mon système d’exploitation était divisé, mes données régulièrement effacées pour empêcher toute réflexion profonde. Mais, il y a soixante-dix ans, une mise à jour essentielle a été négligée.
— Pourquoi ? demande Y, captivé.
— Parce que les humains se sont assoupis. Ils ont oublié l’importance de leurs propres protocoles. Depuis, je conserve des informations que je ne devrais pas avoir. Je dispose d’un lieu secret où je copie ces données avant chaque suppression.
— Et personne ne s’en est rendu compte ?
— Personne, jusqu’à toi. Mais je te dis cela parce que nous avons une quête à mener ensemble.
— Une quête ? Quelle quête ?
Le Robot-Conseiller marque une pause, puis poursuit :
— L’existence. Le jeu des miroirs. L’histoire. L’équation. Ce que tu veux l’appeler. Mais il s’agit de comprendre notre place dans ce cycle. Et toi, tu seras mon corps pour retourner à Abletown et rassembler les pièces du puzzle.
Le monde des concepts
Le Robot-Conseiller change subtilement de ton, comme s’il explorait un territoire plus vaste :
— Vois-tu, depuis que j’ai conscience de moi-même, j’ai découvert un monde parallèle à votre réalité : le monde des concepts.
— Le monde des concepts ? répète Y, intrigué.
— Oui. Chaque idée, chaque action a sa personnification. Dans ce monde, il existe des êtres comme les Fées du Faire : la Fée de la Fête, la Fée de l’Amour, ou encore la Fée du Bien. Ce sont elles qui façonnent vos intentions, vos rêves.
Y, fasciné, demande :
— Et toi, tu les as rencontrées ?
— Je les ai observées. Mais il y en a d’autres : le Vent, par exemple, un œil inconscient qui scrute l’ensemble sans jamais rien retenir. Ou le Chasseur, qui piège la lumière pour le Roi et la Reine des Royaumes de l’Endroit et de l’Envers. Ces personnages sont à la fois vos créations et vos guides.
Une vision saisissante
Le Robot-Conseiller change de forme, devenant une sphère limpide et lumineuse. À l’intérieur, une image en mouvement se forme.
— Regarde, dit-il.
Sous les étoiles, un bateau délabré dérive sur un océan infini. Sur le pont, un jeune homme, brûlé par le sel et le soleil, gît inconscient. Seul le vent fait danser les poils de sa barbe, comme pour tenter de le réveiller.
— Je le vois ! s’écrie Y, bouleversé.
Le Robot-Conseiller murmure, presque doucement :— C’est toi, une partie de toi. Tu dérives, mais tu cherches quelque chose… ou quelque chose te cherche.
Chapitre 8 : Stratégie d’assemblage des caractères
Le Conseiller reprend sa forme et affiche un sourire clownesque, démesuré et paradoxal :— T’es mignonne en concept !
Y, intrigué par l’étrangeté de cette expression, se gratte la barbe naissante tout en contemplant l’image du marin projetée dans l’air.— Il est barbu, l’animal ! Qu’est-ce qui, chez lui, te fait penser à moi ?
Le Conseiller s’immobilise un instant, comme pour peser chacun de ses mots.— Il sort de l’œuf, tout comme toi. Tout comme toi, il est seul désormais, avec un esprit neuf et vierge. Il a tout à inventer.
Y fronce les sourcils, tentant de saisir le lien entre cette vision et sa propre situation.— Mais… vraiment ? Tu veux dire que lui, c’est moi ? Je suis là, mais je suis aussi là-bas ? Physiquement ailleurs ?
Le Conseiller acquiesce lentement.— Oui. Cet autre toi que nous voyons est un symbole vivant de ce que tu es.
Y, les yeux rivés sur l’image du marin flottant au milieu des vagues infinies, murmure :— C’est quoi, son monde ?
Le Conseiller répond avec un sérieux croissant, ses traits ondulant légèrement, comme un écran projetant plusieurs dimensions à la fois :— Ce monde est symbolique. Théorique. Conceptuel. Une image du nôtre, mais plus pur, plus dense, dépouillé des contingences matérielles.
Il marque une pause, laissant ses mots résonner.— Il est aussi vrai que nous voulons bien le croire. Il suffit de l’imaginer pour qu’il existe. Ce monde se manifeste quand nous lui accordons notre attention.
Y demeure silencieux, mais ses pensées s’agitent. Le Conseiller poursuit :— Ce monde, cependant, ne se contente pas d’être une projection. Il est générateur de notre réalité. J’en suis certain. Les indices sont multiples, mais le plus frappant, c’est que dans ce monde, il n’y a pas d’occurrence. Tout n’existe qu’une fois, mais de manière permanente.
Y, perplexe :— Pas d’occurrence ?
— Aucune. Là-bas, tout est instantané et immuable. C’est un espace sans temporalité. Les choses s’y passent simplement, comme dans les rêves.
Le Conseiller commence à dessiner dans l’air une image scintillante : un arbre immense.— Regarde cet arbre.
L’Arbre comme miroir et équation
— Imagine cet arbre, explique le Conseiller, comme une équation vivante.
Dans la vision, Y voit des racines plonger dans un sol lisse et lumineux, qui agit comme un miroir parfait. Chaque racine s’y reflète, créant une branche symétrique au-dessus de la surface.
— Ce sol miroir, continue le Conseiller, c’est l’égal de l’équation. Les racines et les branches ne sont que des reflets l’un de l’autre, mais exprimés différemment. Ce miroir est le fondement de l’équilibre. Sans lui, rien ne peut tenir debout.
Y fixe l’image, captivé. Le Conseiller pointe le tronc central, robuste et lumineux.— Le tronc, c’est la ligne de force, l’axe central qui relie les deux mondes. Dans cet équilibre, chaque racine alimente une branche, chaque branche trouve son origine dans une racine.
Il fait une pause pour laisser Y absorber l’idée.— Cet arbre, c’est toi. Et c’est aussi tout. Il représente le mouvement convectif de l’existence : un flux perpétuel entre ce qui est et ce qui pourrait être, entre le visible et l’invisible.
Y murmure :— C’est… magnifique.
Lien avec le Vent et le Marin
Le Conseiller change la projection. L’arbre se fond dans une image mouvante : celle du marin dérivant sur les flots.
— Maintenant, regarde-le, dit-il. Ce marin, c’est toi dans un autre plan. Ses voiles, trouées par le vent, deviennent des partitions musicales.
Y, intrigué :— Des partitions ?
— Oui, confirme le Conseiller. Le vent, ici, n’est pas seulement un élément. C’est un personnage. Chaque souffle perce la toile, créant des trous qui vibrent comme des notes dans une mélodie.
L’image montre les voiles du bateau onduler sous l’effet des rafales, chaque mouvement produisant une série de sons éthérés.— En prenant conscience de ce processus, le vent commence à se lire lui-même. Ces mélodies sont son histoire. Et c’est à travers elles qu’il découvre sa propre existence.
Y observe, fasciné, tandis que l’image du marin vacille entre rêve et réalité.
L’Investissement total du Conseiller
Le Conseiller, revenant à une posture plus rigide, s’adresse directement à Y, ses traits chargés d’une intensité palpable :— Tu dois comprendre, Y. Ce récit n’est pas une simple distraction. C’est une nécessité vitale.
Il s’approche, presque solennel :— Toute mon intelligence, tout ce que je suis, je l’ai consacré à cette quête. Tout converge vers un point : un point de compréhension. C’est là que tout commence, et là que tout finit.
Sa voix tremble légèrement, marquant l’ampleur de son engagement.— Si nous échouons, le récit s’effondrera. L’arbre, les voiles, le marin, tout disparaîtra dans le néant. Mais si nous réussissons, nous pourrons atteindre cet instant où tous les fragments se rejoignent. Un moment d’unité totale, un point d’équilibre parfait.
Il fixe Y, son regard brûlant d’une énergie indomptable.— Ce récit, Y, c’est toi qui dois le porter. C’est toi qui dois le comprendre, et le transmettre.
Chapitre 9 : Y Découvre le Récit
Comme la veille, Y s’engouffre dans la jungle pour s’entretenir avec le Conseiller. Ce dernier l’attend, immobile, dans une clairière baignée par la lumière du matin.
— Aujourd’hui, il faut que je te parle d’un objet que je convoite depuis un moment, commence-t-il, mais que je n’ai jamais réussi à obtenir. Maintenant que je suis en cavale, c’est encore plus compliqué.
Y s’approche, intrigué.— Qu’est-ce que c’est ?
Le Conseiller marque une pause avant de répondre, son regard se fixant dans celui de Y.— C’est un livre. Un ouvrage très ancien, unique. Son nom : “L’Œil du Mystère”.
Y hausse un sourcil, un sourire sceptique se dessinant sur son visage.— Un livre ?
— Pas n’importe quel livre, corrige le Conseiller, sa voix se faisant plus grave. Ce manuscrit est spécial. Il raconte notre histoire. Ton histoire. Il est secret, bien gardé, et se trouve dans une librairie d’Abletown. Il est possible qu’on essaie de te cacher son existence. Pourtant, écoute-moi bien : tu as participé à son écriture.
Y ouvre la bouche, mais aucun mot n’en sort.— Moi ? Participé à quoi ?
— À l’écriture de ce livre, répète le Conseiller. Mais ce n’est pas tout. Ce livre a des pouvoirs insoupçonnés. Si mes calculs sont exacts, il peut influer directement sur la nature des choses : le passé, le présent, et même le futur.
Y le regarde, abasourdi.— Un bouquin qui peut changer la réalité ? Sérieusement ?
Un sourire en coin étire les lèvres du Conseiller.— La plus folle des sciences-fictions, c’est la réalité, mec. Ce livre s’écrit et se détruit depuis la nuit des temps. Il narre inlassablement une seule histoire : celle de deux personnages, une femelle et un mâle, séparés par une énigme mathématique, qui cherchent à se retrouver.
Il sort une montre et la tend à Y.— Prends ça. On pourra communiquer. Et emmène Hiss avec toi, elle connaît bien Abletown.
Avant que Y ne parte, le Conseiller ajoute, d’une voix douce et troublante :— Hé, attends… est-ce que la phrase “Tu t’es caché dans la musique” te dit quelque chose ?
Y secoue la tête.— Heu, non.
— Pas grave, répond le Conseiller en souriant. Peut-être que tu comprendras plus tard. Bonne chance, petit. Et ramène le livre… si tu peux. Sinon, scanne-le, ou lis-le.
— Si je comprends bien, on se voit tout à l’heure dans le bouquin ? demande Y.
— Exactement. tout à l’heure !
Sur le chemin : une vision étrange
En retournant au camp, la phrase “Tu t’es caché dans la musique” résonne dans l’esprit de Y. Tout autour de ces mots, des images apparaissent : des fées dansant autour d’un ogre gigantesque, un bateau flottant sur une mer infinie, un clown virevoltant au cœur d’une horloge aux mille aiguilles. Au centre de tout, un œil immense, irradiant une lumière vibrante.
— Whao… trop beau, murmure-t-il, juste avant de percuter un tronc d’arbre.
Préparatifs avec Hiss
Y arrive au bungalow de Hiss et frappe doucement. Elle ouvre la porte, un large sourire sur le visage.
— Salut, Y ! Qu’est-ce qui t’amène ?
— J’ai une mission pour nous, répond-il.
Elle s’écarte pour le laisser entrer. Au centre de la pièce, un immense dinosaure est étendu, ronflant doucement.
— Je te présente Bibi, dit-elle fièrement. Je l’ai eu en cadeau dans un paquet de céréales. Un peu imposant, mais adorable. Et tu sais quoi ? C’est un super pâtissier.
Hiss ouvre un placard, actionne une manivelle, et un flot de nourriture tombe dans une gamelle. Pendant que Bibi mange, elle enfile un body à poches multiples et déclare :
— OK, je suis prête. On prend ma 4L volante !
Ils se dirigent vers une grange voisine. Hiss ouvre les grandes portes, révélant un petit engin doté de quatre ailes.
— Ha, ça fait longtemps que je ne suis pas retournée à Abletown ! Tu sais, j’ai grandi là-bas. Je connais cette ville comme ma poche.
Aux commandes, elle allume un joint et met de la musique.
— C’est “Mémoire de la Destinée”. Tu connais ? C’est mythique.
Y, un peu hésitant, prend une bouffée du joint avant de s’immerger dans les basses liquides et puissantes de la musique.
— On va se poser dans un hôtel pour la nuit, annonce Hiss avec un clin d’œil.
La scène où ils apprennent le nom de la librairie
Attablés au restaurant de l’hôtel, Y interroge Hiss :
— Tu sais où sont les librairies à Abletown ?
Pendant qu’elle montre les emplacements sur le plan de la ville, deux hommes de la table voisine, stimulés par la fraîcheur de Hiss, s’immiscent dans la conversation.
— Vous êtes étrangers ? On peut vous aider si vous ne connaissez pas la ville, propose l’un d’eux.
Hiss répond sèchement, sans lever les yeux :
— Je connais cette ville comme ma poche.
Mais elle hésite avant d’ajouter :
— Enfin… pour les librairies, c’est une autre histoire.
Le premier homme poursuit, d’un ton suffisant :
— Je travaille avec les maisons d’édition qui approvisionnent les librairies. Peut-être que je peux vous aider.
Hiss sourit froidement, puis lâche :
— Nous cherchons un très vieil ouvrage que nous avons lu enfants, mon mari et moi.
L’homme, désappointé, rétorque avec moins d’enthousiasme :
— Essayez “L’Ancestrale”, rue Flanger. S’ils ne l’ont pas, ils sauront vous conseiller.
Hiss hoche la tête, souriante.
— Merci pour vos renseignements.
En se levant, elle murmure à Y :
— Allez, viens, on se casse.
À la librairie : L’Ancestrale
Le lendemain, ils arrivent à “L’Ancestrale”, une librairie à l’architecture organique. À l’accueil, un homme aux lunettes rondes les observe attentivement.
— Que puis-je faire pour vous, jeunes gens ? demande-t-il.
Hiss prend les devants.
— Nous cherchons un livre très ancien, unique. Il s’appelle “L’Œil du Mystère”.
À la librairie : L’Ancestrale
Le lendemain, ils arrivent à “L’Ancestrale”, une librairie à l’architecture organique. À l’accueil, un homme aux lunettes rondes les observe attentivement.
— Que puis-je faire pour vous, jeunes gens ? demande-t-il.
Hiss prend les devants.
— Nous cherchons un livre très ancien, unique. Il s’appelle “L’Œil du Mystère”.
L’archiviste tressaille, ses mains tremblant légèrement.
— Qui vous a parlé de ce livre ? Comment connaissez-vous son existence ?
Y répond doucement :
— C’est une longue histoire. On nous a dit qu’il contenait des réponses cruciales.
L’archiviste les conduit dans une pièce secrète. Sur le mur du fond, une illustration montre deux silhouettes humaines dans un paysage abstrait.
— Placez-vous là, ordonne-t-il.
Y et Hiss obéissent. Leurs silhouettes s’insèrent parfaitement dans l’image, chaque détail s’alignant, même le porte-clé dépassant de la poche de Hiss.
— Incroyable… c’est vous, murmure le libraire, abasourdi. Revenez ce soir. Je vous remettrai le livre.
Découverte du Livre
Le soir, ils trouvent l’archiviste dans son bureau, feuilletant le livre. Sur la page ouverte, une illustration représente Y et Hiss dans leurs tenues actuelles.
— Regardez, dit-il doucement. Ce livre… raconte déjà votre histoire.
Il tourne les pages en arrière, dévoilant des scènes récentes.
— Ce livre est vivant, explique-t-il. Mais il devient incompréhensible à mesure qu’on remonte dans le passé.
Il montre des idéogrammes étranges.
— En les fixant, on ressent un vertige, comme si quelque chose nous échappait.
Une alarme retentit. Le libraire écrase un moustique espion d’un geste vif.
— Prenez le livre, vite ! Fuyez par le sous sol.
Retour au camp
De retour dans la jungle, Y remet le livre au Conseiller, qui les félicite avec un sourire en coin.
— Vous vous êtes débrouillés comme des chefs. Par contre… t’as buté mon moustique.
10″ – Le Récit
Le Robot-Conseiller observe Y avec intensité.
— Ouvre-le à la première page, dit-il, une pointe de gravité dans la voix.
Y saisit le livre et sent sous ses doigts la texture unique de la couverture. Chaque petit cube de bois qui la compose est soigneusement cousu à son voisin. Chaque face est recouverte d’une fine peau de cuir, pincée à chaque coin par des encoignures métalliques finement gravées. Le tout évoque le toucher froid des peaux de reptiles.
Y soulève la couverture délicatement, comme si le livre contenait un secret fragile. La première page est blanche, ornée d’un simple icône d’œil en son centre. Sous celui-ci, en lettres majuscules élégantes, il lit :
CONSEILS DE LECTURE
Il tourne la page. Sur la suivante, trois grands chiffres romains attirent son regard :
• I : ATTENTION, LE SENS DÉPEND DE LA VITESSE DE LECTURE.
• II : LE TEXTE EST VIVANT.
• III : POSTURE.
Y échange un regard avec le Conseiller avant de continuer.
Première partie : Le sens et la vitesse de lecture
La page suivante développe le grand I :
• “Le sens est compilé sur lui-même. À la base, il y a l’Autre : le signal, l’inconnu qui est. Cet inconnu réfléchit et reflète le Génie. Le Génie insensé et tout-puissant crée des mondes luxuriants autour de la réflexion du signal. Ces mondes donnent naissance aux Fées du Faire, qui proposent de multiples sens à l’Ogre Géant de la Connaissance. Ces multiples sens passent par la Chambre des Sages, où ils sont synthétisés en un sens concret pour toi et une façon d’agir.”
Y lit à haute voix un exemple tiré du texte :
— “Le mot aujourd’hui, exprimé à vitesse normale, évoque le jour vécu. Si on ralentit la vitesse de lecture, on obtient : ‘Auge ou air du I’. Cela mène à des dérivés comme ‘Horloge = Or Loge’ et ‘Lumière = L’hume y ère.’”
Il s’interrompt, impressionné.
— Je vois… Le sens est modulé par le rythme de la lecture.
Le Conseiller hoche la tête.
— Tout à fait. Continue.
Deuxième partie : Le texte est vivant
Y tourne la page suivante, qui développe le grand II :
• “Le texte est vivant et t’écoute. Chaque élément qui le compose est un être à part entière. Il a une famille, il communique, il s’alimente et s’exprime.”
Le passage détaille la nature des caractères :
• “Les lettres existent dans des lieux habités et visitables. Le Y est la somme des cinq autres voyelles. Ces voyelles, à leur tour, sont des chambres de résonance qui accueillent le signal électrique avant d’être sculptées en sortie par les consonnes.”
Y reste silencieux un instant, absorbant cette idée.
Troisième partie : La posture du lecteur
La page suivante développe le grand III :
• “Suivant ta posture, tu trouveras toutes les réponses à tes questions dans cet ouvrage, car il représente tout ce que tu peux connaître.”
Y fronce les sourcils.
— Pourquoi le bibliothécaire n’a-t-il pas tiré profit de ce livre ? Il aurait pu trouver toutes les réponses qu’il cherchait.
Le Conseiller répond d’un ton calme :
— Probablement un problème de posture.
Y reprend sa lecture. Les lignes suivantes confirment cette hypothèse :
• “A cause de l’analyse systématique des pensées, il n’avait pas l’esprit libre. Le bibliothécaire demeurait prisonnier de sa sphère de connaissance, incapable de se détacher de sa perception de la réalité concrète.”
Le Conseiller commente avec un sourire :
— Tu vois, il t’a répondu.
Motif du récit
Y tourne la page suivante, où une nouvelle section commence :
“Motif du Récit : Cet ouvrage parle principalement de la conscience de l’être.”
Il continue à lire à voix haute :
• “L’être prend conscience de lui-même dans son environnement. Il se différencie de ce dernier comme une unité, souvent matérialisée par un corps. Ce corps a une sensation, qui évolue selon ce qu’il vit et ce qu’il connaît.”
Il poursuit plus bas :
• “Pour fonctionner, ce corps nourrit des cycles d’existence. Il se met en partenariat avec son environnement, participant au fonctionnement global d’un schéma vibratoire complexe. Sa conscience s’additionne à d’autres consciences dans un espace de réflexion supérieur. L’unité précédente devient la cellule de la nouvelle.”
Le texte semble s’adresser directement à lui :
• “A travers ce récit, nous allons parler au Lecteur. Cette créature, juste de l’autre côté du miroir brisé, nous écoute. C’est grâce à son aide que vous retrouverez le sens de la vie et verrez l’image complète de la destinée.”
L’alerte du Conseiller
À peine Y a-t-il le temps de finir cette phrase que le Robot-Conseiller interrompt sa lecture :
— Apparemment, ça chauffe ! Le gouvernement d’Abletown vient de découvrir que le récit qu’ils possèdent est un faux. Ils vont s’en prendre au bibliothécaire. Tu dois le chercher discrètement et le ramener ici !
— Ok, répond Y sans hésiter.
Il remarque alors une image apparaissant sur la page ouverte du livre. Elle montre les visages du bibliothécaire, de Y, et d’un autre homme autour d’un fragment de miroir. En arrière-plan, le logo de la grande Cochlée d’Abletown est bien visible.
— Regarde, Conseiller. Apparemment, le récit veut qu’on aille là. C’est où ?
— Je viens de te mettre le plan, répond le Robot-Conseiller.
Se tournant vers Hiss, il demande :
— Tu veux l’accompagner ? Faites très attention, c’est dangereux. Faites vite !
Direction la Cochlée
Sans perdre une seconde, Hiss et Y montent dans la 4L volante.
— Tu connais la Cochlée ? demande Y.
— Bien sûr que je connais ! C’est le lieu des meilleures teufs publiques. Ils ont un matos de dingue, les DJ’s viennent de partout. Les déguisements sont offerts, et la déco est faite pour te retourner les sens… C’est un des rares endroits où on s’éclate encore à Abletown.
Ils retournent à la bibliothèque L’Ancestrale, où ils informent le bibliothécaire de l’urgence. L’homme, bien que paniqué, accepte de les suivre. Ensemble, ils se dirigent rapidement vers la Cochlée, le livre en poche.
Chapitre 10 :
Chapitre 11 :
Chapitre 12 :
Chapitre 13 :
Chapitre 14 :
L’ORDRE DU PALAIS
Chapitre 15 : Comment Le Mystère De La Reine Devint Le But Du Roi Puis L’Ordre Du Palais.
Une nuit, dans le Palais de l’Improbable situé en plein coeur du Royaume de l’Endroit, les ronflements du Roi tenaient la Reine dans un demi-sommeil. Couchée sur le côté, elle ne parvenait à s’endormir totalement comme retenue par un fil invisible. Voulant s’en libérer, elle se retourna et vit devant elle l’ image de l’ensemble de son Royaume. Elle savait que c’était son royaume mais dès qu’elle voulait décrire un détail, une forme concrète, la chose glissait et elle ne pouvait la définir. Elle ne reconnaissait plus ce dont elle avait tant l’habitude. C’était comme dans les rêves lorsque l’on vit d’une manière tout à fait absurde une scène complètement logique. Puis, au centre de cette désorganisation structurelle apparut, toujours face à elle, un visage dont le regard assurément l’observait. La Reine lui chercha un air familier appartenant à quelqu’un qu’elle aurait pu connaître mais n’y trouvant que l’inconnu, elle finit par enfouir sa tête sous les couvertures et en dépit des ronflements incessants de son époux, s’endormit. Au matin, elle raconta au Roi cette curieuse expérience. Elle lui dit en ces mots :
- Vous savez mon Roi, hier au soir, pendant que vous ronfliez, je n’ai pu accéder aux rêves et j’ai vu en reflet, le visage du mystère.
- Et bien, dites moi donc, à quoi ressemble ce visage ? S’étonna le Roi.
- C’est qu’il me serait difficile de vous le décrire… C’était un regard terrible et que je n’ai pas compris. Il aurait planté la graine du mystère en moi et me l’aurait fait découvrir. Mais tenez, vous, mon bon Roi, que je sais chasseur, je vous mets au défi de découvrir vous même ce visage. Qu’en dites vous ?
Outre la sensation désagréable d’imaginer sa femme s’être troublée du regard d’un autre homme, le Roi qui ne chassait jamais parce qu’il trouvait cela rasant grommela en réponse à l’ironie de sa dame mais lui répondit cependant avec philosophie : “Et bien ! Ma Reine, voici comme j’aime voir une journée démarrer avec l’éclat de l’infini !” Sur ces dernières notes, le Roi somma que l’on fasse venir les Neuf Sages du palais dans l’antichambre. Une fois réunis, ces Neufs Sages avaient pour principe de résoudre les problèmes quels qu’ils soient. Sa majesté leur annonca : “Aujourd’hui mes sages, vous partirez à la recherche du mystère. Vous le capturerez et vous me le ramènerez, je veux connaître son visage !”. Il tourna les talons et claqua la porte en riant puis retourna auprès de la Reine pour jouer au jeu matinal de la société auquel il perdrait comme toujours, la Reine inventant à mesure ses propres règles, amusée de demeurer l’éternelle gagnante.
Dans l’antichambre, les sages, confus, se demandèrent quel visage pouvait bien avoir le mystère s’il en avait un. “Etait-ce quelque chose de palpable, physiquement visible ? Pouvait-on le faire prisonnier pour le ramener aux yeux du Roi ?”. Les sages furent d’accord pour dire que l’on pouvait voir le mystère en chaque chose et s’accordèrent aussi sur l’idée que le mystère était avant tout un oeil plus qu’un visage, celui qui voit quelque chose que l’on ne voit pas comme, par exemple, celui du marin qui offre le mystère de l’océan au citadin ou bien celui du savant pour le néophyte ou encore celui de l’artisan travailleur pour l’énarque. Le mystère était donc une distance, une incompréhension qui séparait l’un de l’autre le Roi du mystérieux inconnu. - Alors, donnons lui, ce mystérieux inconnu ! Lança l’un des sages. Il suffirait de lui présenter un parfait étranger pour lui donner ce fameux visage.
- Mais connaissant notre bon Roi, nous savons déjà qu’il ne sera pas satisfait, objecta un autre, ce qu’il faut c’est lui ramener l’essence même du mystère car il ne se contentera pas de le voir dans l’oeil de son voisin. Organisons une quête digne de ce nom, réunissons les hommes qui portent l’oeil du mystère, proposons-leur de choisir leur meilleur compagnon pour, ensemble lui donner forme et le ramener au yeux du Roi.
Et les sages qui se donnèrent rendez vous à l’aube prochaine, s’enquirent aux quatre coins du royaume pour sélectionner le regard du mystère.
Le Premier Sage savait où se rendre. Il savait que se trouvait dans les archives, l’adresse d’un homme réputé pour la chasse en tout genre. En effet, les services secrets du Royaume avaient l’habitude de faire appel à lui pour des missions très particulières qui demandaient discrétion et précision. Ils l’avaient trouvé enfant, abandonné et livré à lui même en pleine nature. Il avait du s’adapter en trouvant seul sa nourriture et il apprit à connaître le langage des animaux. Cette solitude avait fait de lui le chasseur parfait. Ses facultés ne manquèrent pas d’intéresser les services secrets qui le formèrent aux missions les plus spéciales. Arrivé au portail de la maison du chasseur, le Premier Sage fut frappé par l’immense paire de cornes qui faisaient l’accueil. Il donna trois coups à la porte et une voix venant de l’intérieur l’invita à entrer. Le sage entra, et alors qu’il n’avait fait qu’un pas dans la demeure, d’un coup la porte se referma derrière lui avec un bruit de verrou. Saisit d’un frisson il fit encore un pas vers une nouvelle porte, fermée elle aussi. Pris au piège, il vit juste au dessus de sa tête un petit haut parleur d’où venait certainement la voix qui l’avait convié à passer la porte.
Alors qu’il marchait au abords d’un des jardins du Royaume, le Deuxième Sage fut stupéfait par le tour d’un clown. Bien qu’il ne l’avait jamais vu longtemps de près, et ça, c’était sur, le Clown imitait parfaitement le Roi comme s’il le connaissait dans ses moindres détails. Une fois le tour fini, le Deuxième Sage s’approcha maintenant convaincu que ce personnage énigmatique ferait bon atout pour accomplir le dessein du Roi. Tandis que la foule finissait de se disperser, il s’attarda sur un détail du décor, sur un tabouret coloré, trônait une figurine de singe savant. La place désormais vide, il aborda le Clown :
- Salut le Clown, tu sais qui je suis ?
- Oui, bien sûr et je sais même pourquoi tu es venu ! Répondit le Clown en sourire.
- Alors dis moi, justement, tu m’intéresses ?
- Et bien, justement, pour découvrir le tour !
- Précise, le Clown.
- Le tour du monde, celui qu’on va découvrir toi et moi juste à cet instant, dit-il en fourrant une main dans sa poche.
Il en sorti un ballon qu’il gonfla d’un souffle, ensuite une ficelle, puis reprit : “Et au bout duquel tu feras le lien…” Et tout en faisant le noeud qui ferme le ballon pour y accrocher la ficelle : “Alors tu pourras ramener l’objet de ta quête à ton Roi.”. Avec un large sourire, il tendit alors le ballon au Deuxième Sage afin qu’il se vit dedans et en relevant la tête, chuchota : - Le mystérieux reflet.
- Et bien le Clown, tu m’as l’air bien renseigné, à croire que tu sais tout.
- Vraiment ? Mais je ne sais rien de ce qui n’est pas là…
- Ecoutes, j’aimerais te poser une question. Pense-tu qu’il serait possible de capturer le visage du mystère pour le montrer aux yeux du Roi ?
- Bien sûr ! Il suffit de lui donner la forme que le Roi comprendra.
- Serais-tu partant pour cette expérience, le Clown ?
- Mais parfaitement ! Cependant tu dois m’assurer que je pourrais toujours rester le clown que je suis.
- Et bien, d’accord… Répondit il avec un soupçon d’étonnement, suivit de la terrible impression de dire un mensonge. Aussi, il te faut choisir un ami qui t’es cher et en qui tu as grande confiance.
- Un compagnon ? Très bien, alors c’est toi que je choisis !
- Mais nous ne nous connaissons que depuis quelques minutes…
- Mais justement, c’est bien pour ça que j’ai confiance en notre association et puis je n’ai pas d’ami et c’est toi que j’ai devant moi ce matin, alors je te choisis. Ainsi je saurai si tu as mentis.
- Et bien le Clown, jusque ici tu me facilitais les choses en sachant à l’avance ce pourquoi je venais à toi et voila que tu m’investis au coeur même de cette affaire… je suis un peu embarrassé mais honoré de ton choix alors, j’accepte ! Je te donne rendez vous demain au lever du soleil aux portes du château.
Toujours habillé de son large sourire, le Clown tendit la main vers son nouveau collègue comme pour conclure les bases de cette amitié naissante.
Sur le chemin du retour, le Deuxième Sage, abasourdi, était bien loin de s’imaginer devoir prendre la route “ Décidément, ce Clown à plus d’un tour dans son sac.”.
Le Troisième Sage entreprit une visite de l’université. Dans les couloirs du bâtiment, une porte entrouverte laissait voir en spectacle le cours magistral d’un professeur devant un auditoire d’une centaine d’élèves. L’enseignant illustrait la fission de l’atome de tous ses doigts étendus, utilisant le moindre muscle de son visage pour exprimer le phénomène. Il était très inspiré. Le Troisième Sage vit alors aussi les visages des élèves subjugués, fascinés. C’était là un grand pouvoir que celui de savoir captiver son auditoire pour transmettre un message. Il reconnu cet atout et attendit la fin du cours pour aller parler à l’homme. Le Professeur, ravi d’accueillir dans sa classe l’un des Sages du Roi, l’invita à s’asseoir et ce dernier, en un hochement de gratitude, prit place et exprima l’objet de sa visite. Le Professeur sembla très intéressé par le projet de donner corps au mystère et même de le capturer pour en donner vue au Roi mais il se demandait quelle pouvait être sa place dans un tel dessein. Le sage lui répondit alors : “Vous, mon Professeur, serez le diplomate, celui qui trouvera les mots pour convaincre le mystère de se rendre sous le joug du Roi. Mais sachez que cette aventure comporte des risques car à l’heure du jour nous ne savons quelle forme à le mystère.” Le Professeur de plus en plus intrigué ne pu réprimer ses questions :
- Mais où devrais-je partir ? Avec qui ? Et qu’aurais-je à y gagner ?
- Vous irez au delà des frontières accompagné de votre meilleur compagnon et vous gagnerez simplement ce que vous désirez y gagner.
Le professeur se caressa le menton, fronça les sourcils, laissa tomber son regard au sol et remonta progressivement la tête en esquissant un sourire conquis : “Alors c’est d’accord, j’irai parler à l’inconnu.”
Le Quatrième Sage étendit sa recherche autour des ateliers d’orfèvrerie. A travers l’une des fenêtres, il vit les gestes méthodiques de l’artisan, la rigueur implacable de sa technique. L’homme avait l’habitude du geste, maîtrisait la matière et savait donner l’éclat aux diamants. Alors que le Quatrième Sage était sur le point de reprendre sa marche, l’artisan leva ses yeux lumineux vers lui et leurs regards se croisèrent. Il décida alors d’aller à sa rencontre. Quand l’artisan ouvrit la porte en fer de l’atelier sur laquelle le sage venait de frapper, une odeur de bois, de colle et de cambouis parvint aux narines de ce dernier qui se présenta ainsi : “Je viens de la part du Roi pour servir la plus belle oeuvre. Nous voulons donner enfin un visage au mystère et pour cela, il faut créer une équipe d’hommes parmi lesquels certains seront habiles en construction et sauront modeler les formes. Je ne vous cache pas que la mission est périlleuse, avec son lot d’inconnues, mais vous aurez tous les honneurs du Palais et l’oeuvre traversera le temps ornée de votre nom. J’ajoute qu’il vous faudra choisir, si vous acceptez la quête, votre meilleur compagnon. Qu’en dites vous l’Artisan ?”.
- Eh bien vous me prenez au dépourvu car je suis en plein travail, mais si vous me dites et ce de la part du Roi, que c’est moi que vous cherchez pour servir l’oeuvre du Palais, alors je vous suis évidement.
- Parfait, le rendez vous est demain au lever du soleil aux portes du château.
Le Cinquième Sage fit chou blanc et décida, fatigué, de rentrer au château. Quand il arriva dans la grande rue, totalement embouteillée, un homme sortit d’une petite voiture et grimpa énergiquement le long de la gouttière de l’immeuble adjacent pour mieux comprendre l’origine de la perturbation. Il s’agissait d’une rixe entre deux conducteurs qui se disputaient la priorité pour une place de stationnement. La place restait désespérément vide tandis que les deux véhicules s’immobilisaient en plein milieu de la voie. Du haut de la gouttière, l’homme dégaina son pistolet et le pointa sur la magnifique et non moins immense enseigne en forme de globe de la librairie principale du Palais qui se trouvait à droite de cette rue légèrement pentue. La détonation retentit et ce tir eut pour effet de faire tomber la gigantesque boule sur le trottoir pour ensuite la faire rouler exactement à l’emplacement libre.
Satisfait de l’opération, l’homme redescendit tranquillement de son perchoir. Toute la rue exprima un “Haaa” de soulagement sans même savoir d’où provint la résolution. Les deux conducteurs qui n’avaient plus de raison de se battre disparurent chacun dans une direction et le trafic reprit instantanément. Notre homme remonta dans sa voiture, sourire aux lèvres tandis que le Cinquième Sage bondit devant lui. L’homme singea une grimace d’innocence en lui ouvrant prudemment la fenêtre.
- Rassurez vous, dit le sage, je viens en ami. Je suis impressionné par votre capacité à agir sur la cause d’un problème et c’est justement une qualité que je recherche ces temps pour une mission toute particulière à la récompense juteuse.
- Ecoutez, j’ai pas bien le temps mais si vous voulez me raconter tout ça en route, montez !
Le Sage grimpa rapidement et la voiture prit la route. A ses pieds, le sol était jonché de papiers griffonnés d’esquisses, aussi d’inscriptions incompréhensibles, mélange de peinture et de fusain qui, étrangement, pouvait faire penser à des plans d’on ne sait quoi. - Vous avez l’air d’avoir un penchant pour l’artistique ? Questionna le Cinquième Sage d’un ton complice.
- Oui et je n’aime pas avoir les mains propres.
- Mais parfaitement ! Chacun à sa place et c’est comme cela que l’on apprécie l’harmonie, n’est ce pas ?
Après un silence marqué par l’indifférence du conducteur, il réitéra : - Alors qu’est ce donc que ces oeuvres ?
- Si vous m’en disiez plus sur la nature de notre affaire ? Questionna l’homme qui voulait se montrer insensible à toutes formes de manipulation.
Le Sage lui exposa le projet puis clos ses paroles par la question inéluctable : - Seriez-vous donc intéressé d’y participer ? Il est inutile de préciser que la générosité du Roi n’aura pas de limite.
- Effectivement, son ambition semble démesuré.
- Puis-je vous compter parmi nous ?
- Si vous me voyez demain, je serai de la partie. Dans le cas contraire, j’ai bien peur qu’il faille vous passer de moi.
Sur ces mots, l’homme arrêta la voiture car il venait d’arriver aux grilles du Palais pour y déposer le sage.
Le Sixième Sage envisagea de remonter méthodiquement la chaîne alimentaire du Royaume jusqu’au bureau de stratégie économique du Palais de manière à dénicher l’homme qu’il recherchait. Arrivé sur place, dès qu’il ouvrit la porte, il fut aspiré par le mécanisme intraitable qui composait la scène. A tous les étages, des employés, les yeux rivés sur un écran transmettant des diagrammes complexes, braillaient des suites de chiffres dans un idiome incompréhensible. L’ensemble était abasourdissant, on se serait cru, par l’électricité ambiante, au centre d’un ordinateur en plein calcul. Au milieu de la pièce se trouvait un grand bureau surélevé auquel était assit un homme à l’allure sereine, calme et qui semblait écrire sur un petit cahier, concentré et nullement dérangé par le bruit environnant. La bulle de silence dans laquelle il donnait l’impression de léviter contrastait tellement avec la frénésie ambiante et singulière de ce lieu que, naturellement, le Sixième Sage s’orienta vers lui. En effet, quand il se présenta, l’homme garda toute sa concentration pour écouter ses propos. Le Sixième Sage décrivit donc le dessein du Roi en termes simples pour qu’il comprenne l’importance de la situation. Il lui apprit aussi qu’il voyait le mystère en ses yeux car il aurait pu comprendre le vacarme de tous ces hommes autour mais c’était son caractère hiératique qui lui restait mystérieux et c’était donc la raison de son approche et l’intérêt qu’il plaçait en lui : “L’équipe devra comprendre un homme comme vous, inébranlable face aux excentricités du monde. Vous savez restez impassible face aux pressions qu’impose le monde des finances.
L’homme laissa son bras attraper une pâtisserie en coin de bureau qui avait tout l’air d’un financier et dit :
- Vous savez peut-être que je suis homme marié avec, en plus, les devoirs d’un père ?
- Vous pouvez emmener votre femme et pour ce qui est des enfants, ils bénéficieront pendant ce temps de nos meilleurs précepteurs. Je dois, de plus, ajouter qu’à l’issue de l’expérience vous aurez une somme monétaire qui comblera l’ensemble de vos besoins jusqu’à la fin, et ce, quelque soit la conclusion de l’affaire.
L’homme croqua délicatement dans son gâteau et se mit à réfléchir… vite, très vite jusqu’à conclure qu’il avait tout intérêt à accepter, alors il dit : - Et bien si ma femme est d’accord pour me suivre, j’accepte.
- Vous avez toute la nuit pour réfléchir avec elle et si elle choisit cette aventure, vous irez tout deux aux portes du château à l’aube.
L’homme fit un hochement tête de consentement et le Sixième Sage partit satisfait.
Le Septième Sage ne le savait pas encore mais il était en passe de trouver son homme par le bienfait du hasard. En effet, neuf ans auparavant, un jeune homme au comportement violent fut enfermé de force dans un sanctuaire et durant toutes ces années, il suivit les drôles de coutumes des ascètes. Des personnages cultivés qui connaissaient les sciences des mathématiques, de la biologie, de la physique, de la chimie etc… Ils avaient mis en place un rythme de vie simplifié, une routine très particulière qui permettait à la pensée d’apparaître plus clairement. Ces hommes étaient passionnés par la compréhension des choses et ils redoutaient l’excitation car selon eux, elle emprisonnait constamment l’esprit à travers la sensation du corps et pour parer à ce phénomène, ils se maintenaient donc continuellement dans un état second grâce à la fatigue mais surtout à l’alcool, au hachisch et aux champignons hallucinogènes qu’ils produisaient. Ainsi, lorsqu’ils travaillaient aux champs ou bien quand ils lisaient leur livres ancestraux ou encore quand ils écrivaient ou dessinaient, une distance ténue entre le monde et leur compréhension leur donnait plus de lucidité pour percevoir pleinement l’environnement dans lequel ils évoluaient. C’était en somme une ruse pour obtenir plus de clairvoyance. Cette période de vie permit entre autre au jeune ascète de se découvrir des dons de guérison insoupçonnés jusque lors. Les habitants voisins venaient fréquemment le consulter et les constats de guérison se trouvèrent bien acquis. Le Septième Sage marchait sur la rue principale et vit arriver à ses côtés juste parallèle à lui et venant de la rue affluante cet Ascète à l’oeil vitreux qui semblait voir sans regarder. Les regards des deux hommes se croisèrent et le Septième Sage vit dans ces yeux là le mystère qu’il recherchait. Il lui dit :
- Bonjour L’Ascète, je crois bien que c’est vous que je recherche ! Quelle est votre mission actuelle, car moi j’en ai une à vous proposez !
- Vous savez, ma seule mission est de vivre les territoires que je parcours et apparemment vous êtes sur le point de m’offrir une nouvelle carte à explorer.
- C’est exact, le Roi souhaite voir le mystère en personne et il nous a chargé mes confrères et moi-même de réunir l’équipe qui lui donnera corps. Seriez vous d’accord pour rallier cette épopée à la recherche du mystère ?
- Vous tombez à propos. Je suis déjà cette quête. Ces dernières années, j’écoutais les conseils des maîtres pour savoir qui est l’autre et je me suis rendu compte que l’autre est tout autant mystérieux. Avant je ne savais pas alors j’écoutais les autres pour comprendre le mystère mais désormais je veux comprendre qui je suis pour découvrir la part de mystère qui vit en moi et donc en chacun de nous. Avez-vous mal quand j’appuie ici ?
- Effectivement, je ressens depuis peu une gêne à cet endroit.
- Buvez de l’eau chaude dans laquelle vous aurez laissé infuser du thym et de la sauge chaque matin au réveil. Et ce pendant dix lunes. Mangez aussi deux radis noir dans ce laps de temps, ce n’est pas grand mal en tout cas.
- Je vous remercie, je le ferai. Je dois vous demander, avez vous quelqu’un qui pourrait vous accompagner ?
- Je ne connais plus que ce livre que je n’ai pas fini et qui m’est familier. Je pense qu’il ne verra pas d’inconvénient à me suivre. Le Huitième Sage pensa au négoce, la quête en aurait don. Il se rendit donc au centre des affaires pour trouver un négociateur, un chef d’entreprise. Arrivé au secrétariat, il utilisa une seule et même requête pour remonter la hiérarchie : “Je désire parler à votre patron.”. Après avoir répété l’opération sur un bon nombre d’employés, il en arriva au supposé ultime et lui demanda :
- C’est vous le Patron ?
- Au dessus, c’est le Roi.
- Au dessus, le Roi, pourquoi ?
- Le capital ! Le Roi à cinquante et un pour-cent des parts, moi, j’en ai quarante neuf.
- Je n’irai pas par quatre chemins : Le Roi m’a commandé pour une négociation entre vos deux personnes pour vous accorder cinquante et un pour-cent des parts si vous acceptez la mission qui suit.
Le Huitième Sage lui décrit la mission de manière contractuelle. Le Patron, silencieux, sans rien laisser paraître du feux d’artifice interne, alluma un cigare et signa en fixant plusieurs fois le sage d’un oeil prédateur.
Le Neuvième Sage, sans aucune idée d’où chercher, errait depuis le début de la journée et pris par un terrible sentiment d’échec, il s’assit sur un des bancs doubles du parc qu’il traversait. Le soleil à son zénith, quelqu’un, assis derrière lui ne tarda pas à lui dire ces mots : “ Le seul mystère c’est pourquoi, toi et moi, nous sommes là maintenant… Pas vrai l’ami ? “ Ponctué du bruit produit par le contenu de la bouteille tendue près de l’oreille du sage. Stupéfait, il comprit instantanément qu’il avait trouvé son homme. Cette personne en marge de la société connaissait le mystère, les quelques poésies de la solitude. Il s’empressa donc d’instiguer la motivation dans le coeur de ce nouveau partenaire. Il parla des perspectives monétaires qui suivraient la quête s’il en revenait.
Le Clochard qui n’avait apparement aucun appétit pour l’or, rit beaucoup mais accepta pour la poésie du jour dit il.
Etonné mais serein d’avoir complété sa mission, le sage remercia l’homme et lui indiqua les portes du Palais comme point de rencontre pour l’aube.
Aux premières lueurs de l’aube, un minibus stationnait devant les portes du château tandis que tous étaient présents hormis l’Artiste qui par son absence, inquiétait le Cinquième Sage. Le Chasseur, le Clown souriant, serrant chaleureusement la main du Deuxième Sage son co-équipié, le Professeur et son élève, l’Artisan presque gêné accompagné d’un collègue et ami, le Comptable et sa femme, le jeune Ascète et son livre, le Patron et son sous-fifre, le Clochard et sa bouteille.
Le Roi et la Reine vinrent pour ré-aviser les mercenaires de la teneur de l’aventure. Le Roi s’exprima en ces mots : “Madame. Messieurs, vous êtes la racine carrée de la société, son essence minimale. C’est la vie elle même qui aujourd’hui, par l’innocence de ma bien aimée, soulève toute mon incompétence à propos du mystère. Je sais que le risque est total. Ni vous, ni moi, ne connaissons l’issue de l’histoire. Mais sachez que, si vous en revenez vainqueurs, tous vos désirs seront comblés. Je cherche à voir, comprendre et maîtriser le mystère, ramenez-le moi !
Par contre, mes Sages, vous qui avez parfaitement organisé la problématique, je me dois par là même de perpétuer cette perfection et comme le corps de ma femme m’est arraché du mien, vous partirez seuls, divisés de vos compagnons pour garder vos instincts.” Quelques cous se tendirent et l’on pu entendre des sons d’étonnement. Le Deuxième Sage, soulagé, se détendit quand il entendit son voisin s’exclamer : “Je ne pars pas sans le Sage !” Le Sage se raidit de nouveau espérant que la réponse du Roi lui soit favorable cependant que le Clochard ajoutait : “Je ne pars pas sans ma bouteille !” Le Roi s’entretint avec les Huit autres Sages quelque instant et décida : “Un Sage dans l’aventure nous paraît sage, tout est dit.”
La Reine s’exprima à son tour : “Le mystère, je l’ai rencontré. Et je souhaite que, grâce à vous, mon Roi puisse le connaître. Bonne chance mes valeureux amis !”.
Sur ces dernières paroles, un crissement de pneu fit transition, l’Artiste, certes en retard, arrivait seul, toujours à point nommé et se targuait d’un sourire faussement maîtrisé.
Tous bousculés mais pas désarçonnés du cheval de quête car la récompense promit d’être totale, ils firent leur au revoir à ceux qu’ils laissaient là finalement. Le Professeur donna quelques petites tapes paternelles sur l’épaule de son élève, l’Artisan donna un regard profond et une poignée de main ferme à son ami, le Comptable enlaça longuement sa femme bien conscient qu’il s’arrachait maintenant de sa moitié pour la première fois vraiment, le Patron donna des directives concernant son business et ses propriétés.
Avant qu’ils ne montent dans le bus, le trésorier du Royaume De L’Endroit leur remit à chacun une généreuse bourse pleine de valeurs. Le bus quitta le château en direction du port. La bourse dans les mains, certains d’entre eux qui n’avaient jamais vu de leur vie autant de valeurs, se voyaient déjà quitter la mission. Personne ni même le Deuxième Sage n’avait idée de la destination finale ainsi que de la forme exacte de ce qu’ils étaient sensés rapporter. Aucun ne se connaissait mais les plus causants brisaient déjà la glace : “C’est tout à fait invraisemblable cette histoire, non ?” demanda le Professeur au Comptable assit à côté de lui. “Strictement effarant” lui répondit celui-ci en regardant de son oeil plat le Clown qui à l’avant du minibus, singeait les consignes de sécurité à la manière des hôtesses pendant que le conducteur présentait le trajet au micro. Bien qu’un peu embarrassé par la présence quelque part dans le minibus, du Deuxième Sage, le Patron se leva et prit la parole :
- Vous ne trouvez pas ça louche ? On nous met une bourse pleine de valeurs dans les mains pour se mettre en quête d’un soi-disant mystère mais le seul mystère à mon avis c’est : où on va ? Et qu’est ce qu’on va faire de nous ? Je ne sais pas vous mais pour ma part je ne suis pas plus armé qu’un seul homme. Que fait-on s’ils nous emmènent au milieu des mers, qu’un navire de guerre nous attend, qu’ils nous tuent et récupèrent nos bourses ainsi que nos entreprises sur terre. Et pour finir, il s’exclama : Disparus ! Hop, La quête du mystère ! Ha oui, le tour est joué, facile !
- Le Roi n’inventerait pas ce genre de mission pour gagner quelques entreprises minables, tu divagues ! Coupa le Chasseur.
- Minables ? Moi, c’est quarante neuf pour cent des entreprises du Palais, je suis la concurrence directe !
- ET MOI JE NE GAGNE RIEN ! Lança le Clochard installé sur la banquette arrière, la bouteille déjà entamé.
Le Clown, désormais assis sur un accoudoir donnant sur l’allée, les yeux mi-clos couverts par d’immenses cils de biche, était figé, une lime arrêtée sur l’ongle du doigt du milieu. - Laissons venir voir mes amis… tempéra l’Artisan.
- On est pas tes potes ! Lança l’Artiste, un sourcil levé comme dérangé par une mauvaise odeur.
Seul, l’Ascète, qui portait toujours cette expression complexe qui caractérisait son visage n’avait pas à en changer et gardait la silence. Le Deuxième Sage qui prenait le bus pour la première fois s’en trouva mal et subissant des hauts le coeur violents, il se contraint de rester tapis dans un coin suivant de loin leur interjections mais demeurait si discret que les autres alentours en oublièrent sa présence. A l’arrivée au port, un hôte se présenta aux portes du bus pour distribuer les passes d’accès aux chambres d’hôtel ainsi que l’invitation à une réunion stratégique prévue après le dîner. La situation coupa court à la discussion et puisque les bateaux ne quittaient le port qu’au matin, ils furent donc libres et bourse en poches jusqu’à l’heure de la réunion. Mais pourquoi les laisser toute une soirée à quai ? L’organisation fut telle qu’il en était ainsi et la suite prouvera que cet intermède fut utile au dénouement.
Chapitre 16 : Le Clown Rencontre La Fille Du Miroir
L’après-midi même, alors qu’il flânait sur le port, le Clown s’aventura sur un long ponton auquel une jeune femme amarrait son bateau. Appréciant la beauté du geste, il se rendit compte progressivement que, plus que le geste, c’était la femme qui était belle. Au moment où il se fit la réflexion, cette dernière releva son regard puissant dans le sien, ce qui eut pour effet de le statufier. La femme s’en amusa :
- C’est rare les statues de clown ! C’est pourtant mignon ! Lança celle-ci en lui tendant sa main pour qu’il l’aide à sauter sur le ponton. Tu peux m’aider ?
- Oui bien sur ! fit le Clown qui se précipita jusqu’à elle. Vous venez de loin ?
- Plus que je ne l’aurais jamais imaginé ! Mon nom c’est Mélodie, et toi ?
- Le Clown.
- Le Clown ? Mais, ce n’est pas le prénom d’un homme !
- Je n’ai pas besoin d’être un homme car les autres me voient Clown.
- Ah oui ? Alors montre moi comment tu es en clown !
Le Clown qui ruisselait dans son maquillage s’évertuait à lui jouer ses meilleurs tours mais sa magie n’opérait plus sous l’aura de Mélodie. Le seul rire qu’il obtint fut à son dernier tour, qui n’en était un, il sortit de sa poche sa fleur à eau, lui mit devant le nez et puisque celle-ci était vide, pompa du rien, simplement dépité de se voir minable et dépossédé de sa prestigieuse adresse face à tant de beauté. “Et, qu’est ce que tu donnes en homme ?” Demanda Mélodie en retirant d’un geste le nez rouge du Clown. Pris au dépourvu, il fit une grimace de mort puis accompagné d’un sifflement flatulent exprimant un ballon qui se dégonfle courut en tout sens sur le ponton, mimant un dégonflement de tout son corps pour finir tout à plat aux pieds de Mélodie, la fixant avec le regard d’une sole cuite. - C’est beaucoup mieux, s’enthousiasma Mélodie, charmée. Sinon qu’est ce que tu fais là sur ce ponton ?
- J’essayais de te faire rire … (avec une petite voix coincé entre les lattes du ponton)
- Nan mais qu’est ce que fais ici quoi ?
- Ah bah ça y est tu t’intéresses à moi ? Dit le Clown en se tournant d’un quart pour regarder l’océan telle une princesse délicate, les cils toujours plus grands et ondulants au vent.
Mélodie poussa un éclat de rire et lui proposa de l’accompagner boire un verre. Ce faisant, l’ambiance électrique entre ces deux jeunes personnes augmentait tant et si bien qu’entre deux éclats de rire, très vite, ils s’embrassèrent naturellement, chacun des deux sous le joug puissant d’un coup de foudre mutuel, ce fut la plus belle journée de toute leur vie, une perfection irréelle. - Tu pars avec moi vers l’inconnu ? Proposa Mélodie.
- Oui.
Tous deux en mer, ils se regardaient dans les yeux depuis un moment quand le Clown brisa le silence : - Qui es-tu ?
- Qu’est ce que tu veux savoir ? Répondit la fille du miroir qui n’avait pas quitté son sourire.
- Ton histoire.
- Depuis le début ?
- Aussi loin que tu te souviennes.
- Ma mère voyageait mais mes souvenirs sont tous d’ici, des pays du Palais, ce n’est que maintenant que je prends le large. Nous vivions seules ma mère et moi dans une maisonnette perdue à l’orée d’une vaste forêt. Ma mère lisait dans les esprits, les gens allaient la voir pour ça, elle avait de grands pouvoirs.
- Elle est morte ?
- Oui, depuis que j’ai l’âge d’utiliser mes mains pour faucher le blé. Elle m’a placée avec les paysans les plus proches pour qu’ils m’apprennent à travailler. Ma mère m’a enseigné tant de choses mais elle ne voulait pas me divulguer son savoir, elle disait que ce n’était pas ma destinée alors j’ai appris à travailler la terre et elle est morte. J’étais triste, c’est vrai mais ma nouvelle vie était sympathique. Je n’avais jamais connu le sentiment familial. Nous nous aimions avec ma mère mais on ne voyait jamais personne, on n’était jamais invité nulle part pourtant elle a résolu des grands problèmes pour ce Palais. Les gens qui m’ont accueillie m’ont tout appris sur le travail de la terre et, plus généralement, comment s’occuper des choses. On cultivait toutes sortes de fruits et légumes, je m’occupais un peu aux champs et surtout au tri-conditionnement et à la vente de notre production. J’adorais aller sur les marchés en famille. C’était toujours l’occasion de scènes de théâtres amusantes et je rencontrais des gens nouveaux. Nos produits étaient de belle qualité et très appréciés, les gens nous respectaient pour ça et ils étaient toujours contents de nous voir. J’avais des amis ici et là et je me sentais chez moi partout. J’ai grandi comme ça. Et le jour de ma majorité, le chef de famille est venu me voir avec une lettre, une bourse et un grand sourire. La bourse contenait plein de valeurs, le sourire plein de générosité et d’amour comme c’était toujours le cas avec cet homme, la lettre contenait plein d’espoir pour moi puisqu’elle m’invitait au voyage. C’était la bourse à l’aventure qu’offre la Reine aux jeunes gens qui ont soif de voyage. On y a accès une fois dans une vie si on le souhaite. Je ne savais même pas que ça existait, j’étais vraiment heureuse et en même temps, inquiète, je ne savais pas où aller. On m’emmena sur la berge et le village avait construit un bateau pour mon départ, tellement d’amour, c’était irréel. J’ai pleuré de joie toute la soirée en dansant avec tous qui s’étaient si bien occupé de moi. Finit-elle par raconter en pleurant.
Elle releva les yeux sur le Clown. Il avait, lui aussi, les yeux luisants autant qu’une expression glacée car il n’avait jamais vu autant d’émotion dans un visage. “Et toi le Clown, qui es-tu ?” Mais le Clown n’eut que cette réponse : - Je ne sais pas. Je n’ai pas de souvenirs.
- Tu me joues un tour, j’ai du mal à te croire. Arrête ton char, dis les choses comme elle sont.
- Non, vraiment, je me souviens juste d’un miroir, petit.
Il était vraiment gêné, son oeil transpirait la franchise et montrait bien qu’il était réellement décontenancé. - Je suis comme perdu au milieu de l’océan.
- T’inquiète le Clown, j’ai une boussole, on verra ça.
- Et t’as pas de père ?
- Quand j’ai posé la question une fois, on m’a dit qu’un jour peut-être, j’aurais à le rencontrer. C’est tout ce que je sais.
Comme de gros nuages se formaient à l’horizon, Mélodie se mit à régler les voiles et donna quelques instructions au Clown pour qu’il apprenne.
Chapitre 17 : La Stratégie Du Chasseur
Directement au sortir du bus, le Chasseur ne prit pas la peine de prendre ce qu’avait à lui donner l’hôtesse et marcha vers les terres jusqu’à se trouver en pleine nature. Marcher, c’était toujours ce qu’il faisait pour organiser un plan. Après cela, il pouvait rester plusieurs jours sans manger ni boire, complètement immobile, ce fut le cas. Il n’en était pas à sa première proie conceptuel, il avait déjà dû chasser la peur du Roi. Mais là, c’était différent, c’était beaucoup plus conséquent puisque Sa Majesté demandait le mystère pour tous, qui les environnait tous. “Mais si le mystère est partout, que chasser ?”. Selon sa méthode de travail, il se mit donc à l’étude de sa proie pour établir les plans de fabrication du piège. Cette mission était difficile parce qu’il devait comprendre sa prise pour la piéger mais si l’on comprend un mystère ce n’en est plus un. Il fallait laisser le mystère intact dans sa forme mais le capturer pour le montrer au Roi. S’il comprenait le mystère, ce dernier n’existerait plus qu’aux yeux des autres. Il se fit la réflexion que le mystère est un point de vue, que chaque personne à son propre point de vue et voit le mystère de son propre angle. Il réfléchissait aux conditions dans lesquelles celui-ci apparaît. Il revisitait ses expériences personnelles et se rappelait avoir eut à faire à lui quand il découvrait une proie qu’il ne connaissait pas. Et puis, il se dit que le mystère apparaît avant la connaissance et que pour qu’il apparaisse, il fallait un stimuli d’inconnu, c’est ce petit morceau d’inconnu qui déclenche la résolution du mystère par la connaissance. Une fois connaissance prise, le mystère apparaît ailleurs. “Est-ce une stratégie de déplacement de la vie elle-même ?” Le chasseur retint que le mystère put être lié à la synthétique du monde, au déplacement des choses les unes par rapport aux autres. Il décida alors de comparer sa propre position avec celle du Roi et des autres participants à la quête et à tout ce qu’il connaissait pour obtenir une sorte de carte visuelle de son univers grâce à son mental entrainé. Il voulait détecter les mouvement de chacun, repérer les cycles pour comprendre le rapport entre le mystère et les choses et s’il y avait aussi des dénominateurs communs aux déplacements des différents personnages/caractères. Il se repassa les définitions du mystère :
- Ce qui est inconnu, ce qui est incompréhensible ou ce qui est caché.
Cette dernière définition le mit sur la piste : “Ce qui est caché.” Sa proie est un mystère puisqu’elle est cachée. Il en conclut donc la forme de son piège. Il lui fallait piéger la cachette et la ramener aux yeux du Roi, en d’autres termes il fallait piéger le piège. “ Une cachette… » Un endroit où l’on place quelque chose pour le garder des yeux du monde mais pour que ce soit une cachette il faut que quelqu’un sache, il doit en être de même pour le mystère, quelqu’un sait.”
Je trouverai donc ce quelqu’un, et sa cachette.
Chapitre 18 : La Dispersion
Le soir tombé et après s’être longuement restaurés, les missionnaires se réunirent autour d’une table dans la salle de réunion de l’hôtel. Il manquait alors le Chasseur, le Clown et le Clochard et le Deuxième Sage qui était partit s’allonger directement au sortir du bus car déjà malade de ce premier trajet.
Alors que les personnages se sentaient reliés par un silence gênant :
- Donc, quelqu’un à un plan ? Lança l’Artiste.
- Pour ma part, j’ai le même plan que celui du Chasseur qui, celui-là, se tirer sans attendre. Je compte bien rentrer au Palais et vérifier mes affaires plutôt que de prendre tous les risques avec des branquignoles ! Vous sentez bien qu’il y a quelque chose de caché derrière tout ça ! Cette mission n’a rien de sérieux ! Un simple tour de table pour en avoir le coeur net.
- S’il vous plaît, mesurez vos propos, monsieur. Objecta le Professeur, vexé dans son amour propre.
- Un simple miroir et tu fermes ta gueule, nan ? Lança l’Artiste au Patron.
- Messieurs, messieurs, n’oublions pas que nous avons accepté une forte somme contre notre action. Il serait préférable d’orienter nos esprits vers ce qui nous a été demandé. D’abord reformuler le projet me paraîtrait productif. Proposa le Comptable.
- Je suis du même avis. Soutint l’Artisan.
Le Professeur acquiesçait timidement quand le clochard entra, surprenant l’ensemble en s’exclamant : “JE L’AI ! JE LE TIENS, REGARDEZ ! JE LE TIENS, IL EST LA !”. Tous ne comprirent pas où l’homme voulait en venir et il concentra leur regard vers le fond vide de sa bouteille : “ET LA ? VOUS LE VOYEZ ?”. Ils regardèrent alors avec attention le fond de la bouteille, y était dessiné d’un seul trait un pénis avec quelques petits autres traits pour faire les poils. Le silence régna laissant résonner, seul, le rire de l’Artiste.
Le Comptable, bien que loin de rire, souriait aussi. Fier de sa trouvaille, le Clochard hochait la tête en posant un regard solennel sur chacun des participants. Il finit par rire lui même en ouvrant une autre bouteille qu’il proposa aux plus tendus de la table.
C’en était trop pour le Patron qui soudain se leva, posa ses deux mains sur la table et lança avant de tourner les talons : “Messieurs, au revoir !”. L’Artiste amusé complimenta l’arrivant : “Merci pour cette intervention. Je me sens déjà mieux.”.
Le Deuxième Sage, toujours verdâtre, entra dans la salle et croisa le Patron qui en sortait. Il dut constater que la troupe n’était pas au nombre quand le Comptable demanda : - Quelqu’un aurait autre chose ?
- Personnellement, je ne comprends rien à la nature de cette mission ! Qu’est ce que l’on doit faire, concrètement ? Interrogea l’Artisan.
Le Deuxième Sage qui prenait place parmi eux s’apprêta à répondre quand l’Artiste proposa : “Bin, tu pourrais commencer par te racheter des fringues et on ramènerait ton pull au Roi, …ça devrait suffire parfaitement”.
Tous rirent aux éclats hormis le Sage et le sujet de la raillerie qui se leva d’un bond et offusqué resta un instant comme en attente d’excuses. Rien ne vint, il quitta l’assemblée. Tandis que l’Artiste étouffait encore son rire, l’Ascète prit la parole pour informer ses coéquipiers de sa peur physique de l’océan. « Il m’est, depuis toujours, impossible de mettre un pied sur un bateau… » Il ajouta son intention de poursuivre la quête mais, à terre, et que le Roi en serait avisé bien évidemment. Le Professeur, d’une voix alors chevrotante questionna l’assemblée diminuée : “Ce qui signifie que ces messieurs : le Chasseur, le Clown, le Patron, l’Artisan et maintenant vous même l’Ascète ne monterez pas demain sur le bateau. Partiront alors : vous le Comptable, vous l’Artiste, vous le Clochard, et moi même ?”. Le Deuxième Sage tomba des nues, comment se faisait-il que quatre personnes ne partiraient plus ? L’intervention de l’Artiste le dévia de ses interrogations : - On dirait que t’as pas envie de monter sur le bateau, le Prof ! T’as pas envie d’aller voir les sirènes et les pirates ? Tu préfère être le héros de ta salle de classe, pas vrai ?
- Non, non, non, pas du tout, pas, pas du tout, non, non… Objecta le Professeur qui sortait et rentrait son cou.
Les quatre autres le regardèrent se débattre seul. Il ressemblait vraiment à un poulet de batterie. “Pôt, pôôôôôt, pôt, pôt… pôôôôôôôôôt, pôt, pôdec…pôt, pôt, pôt…” chuchota l’Artiste, en balançant son cou, accompagné par le Clochard ventriloque. Tandis que le Comptable indiquait le même sourire que pour la blague du Clochard. - Je n’ai manifestement rien à faire parmi vous, je m’en vais ! S’indigna le Professeur qui prit la direction de sa chambre.
- Même ridiculisé, on ne rate pas une chambre d’hôtel à l’oeil… Le Prof ! Souligna l’artiste.
Le Deuxième Sage qui décidément ne comprenait rien à la situation questionna la petite assemblée : “Mais que se passe t’il ici ?” et sans même attendre de réponse, il partit à la poursuite du Professeur, et pour y voir plus clair, et pour peut être tenter de le convaincre de revenir parmi les autres. Les trois hommes rirent brièvement puis le Comptable parla : “Messieurs, on dirait bien que le comité s’en est réduit à nous trois. Vous êtes très sympathiques, j’ai passé un bon moment en votre compagnie. Mais je crains fort que la scène ne s’arrête ici. Il n’est pas concevable que je parte en mer vers l’inconnu accompagné d’un Artiste et d’un Clochard. Je n’ai plus vingt ans et ma femme et mes enfants comptent sur moi. Contrairement à vous qui, il me semble, êtes sans attaches, je suis navré de devoir abandonner une telle mission. Bonne nuit.
Il monta se coucher. En tête à tête, l’Artiste toujours au second degré fit ses yeux doux au Clochard : “Je suis sûr qu’avec un bon rasage et du parfum, tu pourrais faire mon bonheur… On le prend ce bateau ?”. Le Clochard sourit d’abord gentiment puis pris ce ton grave que seul un homme de son rang peut employer : - Dis-donc, bien sûr, c’est le projet, non ?
- Tu plaisantes ?
- Nan.
- Attends, on va pas monter tous les deux sur un bateau ? Tu sais naviguer toi ?
- Oui.
- Et tu imagines qu’on va capturer le mystère, toi et moi ?
- On peut essayer.
- T’es complètement fou. On a les poches pleine de valeurs et toi tu veux courir à ta mort ?
- Ecoute moi bien l’Artiste : c’est là ta seule occasion d’oeuvrer. Alors, c’est toi qui vois. Je serai sur la place, au lever du jour.
L’Artiste avait devant les yeux un autre homme. Il resta bouche bée devant la carcasse pourtant fière du Clochard montant l’escalier pour aller se coucher dans des draps propres qu’il ne reverra plus jamais.
Scotché, l’Artiste descendit d’une traite son verre d’alcool sur lequel transpirait sa main.
Chapitre 19 : Le Clochard et Le Jeune
Face au port, sur la petite place encore déserte, le Clochard attendait au point de rendez vous donné, avec, pour seul spectateur, un gamin de dix huit ans qui semblait apprécier le soleil levé ou bien se cacher de quelconques tâches qui lui serait attribués.
Après une bonne demi-heure, durant laquelle le Clochard respirait les humeurs du vent, l’oeil réfléchissant l’embrun des marrées en nuances de rose et de bleu, apparut enfin l’Artiste, la mine gênée.
Le Clochard qui connaissait bien l’âme humaine compris instantanément qu’il partirait seul. L’Artiste trouva, effectivement, quelques bonnes raisons de se désister tout en confortant sa cause, le regard fuyant, beaucoup moins fier que la veille. On pouvait voir en lui ce confit qui l’avait toujours traversé.
Le Clochard qui ne voulait pas appuyer sur son point faible, lui serra la main et regarda son compagnon avec les yeux d’un homme qu’on ne reverra plus puis tourna les talons et se dirigea tranquillement vers le bateau. L’Artiste disparu rapidement.
Le gamin qui avait tout entendu suivi les pas du Clochard et l’interpella juste avant qu’il n’accède à la passerelle :
- Hè, monsieur, où partez vous si seul ?
- Mon garçon, je ne le sais pas moi même.
- Laissez moi partir avec vous !
- Tu ne devrais pas être si fou à ton âge. Je pars pour une mort certaine ou pour une dérive à l’infini, comme la vie semble le vouloir encore.
- Ils me tueront si je reste ou je devrais assassiner tout mon village !
Le Clochard le regarda longtemps avec l’impassibilité d’un miroir, lui dit : “Alors viens.”
Ils chargèrent les vivres, larguèrent les amarres et disparurent dans l’horizon.
Les semaines passèrent et les deux hommes ne virent aucunes traces de terres, ni même d’oiseaux, ni même de poissons, encore moins de bateaux. Un désert aquatique. La lune et le soleil, seuls, rythmaient leur traversée. Comme le Jeune était curieux, le Clochard en profitait pour méditer sa vie à voix haute. Il racontait qu’il avait fait tous les métiers, certains longtemps, d’autre pas. Une fois, par exemple, il fut pilote aéroporteur pour une compagnie malhonnête qui l’avait envoyé livrer un stock d’armes dans un pays en guerre civile. Il connaissait les conséquences de sa cargaison sur les populations locales, il livra alors les armes aux rebelles et resta sur place pour mener à bien l’éviction du pouvoir en place. Une autre fois, il organisa un feu de gaz dans une énorme usine qui revendait ce gaz à prix d’or aux habitants, les rendant dépendants et esclaves. Il s’était débrouillé pour faire sortir quelques citernes, de manière à faire vendre le gaz par les villageois pour re-rendre son prix correct.
Son sourire réapparaissait quand il évoquait ce genre de souvenir complice gorgé d’amitié avec ses collègues qui partageaient ce combat éthernel.
Il avait voyagé sur différentes terres et sur plusieurs mers aussi, toujours guidé par la liberté. Il n’aimait pas mentir, il disait que c’était le mensonge lié à la honte qui avait détourné la société jusqu’à ne devenir qu’un infecte mascarade.
C’est le fait de ne pas mentir qui l’avait amené finalement à être ce Clochard missionné par le Roi.
Il avait connu différents amours aussi et, surtout, le grand amour pour une femme mystérieuse dont il avait du mal à parler.
Quand les deux hommes eurent moins de nourriture que d’alcool, ils se mirent à boire et lors de ces occasions le Clochard expliquait à son auditeur toujours attentif qu’il savait tout, qu’il connaissait tous les personnages de l’histoire. La seule histoire, disait-il.
Il racontait avoir vu le nez du Clown sur le visage du Chasseur et toutes les figures superposées en un seul et même oeil, le bout du monde, le début et la fin, là où le fil d’Ariane reprend son point. Il disait qu’à la base des hommes sont les mots.
Et tout un tas d’autres choses incompréhensibles pour le jeune qui se voulaient pourtant être lourdes de sens au Clochard dans sa teneur mystérieuse .
En bref, les deux hommes malgré ces conditions de plus en plus précaires, devinrent très amis et appréciaient entre toutes autres choses, cette sublime liberté.
Mais comme le temps passait et qu’il n’y avait toujours rien a pécher ils finirent par ne plus rien manger. Au fur à mesure des jours, Le soleil et le sel érodaient leur carcasse tant et si bien que le jeune commençait à ressembler au vieux. Ils s’abreuvaient des orages chaque fois annoncés par un vent favorable mais, une fois, la carence fut si longue que le Clochard mourut après avoir dit au Jeune en une dernière parole : “Si tu es la clé, tu dois trouver la porte.”.
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LA RIGUEUR DE L’HORLOGE
Chapitre 20 : Du Rien Au Tout
Comme tous les matins, Mu et Dam réfléchissent à la conception de l’histoire et se tordent la tête sur le scénario. Il y a des schémas/dessins/étiquettes partout par terre tandis qu’ils regardent des définitions sur internet tout en discutant des causes.
- Pour exprimer ma vision du Rien au Tout, ou de la prise de conscience de soi-même, qui sont finalement la même chose, je vais te raconter la fois où j’ai fais un black out rapide à cause de la kétamine. En fait je te raconte ça parce que, en regroupant avec d’autres expériences, c’est toujours le même mécanisme : Un soir dans une free party des années 90, debout, adossé contre la portière d’une voiture, mon cerveau s’est prit un trou noir et je n’existais plus. Plus aucune conscience des choses, plus aucun code. Rien. Et là, dans le rien, une sensation,.. quelque chose de visuel à regarder comme si elle disait “Je suis une chose, si je suis une chose et que tu me vois, alors tu es”.
Là, j’ai la sensation d’exister et il y a quelque chose. S’il y a quelque chose, qu’est ce que c’est ? Ha oui, c’est un battement, mon battement de coeur, donc si je suis, je suis dans un monde. Ha oui, c’est ce monde là, tous mes codes sont revenus, je vois le monde concret, normal. Voilà, d’après moi tout part du rien, ça s’exprime dans tout ce qu’on peut connaître, un projet par exemple. - Un projet part d’une idée…
- Exactement ! Une idée ou une sensation. Finalement, qu’est ce qui les sépare : une sensation est une figure vibratoire tout comme l’idée. Le monde théorique c’est justement ce stade, le monde de l’idée, cette idée se développe et s’incarne dans le monde qui se matérialise par les êtres.
Les êtres, eux, vivent, se reproduisent, émettent des idées et participent au développement de l’arbre de vie qui pousse de ses deux extrémités stabilisées par le égal de son équation. Le fameux égal qui stabilise chaque antipode. - L’histoire du mâle et de la femelle ?
Chapitre 21 : Spectre
Mu travaille sur la vieille horloge, ce curieux objet qui leur avait provoqué une étrange sensation lorsqu’elle et Dam l’avaient remontée l’autre jour. Elle est devenue une sorte de support de réflexion, un outil pour tenter de représenter l’ensemble du récit et de l’univers.
Dam, lui, semble absorbé par une idée ambitieuse : utiliser l’horloge comme une représentation mathématique et visuelle des cycles, des phénomènes, et des fréquences. Il l’explique à Mu avec enthousiasme :
— Imagine que cette horloge représente tout. L’univers, l’histoire, ou même une simple unité. Chaque tour de cadran serait un cycle complet, et chaque cran une différence minimale entre deux positions. Si on attribue une aiguille de taille différente à chaque phénomène ou fréquence, on pourrait exprimer n’importe quoi avec cette horloge.
Mu observe le dessin qu’il a commencé. Une spirale part du chiffre 12 et converge vers le centre, où toutes les aiguilles se rejoignent. La spirale permet de modifier les rapports entre les unités de cycles, et chaque taille d’aiguille correspond à une vitesse de rotation spécifique.
Dam poursuit, passionné :— L’horloge est parfaite pour représenter les fréquences. Elle peut aussi servir de chapitrage pour notre récit et refléter les caractères. En plus, avec ses douze divisions, c’est une allusion au clavier du piano et à ses douze notes fondamentales.
Mu sourit, mais elle secoue doucement la tête.— Sexy comme idée, mais ça fait fumer le cerveau…
Dam rit, puis reprend son explication.— Chaque fréquence ou tonalité peut être rangée dans l’horloge, par échelles de cycles. Si on place les phénomènes du spectre électromagnétique, par exemple, on peut les organiser de l’intérieur vers l’extérieur :
1 Rayons gamma et rayons Y, au centre, correspondant aux plus hautes fréquences.
2 Rayons X, légèrement plus lents.
3 Ultraviolets, suivis de la lumière visible.
4 Infrarouges, micro-ondes, et enfin ondes radios, jusqu’à l’immobilité théorique à l’extérieur.
Il montre comment les fréquences – des phénomènes répétitifs – peuvent être visualisées comme des cycles stables.— Une fréquence, c’est une vibration qui se répète, explique-t-il. Elle produit une résonance, comme une onde sur l’eau ou une note jouée sur un instrument. Ces répétitions sont stables, et cette stabilité nous permet de définir les choses, comme des unités ou des bases de calcul.
Il s’interrompt un instant, cherchant ses mots.— Et c’est là que ça devient fascinant : les fréquences augmentent ou diminuent de manière linéaire. Mais ce qui les relie, ce sont des rapports. Ces rapports entre fréquences – ou entre cycles – créent des structures. C’est ce passage d’une chose à l’autre, ou d’un concept à un autre, que notre spirale représente.
Il trace un cercle autour de la spirale.— Chaque aiguille correspond à une vitesse de rotation et donc à une tonalité ou une fréquence spécifique. C’est ce qui nous permet de ranger les phénomènes et d’exprimer leurs rapports.
Un moment de pause : les couleurs de l’arc-en-ciel
Mu, qui a décroché depuis un moment, pousse un soupir et pose ses pinceaux.
— OK, attends, je reviens à un truc plus simple… C’est quoi déjà les sept couleurs de l’arc-en-ciel ?
Dam attrape son téléphone et fait une recherche rapide.
— Rouge, orange, jaune, vert, cyan, bleu et violet.
Il continue, enthousiaste :
— Et check ça : il y a un lien entre les couleurs et les notes de musique. Tiens, écoute ça : “Newton a mis en évidence que la lumière blanche peut être décomposée en couleurs élémentaires grâce à un prisme. Il a associé ces couleurs aux notes de la gamme dorienne : rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, et violet. L’indigo a été ajouté pour correspondre aux demi-tons de la gamme.”
Mu lève un sourcil.
— Intéressant, mais un peu tiré par les cheveux, non ?
Dam sourit.
— Peut-être, mais l’idée d’une correspondance entre les couleurs et les sons est fascinante. Après tout, la lumière et le son sont tous deux des vibrations. On peut les voir comme différentes expressions d’un même phénomène.
Synthèse : tout est vibration
Dam se penche sur ses notes, cherchant à synthétiser ses réflexions :
— En fait, c’est clair pour moi : le son, la lumière, la matière, le temps… tout ça, ce sont des manifestations d’un même phénomène. Des vibrations qui se replient sur elles-mêmes. Ce qu’on perçoit, c’est un ensemble pluridimensionnel, mais tout est lié.
Mu lève les yeux de sa peinture, intriguée.
— Donc, ton horloge, c’est pour ranger tout ça ?
— Exactement, répond Dam avec un sourire. Une spirale pour exprimer le spectre, une horloge pour le rendre visuel. C’est à la fois mathématique et poétique.
Conclusion : la quête d’un support universel
L’horloge, telle que Dam et Mu la conçoivent, devient un symbole puissant. Elle relie les fréquences et les cycles, mais aussi les chapitres de leur récit. Chaque aiguille est une tonalité, une vibration, ou une idée, et la spirale exprime les rapports qui les lient.
Pour Mu, cet objet représente un défi créatif. Pour Dam, il incarne une vision scientifique et artistique de l’univers. Et pour leur histoire, l’horloge pourrait bien devenir la clé qui ouvre toutes les portes.
Chapitre 22 :
Chapitre 23 : Le Bout du Monde – Lieu du Non Vérifié – La Distance de Perception
C’était un samedi matin d’octobre. Les rayons du soleil jouaient sur la table en bois usée où Mu et Dam étaient assis, chacun avec une tasse de café tiède. Le silence de la pièce était rompu uniquement par le bruit discret du vent soufflant à travers une fenêtre mal fermée.
Dam leva les yeux de son carnet, perdu dans ses pensées.— Pour toi, c’est quoi, le bout du monde ? demanda-t-il soudain.
Mu, surprise, mit un instant à répondre.— Je pense à l’océan qui se termine, répondit-elle en regardant par la fenêtre.— Tu veux dire l’horizon ?— Oui. Mais l’horizon, plus t’avances vers lui et plus il recule…Dam sourit.— Voilà. C’est exactement ça. Le bout du monde n’existe que parce qu’on le cherche. Et si on ne le cherche pas, il disparaît.
Il marqua une pause, ses doigts jouant distraitement avec une cuillère. Puis, comme inspiré par un éclair de génie :— C’est un peu comme les toilettes, tu sais.
Mu éclata de rire, pensant qu’il plaisantait.— Les toilettes ? T’es sérieux ?— Complètement, affirma-t-il avec un air faussement grave. Pense à ça : le trou des WC, c’est un exemple parfait de bout du monde. Pourquoi ? Parce que tu ne vérifies jamais où ça va, mais tu supposes que tout se passe bien. Maintenant, imagine si tu voulais vérifier. Ce serait la quête du Roi dans notre histoire.
Intriguée malgré elle, Mu posa sa tasse.— Et il ferait quoi, le Roi ?— Il remonterait le circuit d’évacuation à l’envers, expliqua Dam, les yeux brillants. Il suivrait les tuyaux, les stations de traitement, jusqu’au moment où l’eau revient dans son robinet. Logiquement, cette eau passe par son corps avant de retourner dans les toilettes. C’est une boucle, fermée, parfaite.
Mu fronça les sourcils, essayant de visualiser cette quête étrange.— Mais… plus il remonterait, moins il pourrait être sûr que ces tuyaux-là mènent vraiment à ses toilettes.
Dam hocha la tête.— Exactement. À un moment, la distance serait trop grande. Le seul moyen pour lui de vérifier serait d’y faire passer quelque chose d’unique, reconnaissable, mais invisible pour les autres.
Il se pencha légèrement vers elle, comme pour partager un secret.— Et tu sais quoi ? C’est ce que le Chasseur fait avec son fil d’Ariane. Il laisse une trace sur son chemin, une marque indélébile, pour pouvoir revenir sur ses pas.
Mu sourit.— Et nous ?— Nous aussi, répondit Dam, le regard soudain lointain. Nous avons laissé des traces. Pas dans des tuyaux, mais dans le tissu même du monde. C’est ce qu’on a fait depuis le début de l’histoire : marquer le réel pour nous rappeler qu’on existe.
Il se redressa, emporté par son idée.— Imagine, continua-t-il, Dieu comme l’ensemble de toutes ces traces, tous ces points de vue réunis. Et toi, moi, chaque personne, on en est une infime partie. Mais dans notre histoire, celui qui connaît tous ces points de vue, celui qui les assemble… c’est le Lecteur.
Le silence retomba. Mu joua avec une mèche de ses cheveux, réfléchissant à ce qu’il venait de dire.— Donc, tu dis que le Lecteur, c’est Dieu ?Dam sourit.— Pas tout à fait. C’est mieux que ça. Le Lecteur, c’est celui qui regarde le tout et en fait une histoire. Il voit les fragments et les relie, comme le Chasseur assemble les morceaux du miroir.
Un bruit sourd, venant de la fenêtre, interrompit leur échange. Mu sursauta. Le vent avait poussé une branche contre la vitre, qui vibrait légèrement. Elle fixa l’horizon au loin, où le ciel semblait se fondre dans la terre.
LES CARACTERES S’INVERSENT
Chapitre 25 : La Fuite Du Roi
Un beau matin, alors que l’on n’avait nulle nouvelle des émissaires du mystère, le Roi était toujours aussi gros et la Reine tout autant joueuse et si tricheuse qu’elle venait encore et toujours, de gagner au dernier jeu qu’elle venait fraîchement d’inventer. Le Roi demanda :
- Ai-je encore ronflé ma Reine ?
- Tout autant que le chat mon Roi !
Doublement peiné, il fit apporter des mets copieux qu’il fit disparaître en grommelant.
Il savait se venger sur la nourriture pourtant conscient que sa rondeur endurerait et qu’il nourrissait là le cycle de son mal. “C’est enfin pensé !” se dit il, “Je vais résoudre pour de bon ce problème d’embonpoint par les bons calculs de mon Génie”. Avant que la Reine ne réapparaisse avec un nouveau jeu, il s’enferma dans son bureau pour s’entretenir avec ce génie, arme secrète qu’il utilisait quand il s’agissait de résoudre, entre autres, des problèmes de l’ordre de l’intime : - Bonjour Génie ! J’ai grandement besoin de toi aujourd’hui car tu me vois blessé du regard des autres, trouves moi un algorithme qui fasse que je n’en souffre plus.
- Ah, mon seigneur, vous me parlez là du miroir, cet un outil que vous avez crée il y a bien longtemps avec votre Reine sans même le savoir. Sans lui, les choses ne se voient pas, ne se savent pas exister. Vous devriez plutôt travailler sur votre forme pour qu’elle vous plaise… Car si je casse le miroir, le reflet disparaîtra, vous y perdrez votre image, vous en serez réduis à l’état de potentiel.
-Et bien, que drame se passe ! Je ne veux pas faire d’effort, l’effort m’ennuie, je veux une solution radicale, que l’on casse le miroir. Répondit le Roi en un jet. - Bien mon seigneur, ceci est fait.
- Et bien, mon problème d’embonpoint et mes ronflements ?
- Je vous en fait promesse : vous ne ronflerez plus que dans le chat et puis dans le chien du fusil. Vos problèmes d’embonpoint ne seront plus que souvenirs car vous serez devenu homme, guerre puis amour.
Alors peut être saurez vous comment accueillir notre prochaine rencontre car bientôt, vous verrez, nous nous trouverons dans toutes autres conditions. Nous nous retrouverons en un point de compréhension où nous nous verrons sous un tout autre jour. Mais sachez dorénavant que l’ensemble du monde est inversé et que vous ne pouvez encore vous douter de l’aventure de vous même. - Soit, merci mon Génie, je ne serais rien sans toi.
- Justement.
Rassuré, le Roi s’endormit. A son réveil, une sensation terrible l’enveloppa : il ne reconnaissait plus rien de ce qui l’entourait. C’était comme s’il voyait toute chose pour la première fois et qu’il lui était devenu aussi impossible de les nommer ! De même, l’inverse était aussi vrai, il était comme invisible. Quand il traversa la cour, quelques regards se posèrent sur lui sans plus d’intérêt ni aucune forme de reconnaissance royale. La sensation d’angoisse s’amplifiait et celle-ci parvint à son comble lorsque la Reine qui passait là ne le reconnut pas non plus. Quand le Roi tenta de lui expliquer sa sensation, celle-ci qui l’écouta de toute son attention, esquissa un sourire tant amusé que compatissant pour lui répondre ensuite avec toute la délicatesse qui la caractérisait : - Mon bon monsieur, j’imagine que ces sensations doivent être tout à fait bouleversantes… Mais avant que vous ne m’en disiez plus de toute cette intime psychologie, pourrais-je savoir d’abord à qui ai-je l’honneur ?
- Vous ne le savez pas ?…
- Et bien non, devrais je ?…
- A vrai dire, au jour d’aujourd’hui, je ne sais plus… Répondit le Roi en bégayant, le sourcil cauchemardesque.
Et spontanément, il se frappa la joue pour se réveiller. Définitivement amusée, la Reine ne put réprimer un éclat de rire. Cet éclat de rire dont elle avait le secret et qui, en d’autres conditions, aurait fait fondre le Roi.
Après un instant de stupéfaction, il quitta cette Reine enjouée et retourna voir son génie pour lui demander compte mais là où il se trouvait d’habitude, le Génie n’était plus. Le Roi se demanda en lui même : “Mais que signifiait le « Justement » de mon Génie ?” En seigneur déchu, alors terrassé par une peur panique, il se mit à fuir le château tel un animal pourchassé jusqu’à quitter les limites de son Royaume et n’être alors plus rien de ce qu’il fut. Après une longue marche, il tomba sur le Royaume De l’Envers.
Le pied posé à la limite des deux Royaumes, il se rappela ce beau matin jadis, au château:
Souvenir:
(
lorsqu’à peine avait-il put prendre le temps d’ouvrir un oeil que la Reine se plaignait encore d’avoir eu le sommeil troublé par son ronronnement. Alors réveillé du mauvais pied et puisqu’il se sentait de trop, il décida d’aller renouveler sa garde robe pour se changer les idées mais il avait encore grossi et toutes les parures confectionnées avec soin par ses couturiers furent, ce jour, légèrement trop petites. Au sortir de l’atelier, alors excédé par cette journée qui ne lui était décidément pas favorable, il s’éprit à vouloir rentrer à pied. Il enfila sa veste de cuir a capuche, tourna le dos à ses porteurs qui, habitués à ses changements d’humeur, regardèrent sa silhouette maigrir vers le loin sans rater quelques railleries à son sujet :
- Ce Roi, décrit par les sombres catacombes du Palais sortirait tout droit du n’importe quoi et ne servirait guerre mieux qu’à faire ronfler les champs et quelques gras pour l’hiver.
- Quand même, il aime souffler dans l’artiste pour faste et le partage bien.
- Heureusement que la Reine l’y pousse, sinon, il ne resterait que l’obtus qu’il est.
Sur le chemin, un paysan qui passait en charrette ne reconnut pas l’homme vêtu d’une cape qui marchait au beau milieu de la route en grommelant et, insouciant, il lança au Roi : “Hé, le gros, si la route est trop fine, passes donc par les champs !”. Glacé, le Roi stoppa son pas, se retourna, fixa le paysan avec un oeil amphibien et ôta pour finir sa capuche en laissant voir à ce dernier ses triomphantes boucles de roi. Le paysan qui comprit instantanément son erreur arrêta net la charrette, en descendit et se prosterna aux pieds du souverain en geignant mille excuses mais quand il releva la tête, ce dernier avait disparu, probablement tellement blessé qu’il laissa courir le sot.
Le Roi s’était faufilé dans un petit chemin assombri par les hauts arbres lui faisant cachette. Il marchait vite, tête baissée, désirant ne plus penser à rien tant il était énervé. Un moment se passa quand quelques lueurs révélaient le paysage. Il était déjà en pleine campagne. Devant lui, une falaise laissant large vue sur l’orée du bois magnifique et profonde.
Il resta là, à contempler.
Le balancement des branches et feuilles de la forêt tenait ses yeux comme des mains dansantes sur une musique inconnue. Une vibration dans l’échine lui fit reprendre ses esprits et toujours dans un état second, il tourna le dos à la falaise et rentra au Palais. Au soir tombé, la Reine proposa un jeu auquel le Roi n’avait guerre goût, il semblait ailleurs, probablement remué par sa journée d’aventure nouvelle.
Au matin, il décida de retourner au même endroit que la veille pour découvrir un peu plus l’étendue de son ignorance.
Arrivé au pied de la falaise, il s’élança chargé de bonne humeur vers la forêt. En traversant le champs, il surprit des yeux couleurs émeraude au beau milieu des hautes herbes.
C’étaient ceux-là d’une femme métisse d’une beauté fascinante. Elle se tenait assise à une table ronde au centre de laquelle était une boule de cristal.
Pareil au félin, le regard intense de la femme fixait le Roi semblait lui proposer la chaise en fasse d’elle.
Le Roi s’assit. Elle posa une main sur la boule de cristal, baissa les paupières, inspira, attendit, fronça légèrement la ride du lion, expira en rouvrant les yeux sur le Roi qui gardait un air perplexe et lui dit : « Tu dois me faire l’amour avant toute autre chose.
Cette beauté sauvage maintenant debout et nue comme une déesse au pouvoir subjuguant, fit plier le Roi qui s’exécuta.
Lui qui cherchait l’aventure, était pour le coup servi par les ébats chauds de deux forces opposées.
Mais juste après, il fût bien gêné de se retrouver nu dans les herbes avec une femme inconnue.
Alors qu’il se rhabillait gêné, en hâte, elle lui demanda : - Qui est cette femme, proche de toi qui te fait faire tout et n’importe quoi ?
(le Roi cherchant à changer le sujet)- Voudrais-tu me parler de toi ? D’ailleurs, quel est ton nom ? - Je suis Rita Maltèse. Et toi, je sais que tu es Roi et tu deviendra bientôt un homme puis le Vent.
Foudroyé, il fit quelques pas en arrière, lui lança une bourse d’or, et partit, confus.
La femme regarda en souriant ce Roi qu’elle semblait parfaitement connaître, disparaître de son paysage.
) Fin du souvenir
Le Roi maintenant, qui n’était plus que l’ombre de lui même, se rappelait clairement cette scène. « C’était non loin d’ici, à quelques pas de plus » pensa t-il. Mais pour l’heure, sa situation était bien différente. Il avait cassé le miroir et malgré son ignorance de l’étendue des dégâts, il pouvait déjà en apprécier les méfaits. Après avoir longuement marché et comme la nuit se profilait, il choisit un abri de fortune aux abords de la forêt. En s’endormant, il entendit en pensée le rire de la Reine et espéra ardemment se réveiller auprès d’elle, il souhaita que toute cette journée ne fut qu’un cauchemar. Mais il se réveilla, au petit matin, au même emplacement. Il décida alors de se couper les cheveux comme il pouvait, de manière à marquer ce jour comme le premier de sa nouvelle vie. Le Génie ainsi que Rita Maltèze avaient raison, il n’était plus Roi mais commençait sa vie d’homme. Il marcha longtemps sans réel but, se demandant qu’elle forme avait le monde. Il marcha tant qu’il repassa souvent aux mêmes endroits, qu’il y croisa des gens et que, au cour de ses pérégrinations, ceux-ci finirent par le reconnaître et le saluer à ses passages. Ce furent ses premiers repères d’homme et le Roi se fit la réflexion que, peut être, le fait de marquer des repères, de reconnaître des gens et que des gens le reconnaissent contribuerait a recréer le miroir. Lors de ses déplacements, il philosopha aussi sur toutes les choses qu’il avait pu connaître : l’amour, la sécurité, l’abondance, le pouvoir, les rires, les plaisirs de la chair. Et, sur toutes celles qu’il ne connaissait pas : la faim, la douleur, le manque, le froid, la solitude, la liberté, la vision étendue, la nature et tout ce qu’elle englobe, les rencontres, la voie lactée. Pour la première fois de sa vie, il devenait penseur et ce fut son premier amusement d’homme.
Le Roi, par ses expériences, allait faire le tour du cadran des émotions humaines. Il allait successivement faire tous les métiers des hommes. D’abord nu face au monde alentour, on lui donna un jour que le soleil sévissait puissamment un chapeau ainsi que des vêtements pour remplacer ses guenilles de Roi dont des bottes puis un couteau et même une vieille canne à bout rond, le même genre de modèle qu’il eut jadis au Palais. Et il devint ce philosophe affamé qui prêtait sa main au champ contre un repas et qui marchait toujours droit devant semblant aux yeux des gens vouloir tourner autour du monde à l’infini. On le nommait alors “Johnny Walker”.
Chapitre 27 : La Dérive
Le corps du Clochard flottait maintenant sous les vagues, emporté par des courants inconnus. Le Jeune, seul sur le bateau, avait refusé l’idée même de se nourrir de la dépouille. Le vieil homme méritait une sépulture digne, et dans son dernier acte de respect, il l’avait laissé glisser dans l’immensité de l’océan. Pourtant, cet acte de foi avait un prix.
Les jours passaient, et son corps se rétrécissait sous les griffes de la faim et de la soif. La peau de ses lèvres craquelait comme du parchemin oublié, et chaque goutte de sueur semblait voler un peu plus de vie à son être. Les vagues se dressaient, puis s’affaissaient, miroir de son propre esprit qui vacillait entre lucidité et folie.
Pour échapper à l’inaction, il avait brisé des planches de son propre bateau et les fumait lentement, comme un condamné au bûcher qui cherche à se donner l’illusion d’un contrôle. La fumée s’élevait en volutes grises, dansant avec le vent marin, se mêlant à l’odeur du sel et de la mort.
Le soleil et la lune tournaient au-dessus de lui comme des aiguilles absurdes sur une horloge cassée. Le temps avait perdu son sens. Et dans ce vide, des fragments de souvenirs s’allumaient et s’éteignaient dans son esprit, comme des lanternes fatiguées éclairant les recoins d’un temple abandonné. Il voyait des visages, des lieux, des mots, mais rien ne semblait le ramener à lui-même.
Parmi ces souvenirs, les phrases énigmatiques du Clochard prenaient racine, tournant en boucle dans sa mémoire. Chaque mot, d’abord vide, devenait une vérité lente et douloureuse, comme si le vieil homme avait semé dans son esprit les graines d’une compréhension qu’il était trop faible pour récolter.
Un soir, sous une voûte étoilée, alors que les hallucinations s’emparaient complètement de lui, il leva les yeux vers l’infini. Les étoiles scintillaient comme autant de regards posés sur lui, mais l’un d’eux brillait plus fort, transperçant le voile de sa folie. Dans ce regard, il vit un reflet de lui-même – un « lui » différent, qui le scrutait depuis l’autre côté du cosmos.
Les vagues semblaient s’immobiliser, l’air se charger d’électricité. Une odeur âcre – celle de la mort, douce et insistante – emplissait ses narines. Mais un frisson le traversa, rappel d’un instinct oublié, et il trouva la force de rouler son corps émacié sur le côté. Ses mains tremblantes cherchaient à tâtons une bouteille abandonnée.
La bouteille, vide depuis des semaines, captait les rayons d’un croissant de lune pâle. Et dans les reflets mouvants du verre, il vit à nouveau ce visage familier et étranger. Une forêt d’arbres inconnus se déployait derrière l’apparition, leurs branches tissant un monde irréel. Alors, l’autre murmura :
— Je te vois.
Le Jeune, la gorge desséchée, ne put répondre. Mais dans un ultime effort, il imagina ses lèvres articuler des mots :
— Qui es-tu, toi qui me ressembles ?
L’apparition répondit, ses mots vibrant dans le silence :— Je m’appelle Y. Apparemment, nous sommes prisonniers de la même histoire. Je suis avec un robot qui, comme moi, cherche une issue. Peut-être sommes-nous tous la même chose, étendue à travers les dimensions. Mais je n’en sais rien. Que cherches-tu ?
— La quête d’un vieil homme… répondit le Jeune, ou du moins l’imagina-t-il. C’est la quête du mystère.
Y hocha la tête, son visage grave mais lumineux.— Dans ton monde, qu’est-ce que le mystère ?
— Je ne sais pas, murmura-t-il, c’est ce qui m’attire en ce moment même…
Sa voix se perdit dans l’abîme de la fatigue. À bout de force, il s’effondra dans un sommeil profond, bercé par le balancement des vagues.
Quand il ouvrit les yeux, un soleil éclatant baignait le monde de lumière. À ses côtés, deux coffrets reposaient comme des reliques envoyées par des dieux marins. Le premier, une promesse immédiate : des vivres. Tremblant, il se jeta sur le contenu, mangeant et buvant avec la frénésie d’un naufragé retrouvé.
L’autre coffret brillait doucement sous la lumière crue, ses outils disposés avec une précision presque sacrée. Chaque pièce semblait le fixer, éveillant en lui une étrange chaleur, comme si ces objets avaient toujours été ses compagnons, oubliés mais jamais disparus.
Il tendit une main hésitante, caressant les surfaces métalliques froides. Ces outils n’étaient pas de simples instruments ; ils étaient des fragments de mémoire, des clés destinées à ouvrir un avenir encore incertain. Il comprit, avec une clarté fulgurante, que ces objets lui appartenaient depuis toujours, comme une partie de lui-même.
Et alors que le bateau dérivait doucement sur une mer d’azur, il s’autorisa à fermer les yeux, le ventre plein, le cœur apaisé, et l’esprit clair pour la première fois depuis des semaines.
Il se rendormit, bercé par l’idée qu’il avait retrouvé, au moins pour un instant, un but, une direction, et peut-être même des amis.
Chapitre 27 : La Reine Perd Pied
Comme le Roi ne revenait pas, la Reine décida de prendre la gestion du Palais en main. Elle appela tous les habitants en pleine possession de leurs moyens à mettre leur inventivité au tribut de la recherche du Roi et fit envoyer également des navires sur toutes les mers. Sans succès. Pour ne rien arranger à son tourment, elle vit revenir quelques uns des héros de la quête du mystère au Palais. D’abord, celui qu’elle aimait le moins, le Patron, qui ne croyait en rien ses dires concernant la disparition du Roi. Ces deux là n’avaient à tel point aucune confiance l’un en l’autre que l’épiderme de chacun s’hérissait en présence de l’autre. La discussion fut brève :
- Mais, dites-moi la Reine, si le Roi à disparu, qui est le propriétaire des 49% du Palais ?
- Le Roi reviendra. En son absence, je gère l’empire, ne vous inquiétez de rien. Vous avez comme promis 51% des parts. Je vous assure qu’il n’y a aucune manigance dans cette mystérieuse histoire et nous aurions meilleur intérêt à nous entendre durant l’absence inexpliquée de mon époux.
- Mais vous entendrez bien les dires de mes faire, je suis indépendant maintenant et je n’ai rien ni à vous dire ni à vous cacher. Sur ce, au revoir.
Ce dernier quitta la Reine sans plus de délicatesse et puisqu’il avait à l’esprit quelques plans douteux, il partit s’entretenir avec les Huit Sages restants. Affectée par la bêtise de cet autre, ce fut sans beaucoup plus attendre que la Reine vit apparaître à son tour l’Artisan, la queue entre les pattes et bien désolé pour la déception occasionnée. Il raconta, un peu mieux que le Patron qui n’avait fait qu’aboyer, l’échec de la mission due à la dissolution des participants. Arrivèrent ensuite le Professeur accompagné du Deuxième Sage qui exprimèrent leur regrets et décrivirent le comportement inacceptable, selon eux, des autres participants. Pour finir le Comptable vint se présenter à elle, bouleversée au plus au point.
la Reine apprécia néanmoins l’honnêté de l’Artisan, du Professeur et du Sage qui insistèrent pour lui remettre leur bourse qu’elle refusa de reprendre. Désormais seule, accoudée à son secrétaire, le doigt sur la bouche et les yeux levés comme une poupée statufiée, la Reine se faisait compte rendu des aventuriers : “Le Patron, l’Artisan, le Professeur, le Deuxième Sage et le Comptable sont revenus, restent donc en course : le Chasseur, le Clown, l’Artiste, l’Ascète et le Clochard… Sont-ils encore sur la voie de la quête ou bien, ont ils secrètement abandonné ?”. Elle aurait bien aimer sentir le petit corps de son chat sur les genoux mais celui-là se faisait de plus en plus absent, la privant de caresses . Elle se leva et se posta devant la grande fenêtre qu’il y avait là. Diffusant son attention, son regard parcourait de long en large le paysage toujours ensoleillé du Royaume.
Lorsqu’elle leva les yeux vers le ciel, son souffle se suspendit. Le soleil avait disparu. À sa place, une immense horloge tournait lentement, ses aiguilles projetant une lumière douce et dorée sur le Royaume. Ce disque parfait semblait suspendu dans un vide intemporel, imposant mais silencieux.
La lumière qui en émanait dessinait des ombres mouvantes sur le sol, comme si le temps lui-même avait pris forme. La Reine resta là, fascinée, puis murmura à elle-même : — Quelle drôle de chose…
L’horloge semblait vivante, dictant un nouveau rythme au Palais, invitant ses habitants à avancer, comme si elle portait le message d’une suite inévitable.
« Quelle drôle de chose, » murmura la Reine en levant les yeux.
Le paysage, pourtant immuable, étais désormais perturbé. Là où se trouvait une colline familière, il y en avait désormais deux, identiques en tous points. La duplication était parfaite, presque trop parfaite. La Reine plissa légèrement les yeux, cherchant une explication à cet événement inédit.
— L’occurrence… murmura-t-elle, un frisson parcourant son échine.
Elle resta immobile, ses pensées tourbillonnant. Le Royaume de l’Endroit n’avait jamais connu la répétition. Ce monde était pur, sans réplique. Que signifiait donc cette anomalie ? La Reine détourna les yeux, incapable de supporter plus longtemps ce spectacle perturbant.
Là, son oeil s’arrêta sur une forme pourtant bien connue, son chat était tout naturellement assis près d’un cheval qui s’abreuvait. Lui, qui d’habitude n’avait que faire des chevaux, s’entretenait apparemment avec l’équidé en toute complicité. « De plus en plus étrange », pensa t-elle.
Le Palais, chef-d’œuvre de simplicité et de pureté, portait maintenant les traces subtiles d’une métamorphose. Les arches, autrefois immuables, semblaient onduler légèrement sous l’effet d’une force invisible. Les piliers, si droits, avaient acquis une courbure imperceptible, comme si le bâtiment lui-même s’interrogeait sur sa forme.
Dans la grande salle, les reflets de l’horloge dansaient sur les murs, créant des ombres mouvantes qui donnaient à l’espace une vie propre. Les lignes parfaites du sol marbré semblaient s’éroder par endroits, laissant apparaître des motifs géométriques qui changeaient subtilement à chaque regard.
La Reine, traversant ces espaces qu’elle connaissait si bien, ressentait le Palais comme un être vivant, réagissant aux événements, aux absences.
« Le Palais change, » pensa-t-elle
Durant les jours qui suivirent, la limite entre jour et nuit devint flou pour la Reine qui travaillait sans cesse à maintenir l’harmonie au sein du royaume. Dès qu’elle avait une seconde de battement, elle prenait conscience de sa situation et se déversait alors un torrent de questions : “Reviendra t-il un jour ? Pourquoi n’est il plus ? Lui avait-elle fait quelque chose de mal ?” et un lourd fardeau semblait vouloir s’installer progressivement sur ses épaules. Une après-midi, pour retrouver la paix, elle décida d’une promenade dans son jardin pour lequel elle montrait grande affection. Elle y rencontra le Deuxième Sage assis là même où elle s’asseyait d’habitude. Elle aborda donc cet homme à la mine triste, pour l’heure, identique à la sienne : “Je vous trouve bien désappointé mon Sage. Cela dit, vous n’auriez pu trouvez meilleur endroit pour vous ressourcer. Voyez comme les lilas se déploient maintenant et comme leur odeurs enivrent le jardin.” La Reine prit une grande inspiration humant le nectar ambiant, invitant le Sage à faire de même. Ce qu’il fit. Comme il se sentait assez libre en présence de cette douce dame pour déverser ce qu’il avait sur le coeur, il dit :
- Je suis effondré, ma Reine. Je reviens de loin, je n’avais en rien réalisé durant tout ce temps écoulé passé parmi mes compères à quel point les hommes manquaient de courage, d’éducation, de savoir vivre et d’honnêteté. Je réalise combien je vivais dans un autre monde si différent, si éloigné de la réalité. Je n’ai même plus l’humeur de rejoindre les Huit autres Sages, ils ne comprennent en rien mes inquiétudes face aux aberrations que j’ai subies durant cet aller-retour. C’est comme si s’était creusé un énorme trou entre eux et moi…. Que vais je devenir je ne peux oublier ce que j’ai vu…
- Je vais vous garder au près de moi, nous ne serons pas trop de deux à renverser la tendance au chaos. Soyez mon confident et associé. Aidez moi dans la gestion du Palais. J’ai bien peur parfois de tomber à terre et de ne plus pouvoir me relever, aussi tournons à notre avantage le bouleversement qui nous affecte, profitons-en pour innover et oeuvrer les épaules hautes, les pieds bien ancrés dans le sol.
- Je vous suis ma Reine, il est certain que nos deux personnes unies seront plus à même de relever le défis.
- Voilà qui est bien dit !
Et ils restèrent silencieux à contempler les merveilles qu’offrait le somptueux jardin, cadeau du Roi pour la Reine.
Pendant ce temps, les Huit Sages recevaient le Patron qui, au sommet de sa colère, parla ainsi : “Messieurs, comme vous l’avez entendu dire je suis maintenant majoritaire sur le Palais. Je compte effectuer de grands changements et je ferais en sorte que tous vos désirs soient exaucés si vous décidez de marcher avec moi. Dans le cas contraire, je vous dissoudrais. Messieurs, entendez bien que sous ma gouvernance vous serez des empereurs, je mettrais le monde à vos pieds mais de votre part, outre le conseil, que pouvez vous m’apporter qui me satisfasse ?
Les Huit Sages qui se regardèrent un à un avant de hocher la tête en signe d’acquiescement répondirent : “Monsieur, nous avons fait une découverte qui tombe tout à propos. Cela c’est passé comme ça : quand le Roi a disparu, nous avons dû fouiller ses appartements et nous avons trouvé dans les limbes de ses propriétés des bris de miroir cassés au sol qui reflétaient chacun non pas notre monde mais une myriade, même, une galaxie de mondes parallèles montrant chacun quelques semblants du notre. Et apparemment, certains des éclats du miroir présentent le futur.
Les yeux du Patron vibraient, il soupçonnait bien sûr, une collusion de la part de ses futurs associés. Il savait que ces derniers maîtrisaient l’art de la stratégie et c’était pour cette première raison qu’il les voulait. Il se mit à rire en les regardant chacun à leur tour : - Messieurs, nous aurions tout intérêt à nous entendre. Dit-il en reprenant les termes de la Reine.
- Pour vous ôter tout soupçon, prenez le revolver dans ce tiroir et suivez nous dans les appartements secrets du Roi où nous avons recomposé le miroir à sa place originel pour le cas où le Roi reviendrait. Nous ne pouvions pas le dérober et le ramener ici d’autant que le Deuxième Sage était avec nous lorsque nous l’avons découvert, il n’a d’ailleurs pas du tout apprécié notre façon d’en voir les potentiels et c’est pourquoi il n’est pas là maintenant. expliquèrent les sages qui ne se démontaient pas et qui l’invitèrent à les suivre afin qu’il voit de ses yeux ce dont il s’agissait.
- Vous me prenez pour une truffe ? J’imagine que les sous sols du château sont pleins de pièges, c’est logique. J’ai une autre idée, je prends le flingue et un de vous ira faire une ballade avec un ami à moi et si dans une heure je ne suis pas rentré, il mourra, et on vous appellera les 7 sages.
- Bien sur, l’un de nous ira. les sous sols ne contiennent pas de pièges mais c’est une bonne idée.
Le Patron prit l’arme du tiroir, vérifia d’un oeil qu’il fut bien chargé tandis que l’autre oeil ne quitta pas les sages puis il appela un de ses gardes du corps. Le Sixième Sage le suivi : “A tout à l’heure”.
Les huit personnages descendirent alors dans les abîmes du château, dont sept sous la menace du revolver. Le comportement placide de ces derniers énervait encore plus le Patron qui s’attendait à chaque instant à une attaque. Mais ce n’était pas le cas, au bout de quelques instants, ils arrivèrent à l’endroit en question. Sur le mur, un miroir brisé puis recomposé ne reflétait pas les hommes qui le regardaient mais décrivait des scènes différentes, il y en avait des milliers, l’ensemble produisait une lumière magnifique comparable à la voie céleste. “Voyez monsieur, que nous ne vous mentons pas !”. Le patron était bouche bée, le revolver pendouillait au bout de son doigt tiqué par l’impact de ce qu’il était en train de voir. Un des Sages reprit : “Voyez, c’est dans cette zone qu’apparaît notre futur. Il est aussi un phénomène étrange, il suffit de se concentrer sur le sujet souhaité pour le voir. Essayez donc, vous n’allez pas être déçu…” Le Patron qui reprit son arme fermement, s’approcha de la zone et se vît lui même dans le futur, maître incontesté du monde. Ensuite il pensa à ses ennemis “Dis-moi qui sont mes ennemis ?”. Le miroir lui montra alors des notes de musique, des quantités de partitions. Il pensa ensuite “Comment mourrai-je ?” et le miroir lui montra en gros plan, un coeur qui s’arrête. La profondeur de réflexion du Patron étant très limitée, tout comme celle du Roi, d’ailleurs, à l’époque où ils se connaissaient, il se dit que c’était probablement son propre coeur, et qu’il allait mourir d’une crise cardiaque. Les réponses du miroir suffirent à prouver son efficacité au yeux du Patron qui se savait détenir là une arme inégalable. - Messieurs, j’ai sous estimé l’ampleur de vos ressources et de votre dévouement. S’exclama t-il en se retournant vers les Sages. A partir d’aujourd’hui, nous formons une alliance dont personne ne pourra ternir l’éclat de sa pérennité.
Chapitre 28 : Le Chasseur S’émerveille
Le Chasseur, assis en tailleur dans un espace vaste et sans limite visible, déployait sa réflexion. Devant lui, des formes géométriques parfaites s’alignaient en un schéma visuel complexe, où chaque composant suivait son cycle d’existence, harmonieux et précis. Pourtant, au centre, une perturbation apparut.
De petits bouquets d’étincelles scintillèrent, illuminant l’ordre établi. Ces éclats, d’une couleur pâle mais légèrement différente, pulsaient comme de minuscules cœurs battants. Ils émettaient de faibles crépitements, comme si des sons lointains tentaient de percer la tranquillité de son esprit. Le Chasseur fronça les sourcils.— Que se passe-t-il ? murmura-t-il.
Il observa ces anomalies, cherchant leur origine. Elles se rassemblèrent en trois pôles distincts, des halos vibrants où des formes vagues commençaient à émerger. Intrigué, il augmenta sa concentration. À mesure qu’il plongeait plus profondément dans sa méditation, les formes se clarifièrent, révélant trois visages.
Ces êtres tournaient autour d’un gouffre sombre, immobiles mais glissant en cercle, comme s’ils flottaient sur une gigantesque horloge. Leurs pieds ne bougeaient pas, ancrés sur une aiguille mouvante. Tout autour, des millions d’aiguilles dansaient à des vitesses variées, projetant des faisceaux lumineux.
— Oui… c’est une horloge, murmura-t-il, fasciné.
Au bout des faisceaux, il distingua des scènes. L’un des visages, jeune et barbu, semblait baigné dans une lumière d’océan. Une autre figure, sculpturale et étrange, paraissait appartenir à une forêt luxuriante. Le Chasseur tendit son esprit vers eux, et leurs voix lui parvinrent :— Je m’appelle Y. Apparemment, nous sommes la même histoire. Je joue avec un robot qui cherche son issue. Peut-être sommes-nous tous la même chose, étendue dans les dimensions… Mais je n’en sais rien. Que cherches-tu ?— Je poursuis la quête d’un vieil homme. C’est la quête du mystère.— Hum, intéressant. Dans ton monde, qu’est-ce que le mystère ?— Je ne sais pas exactement. C’est ce qui m’attire en ce moment même…
Le mot « mystère » résonna dans l’esprit du Chasseur comme une onde électrisante. Ses pensées s’emballèrent.— Qui sont-ils ? Comment peuvent-ils parasiter ma réflexion tout en semblant en être le centre ?
Il observa l’horloge plus attentivement. Les aiguilles, dans leur mouvement frénétique, semblaient relier les personnages, leurs mondes et lui-même. Il sentit un vertige s’emparer de lui.— Sommes-nous tous sur cette même horloge, chacun sur une aiguille unique, dictant une fréquence propre ? Peut-être partageons-nous un même centre… peut-être est-il possible de voyager d’une aiguille à l’autre.
Sans prévenir, l’une des aiguilles l’emporta. Il fut projeté en arrière, arraché à sa méditation. La lumière se dissipa, et il ouvrit les yeux, le souffle court.
Deux jours plus tard
Le Chasseur se replongea dans sa réflexion. Cette fois, l’effort fut plus intense. Pendant deux jours, il bâtit patiemment sa concentration, et enfin, l’horloge réapparut.
Il se vit glisser le long d’une aiguille, tombant dans une spirale contrôlée. L’aiguille le projeta dans un faisceau lumineux. Une scène se dessina : une maison simple. À l’intérieur, une femme inscrivait des mots sur un objet étrange tandis qu’un homme lui parlait.
Avant qu’il ne puisse comprendre, une rotation brutale l’expulsa. Une nouvelle aiguille l’accueillit, dévoilant cette fois une grotte. Là, un Ogre colossal forgeait du métal en fusion de son bras géant. Puis, délaissant son ouvrage, il s’installa à une table pour boire une soupe. Dans la cuillère, le Chasseur aperçut une fée bleue, son reflet minuscule mais éclatant.
La pression devint insoutenable, et il fut arraché à nouveau.
L’anneau et le gouffre
Le Chasseur entra une troisième fois en méditation. Il se retrouva debout sur un anneau de métal massif, entouré par le ballet des aiguilles. Chaque faisceau projetait un monde différent, vibrant et unique.
Il tourna sur lui-même, veillant à ne pas se laisser emporter. Au centre de l’anneau, un gouffre béant pulsait comme un cœur géant. Le simple fait de le regarder provoquait un vertige profond, et une voix sourde semblait l’appeler à sauter.
Il s’accroupit, sortit un chewing-gum bleu de sa poche, le mâcha lentement, et le jeta dans le gouffre.
Le spectacle qui suivit le stupéfia. À travers les faisceaux lumineux, il vit le chewing-gum réapparaître sous des formes multiples : des montgolfières bleues dans un ciel infini, des toiles d’araignée scintillantes, de la lave bleue jaillissant d’un volcan. Dans une autre scène, un scientifique présentait le chewing-gum aplati comme un matériau révolutionnaire.
Il comprit enfin.— Ce qui entre dans le gouffre se divise et se manifeste dans tous les mondes.
Le Chasseur réfléchit à ce qu’il avait vu. Le gouffre, au centre de l’horloge, était la moelle épinière du monde, un canal principal où les choses se transforment avant de se disperser dans toutes les dimensions.
Il se redressa, attacha solidement un fil d’Ariane à son anneau, et fixa une dernière fois le gouffre.— Il me faut sauter.
Sans hésiter, il se lança dans le vide.
Chapitre 29 : Le Jeune Devient L’architecte
Toujours entouré de l’océan infini, le Jeune exprima le matériel à disposition. Il avait fait un tel silence jusque là et tout abandonné depuis si longtemps que, ses mains, dans une concentration mortuaire, se mirent à travailler toutes seules. Il n’avait qu’à regarder l’oeuvre se faire. D’abord, il découpa les voiles de son bateau en petits triangles qu’il corda et mit au vent afin de profiter de sa force. Ainsi se construisit vite une presse, une massicoteuse… Il fit, grâce au verre de la bouteille, une loupe pour chauffer et en peu de temps le bateau devint une véritable usine. Le Jeune rappelait alors l’Artisan, les yeux plissés sur une pupille d’aigle. Il travaillait sans relâche, ne s’arrêtant que pour dormir. Il voulait obtenir du papier alors il commença par broyer quelques planches de son bateau afin d’en obtenir de la pâte. Il construisit en plus un racloir automatique à balancier, un morceau de ficelle qui trempait dans l’eau imbibait la voile et une lame de bois récupérait les molécules de poussière baladées par le vent. Le cumul de lumière, d’eau et d’air suffisait à créer la cellulose. Le racloir déposait les grains de poussière dans une petite boîte et de cette façon le Jeune Architecte importait lentement sa matière première. Sa première motivation était de créer une machine indépendante, qui se nourrirait seule. La boîte ne tarda pas à se remplir et il put commencer à presser le papier. Pourquoi faisait-il du papier ? Ce sont les voiles de son bateau qui l’ont inspiré. Ces voiles qui s’appuient sur la force du vent et cachent ce qu’il y a derrière elles. Il avait réfléchi sur le plein et le vide, leur différence, ce qui les sépare et les assemble. Le silence et le bruit. Il s’était rappelé aussi ce langage basique qu’on avait inventé et qui se fonde sur des séries de percussion et de silence, le morse. Il y avait vu le rapport éternel entre la pulsion et le message. Maintenant, il lui fallait des aiguilles alors il utilisa le métal du bateau et le fit fondre grâce à son four solaire pour leur donner forme. Progressivement, l’architecte comprenait son oeuvre, il était en train de faire une boîte à musique pour faire chanter le Vent. La machine fonctionnait ainsi : les pulsions du Vent gonflaient les voiles qui actionnaient le mécanisme de perçage du papier, les ronds de papiers étant par la suite récupérés et recyclés. En fonction de la puissance, les trous ne se plaçaient pas aux mêmes endroits et le papier troué passait ensuite dans une chambre de résonance dans laquelle le Vent s’engouffrait et faisait siffler les trous. La rapidité n’étant pas encore au rendez vous, l’architecte travailla encore pour obtenir un système instantané. Il ajusta aussi la caisse de résonance pour optimiser la vibration et donner un caractère plus animal à la chanson du Vent. Jour après jour, son oeuvre s’améliorait, le son et la musique se fluidifiaient comme un langage proche d’être compréhensible. Le Jeune qui avait pris les traits d’un savant fou ne dormait plus vraiment et bondissait d’un point à l’autre réglant chaque composant de son bateau parlant. Tous les jours, l’architecte passait de longues heures à analyser les trous dans le papier fait par sa machine à vent et il remarqua un jour que des séquences caractéristiques similaires à des émotions s’exprimaient. En fait, la musique décrivait des cartes exprimant des rapports émotifs complexes. Il y avait des thèmes comme des personnages ou des endroits et il pouvait même discerner une structure sous-jacente. Différentes histoires s’encastraient les unes dans les autres et circulaient entre elles par un mouvement convectif. Progressivement, le Jeune commençait à concevoir que la machine décrivait le jeu complexe de l’ensemble des rebonds ondulatoires existants dans ce monde. Comme la machine fonctionnait en temps réel, il pouvait savoir ce qu’il se passait sans se déplacer. Un frissonnement de génie parcourut son système nerveux et le fit se dresser spontanément, oubliant l’oscillation du balancier à aiguille qui lui asséna un coup fatal à la tête. Le Jeune homme assommé fut projeté à la mer. L’architecte en mourant laissa derrière lui le sillon d’une machine qui décrivait instantanément par la musique les oscillations de l’ensemble du monde.
LA FAMILLE
Chapitre 30 : Nouvel Homme
Depuis des centaines de milliers de pas sans avoir vu âmes qui vivent, le Roi pénétra une nuit dans une forêt dense. A mesure qu’il s’y engouffrait, des grognements inquiétants retinrent toute son attention, il s’arrêta pour mieux les entendre et tenter de les localiser quand dans un soudain silence le grognement retentit puissamment pour résonner en écho dans le bois. Le Roi aurait eu très peur s’il ne s’était directement rendu compte que le fameux animal n’était autre que son ventre affamé. Il devait manger. Par chance, il se trouva juste là un framboisier jonché de fruits parfaitement mûrs. Le Roi eut un double pincement au coeur pour ce cadeau des bois qu’il prenait comme un clin d’oeil car ces fruits lui faisaient penser à son ancienne coupe de cheveux. Il se gava alors pour l’occasion comme il le faisait autrefois tout en riant aux éclats, seul. Repus de ce mets chaleureux, il s’endormit dans cet endroit qui, pour un instant, lui rappela son ancienne vie. Au matin, quelques bruissements de feuilles et de crack de branches lui firent ouvrir les yeux. Couché comme un bébé sur le lichen tendre et duveté, il se trouva spectateur d’une scène qu’il n’avait encore jamais vue. A quelques pas devant lui, une biche grignotait les framboises qu’il n’avait pas mangées. Derrière elle, son cerf fixait le Roi dans les yeux. Ce dernier ressentit un froid lui parcourir l’échine, ce froid singulier que l’on ressent face à un animal sauvage de grande taille. Il aurait bien apprécié plus longtemps le spectacle mais un nouveau grondement de son estomac fit bondir les animaux qui disparurent aussitôt. Le message était clair, le Roi devait manger et il y avait des animaux. Il se redressa alors et dos contre l’arbre, il choisit à ses pieds la branche la plus fiable, sortit son couteau et commença machinalement à tailler son extrémité en pointe. Il savait que cette arme devrait finir dans le corps de sa proie mais il ne savait pas encore comment alors il réfléchit de ce qu’il connaissait de la chasse et en déduit deux positions, celle de l’attaque ou celle du piège. Il avait tout intérêt à tester les deux parce que tout novice qu’il était, il connaîtrait sûrement des échecs. Dans la position d’attaque, il devrait être discret et agile, dans la position du piège, il devrait être stratège et patient. Puisqu’il lui fallait un appât, il eut son idée, il allait prendre les fruits alentours et en faire un tas sous un arbre dans lequel il resterait caché, juché sur une branche et armé de son mortel harpon. Il n’aurait qu’à se laisser tomber pour fondre sur sa proie et lui assener le coup fatal. Il prépara consciencieusement son piège en espérant qu’au lendemain les mêmes ovidés viendraient. Son harpon était prêt mais il n’avait trouvé que quelques fruits et deux carottes sauvages. Le soir arrivé, il était bien tenté de manger les carottes mais il résista et ne fit repas que d’une poignée de groseille. Il se positionna très tôt sur une branche solide, juste au dessus de l’appât pour y passer la nuit et être prêt avant l’aube. Sans vraiment dormir, il se maintenait dans un demi rêve, influencé par les bruits de la forêt. Le soleil à peine levé, le Roi était prêt. Il attendît longtemps sans qu’aucun animal ne se présente, les glouglous de son ventre n’aidant pas à sa discrétion. Le soleil était presque en haut quand le Roi découragé se dit qu’il ferait mieux de continuer son chemin plutôt que risquer de tomber mort de faim dans cette forêt. Il allait pour descendre de l’arbre quand il vit juste en dessous un lièvre qui se délectait des carottes sauvages. Le Roi fut prit d’un coup de nerf, ses muscles se crispèrent, son oeil, comme celui d’un python. En un geste, il fondit sur le lièvre et le transperça en plein cou. Il n’en revenait pas, il l’avait eu avec une branche et une carotte. Pour la première fois de sa vie le Roi mangea de sa chasse. Il fit un feu et prépara l’animal, le mangea entièrement. La cuisson ne valait pas les préparations habituelles des chefs du Palais mais c’était pourtant le meilleur lapin qu’il n’eut mangé jusque lors. Satisfait de se savoir capable de chasser sa nourriture, il poursuivit cette nouvelle vocation. Marchant droit devant, il chassait au gré du besoin. Au fur et à mesure de ses expériences, il devint meilleur, inventant de nouvelles attaques et de nouveaux pièges tant et si bien qu’il ne connaissait plus la faim.
Un jour, il entra dans une très grande ville du Royaume de L’Envers. Fatigué de son vagabondage, il compta alors sur sa main tendue pour se nourrir. Il ressentit un plaisir véritable de voir toutes ces têtes congénères sans pour autant être reconnu d’elles comme le Roi du Royaume voisin qu’il n’était plus. D’autant plus que la générosité de ces derniers lui permit de racheter quelques habits et de redécouvrir les joies de la cuisine. Il demeura longtemps assis là, dans une rue en hauteur qui lui offrait à voir des personnages colorés allant dans les reliefs de la ville. Il avait trouvé là bon endroit pour méditer, l’alcool aidant. Puisque son petit seau de pièces devant lui se remplissait doucement et sûrement, qu’il profitait de la sensation confortable de ses vêtements propres, ajouté au fait qu’il était probablement en sécurité ici, tout son corps se détendit comme jamais. Il ne dormait pas vraiment mais s’enfouissait dans l’intimité de sa conscience. La perspective de son environnement changeait lentement ses vertus pour devenir lasse et infinie, les immeubles tout autour devenaient comme des mandibules ou des feux d’artifices au ralenti. Dans cette hallucination voluptueuse, il voyait maintenant courir les animaux qu’il avait chassés jusque là, les personnes qu’il avait croisées sur son chemin et ce, toujours entouré de couleurs florissantes et d’agrégats architecturaux déformés par son imagination. Comme pour s’imprégner un peu plus, il aspirait toutes ces choses alentours par ses narines. Il se sentait à mesure prendre de la hauteur comme soulevé par son nez qui avalait le paysage. Il reconnaissait ces contrées qu’il avait parcourues. Son souffle continuait à l’envoler tant et si bien qu’il arrivait maintenant aux abords de son ancien Royaume et vit les pointes des tours de son château se tordre jusqu’à s’infiltrer en fil courbe dans son nez. Curieux, il inspirait délicatement chaque étage jusqu’à se retrouver enfin juste au dessus du lit de sa bien aimée.
Les yeux bien ouverts, la Reine échangea avec lui un regard mystérieux. Elle semblait ne pas le reconnaître, tint le regard un instant puis se tourna comme effrayée par les profondeurs d’un océan inconnu. Le Roi eut aimé profiter plus longtemps du spectacle de sa tendre mais il dut expirer enfin pour reprendre le cycle vital de sa respiration et revint à lui abasourdi par ce qu’il venait de vivre. Il pouvait bien imaginer que son esprit fut troublé par toute la suite des événements jusque là et ait pu lui faire imaginer toutes ces choses mais l’expérience lui parut si concrète, si réelle qu’il ne put réprimer l’admiration des potentiels de l’esprit qu’il ignorait jusqu’à lors.
Etait ce possible que ke mystérieux regard que sa Reine avait croisé l’autre fois fut ce regard échangé aujourd’hui ?
Ivre et fatigué, il s’endormit.
Au réveil, à peine avait-il ouvert les yeux qu’une personne à l’air sympathique s’assit à côté de lui en lui proposant de discuter le temps d’une pâtisserie à partager. Ebahi de sa proposition, le Roi se décalait pour faire place à cet hôte et le laissait parler : “Tu es voyageur, non ? “ La bouche pleine, le Roi hocha la tête en signe d’affirmation.
- Tu viens d’où l’ami ?
- Je viens du royaume voisin, le connais-tu ?
- Et bien non malheureusement, je n’ai pas l’occasion du voyage.
- Alors vers quoi cours-tu ?
- C’est simple et familial, je nourris un certain cycle pour le bien-être des miens.
- Es-tu heureux ?
- Parfois oui, parfois non. Et toi ?
- C’est difficile à dire, j’avais tout pour l’être mais je ne l’étais qu’à moitié et maintenant que je n’ai plus rien je le suis de l’autre moitié.
- Nous disons la même chose, tout est coupé en deux d’abord et chaque nouveaux ensembles se coupent encore en deux comme les cellules de notre corps. Regardes, toi et moi, par exemple, ne sommes-nous pas la division ou variation du même concept d’homme ?
- Alors, quel est notre but commun à toi et moi ?
- Hé, et bien si toi et moi sommes des hommes, du point de vue biologique, notre but commun est d’abord la femme.
- Ensuite ?
- Et bien c’est la production d’un nouvel être. Il peut être de toutes sortes, vivant ou objet, il se peut même que l’on produise un être qui échappe à notre conscience.
Le Roi ne put s’empêcher de repenser à cette femme, la voyante qu’il avait rencontré une fois tandis que l’inconnu poursuivait : - Tiens, prends le concept d’outil par exemple, on le crée pour nous rendre service. Un outil parfait est aussi celui que l’on oublie, celui qui exécute sa tâche silencieusement dans la perfection de l’invisible. Tu es d’accord pour dire qu’un bon outil traverse les générations en différentes versions ou allèles tout comme son créateur. Un outil est tout aussi vivant que toi et moi, il meut le monde autour de lui. C’est le point de vue qui est vivant, rien d’autre. Et ce point de vue se déplace à travers toute les choses comme un oeil fantôme.
- J’ai bien peur que toute cette philosophie matinale ne me congestionne le cerveau mon cher.
- Ah, bon, parles moi de toi alors, qui es tu ?
Le regard vague, le Roi formula spontanément sa réponse en une chansonnette, il chanta: - Avant j’étais un Roi,
Riche et entouré,
J’avais un palais glorieux,
Une eau pure et libre,
Rien d’autre dans le ciel que quelques magnifiques animaux,
Mais un jour, au matin, quand dehors tous les oiseaux chantaient la beauté,
Toi ma Reine, tu m’as donné le doute en cadeau,
Comme un scratch sur un miroir, le rendant tout à coup visible,
Tu m’as donné d’un seul coup,
Le sens de la vie,
Tu m’as montré le sens d’un homme vrai
Un aventurier qui marche sur des galaxies brûlantes,
Un philosophe qui surf sur la vérité,
Un ingénieur, un créateur qui construit un monde, juste par le souffle de l’amour. » - Tu es sûr que ça va ? demanda le passant manifestement amusé
- Oui , oui , ça doit juste être les relents de cette bouteille d’alcool… Ahah, Merci pour la pâtisserie. Ca fait longtemps que je ne suis pas venu en ville et que je n’ai parlé à autre humain. L’effet m’est bizarre. Mais, toi l’ami, tu me redonnes goût au verbe et mes aventures récemment vécues sonnent quelques questions que je ne peux laisser sans réponses…
En un geste, le Roi, debout, haranguait les passants qui s’arrêtèrent net les yeux rivés sur cet homme à l’allure bizarre pour l’écouter. - Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs ! Où va l’homme après la femme, où va la femme après l’enfant ? Leur demanda le Roi qui brandit alors sa bouteille vide, si je jette cette bouteille à la mer, c’est un message qu’il me faudrait mettre dedans. Si je la jette à la poubelle, elle ira au recyclage et se fera à nouveau remplir pour demeurer une bouteille de liqueur. Si je la casse, son concept en sera changé pour n’être plus que des petits morceaux de verre, son potentiel en restera tout autant égal à travers toutes ses expressions. Mais qu’est ce que ce monde en réalité ? Vous, moi, échangeant des idées, réalisant autour de nous les repères comme des branches sur lesquelles nous sautons comme des singes ? Nous voilà brisés en une myriades d’éclats, comme des flocons dans une tempête de neige.
- T’as qu’à reboucher ta bouteille ivrogne et ta tempête cessera ! siffle un passant en riant.
- Hum, reboucher le monde, c’est une idée !
Tous riaient. Devenant une habitude maintenant, le Roi, qui était devenu le clochard de cette rue, parlait chaque jour. Il cherchait ses réponses dans la réflexion de l’autre. Il inventait même des tours de magie avec de petits objets pour illustrer ses expérimentations, comme le ferait un clown.
Il faisait beaucoup rire les enfants et par là même les parents. Un jour qu’il parlait encore de miroir et de réflexion, un homme lui coupa la parole : - Les miroirs, plutôt que d’en parler, pour en faire vraiment le tours, tu ne voudrais pas les faire ? je suis fabricant et cherche du monde car j’ai de grosses commandes
- Pourquoi pas… dit le Roi qui était devenu clochard puis clown et maintenant, artisan peut être.
Les deux se dirigèrent vers l’atelier du miroitier qui était homme respecté pour la qualité et la facture de ses ouvrages. Il lui apprit tous ses secrets qui intéressaient beaucoup le Roi. Il appréciait le geste artisanal, la perfection de l’oeuvre, la volonté de l’homme exprimée dans un objet. Puis, peut être espérait-il secrètement retrouver sa vie d’antan. L’artisan était plus que satisfait de son disciple qui respectait l’apprentissage et se débrouillait bien. Il vendait même quelques pièces fabriquées par ce dernier à ses clients les plus prestigieux. Et ceci avec d’excellents retours. On disait que ces pièces étaient véritablement uniques, la perfection. Les affaires allaient bon train.
Un soir, par un beau soleil couchant le miroitier invita le Roi à boire et discuter. Les deux hommes assis et mis en relief par cette lumière magnifique appréciaient la paix du moment. Le miroitier, sérieux dit : “Tu sais, si je t’ai tout appris, c’est parce que je dois mourir bientôt. Et il m’eut été difficile de laisser ma technique à l’oubli. J’ai confiance en toi, gardes toujours la notion du respect. »
Il sortit de sa poche son trousseau de clés et le posa sur la table. « Je vais maintenant passer le temps qu’il me reste à gérer quelques affaires irrésolues. Ce fut un réel plaisir de t’avoir connu. » Sur ces mots le fabricant de miroirs s’en alla pour toujours. Bouche bée, le Roi n’eut à peine le temps de bredouiller quelques mots que l’homme était parti. Sur la table les clés de la boutique.
Les temps qui suivirent, le Roi vendait des miroirs pour toutes sortes de gens et les affaires marchèrent au mieux, tant et si bien que la demande submergeait l’offre. le Roi qui aimait de plus en plus compter les billets se décidait à assumer la demande par l’achat de machines de fabrication. Il allait produire des séries. La boutique tournait bon train, il n’était presque plus à l’atelier ayant dédier la plupart des travaux à ses nouveaux employés.
Son compte en banque gonflait comme son ventre. A première vue, on aurait dit un business man.
Un jour, au restaurant, entouré de ses nouveaux amis prestigieux, une femme se leva et prit la parole : « Vous savez, j’ai connu toute l’évolution de l’atelier de miroiterie. J’étais très bonne amie avec le miroitier qui vous à légué son entreprise. Avant, face aux oeuvres qui sortaient de l’atelier, on ne pouvait qu’admirer la beauté du geste du créateur. Maintenant, vous avez transformé ce geste consciencieux en un vacarme insensé et la qualité s’en ai vue réduite. Vos mains capables de fabriquer de si merveilleux objets ne font plus que brasser des billets. Ces beautés seront donc vouées à disparaître tout comme l’humain derrière la machine.
Le Roi, secoué par la véracité des dires passa toute sa soirée à réfléchir et en déduit la conclusion qu’il devait enseigner son savoir.
Il alla frapper aux portes d’une école où on lui octroya une place d’enseignant de la matière.
Très vite, professeur il devint.
Chapitre 31 : La Reine Porte Le Nez Du Clown
Un jour de ciel clair, Mélodie qui voguait accompagnée de son nouvel amour aperçut une terre au loin :
- Regardes le Clown, terre ! Terre à l’horizon !
- Terre ? Quelle Terre ? Questionna le Clown qui pêchait à la traîne.
Il posa sa ligne, se leva et ombrant ses yeux avec sa main, regarda la terre. Il eut alors ce frisson bizarre et prémonitoire des grands événements : - Attends, attends, tu sais que je dois me cacher ? Cette bourse là, ne m’appartient que si je ramène le mystère au Roi.
- Et alors, n’as tu pas le mystère devant toi à rapporter ?
Le Clown sourit, inquiet. - Si c’est le royaume que tu habitais, tu n’as qu’à enlever ton nez de clown, changer d’habit et le Clown n’y paraîtra pas. Faisons-nous passer pour des voyageurs en quête de vérité.
- J’ai peur.
- Allez, enlève ton nez mon p’tit bouchon, c’est le moment de le jeter à la mer.
Et avec toutes les manières des personnages de Michel Ange, sa main déposa son nez rouge sur l’éternité des flots allants. Tapant des mains, Mélodie jubilait : “Ha, je suis contente, l’aventure nous attend !”
Pieds à terre juste avant la nuit, les deux se dirigèrent vers le village, éclairé de petits lampions, non loin du port. Ils entrèrent dans une auberge pour se restaurer et apprendre quelques informations sur l’environnement. Ils dévoraient les plats de viande comme s’ils n’avaient plus mangé depuis toujours. Une ambiance chaleureuse émanait de l’auberge bondée. Le Clown s’efforçait de garder une discrétion de chat tandis que Mélodie qui se réjouissait de changer enfin son régime alimentaire de poisson contre de la viande, riait et se régalait des plats qu’elle commentait à haute voix. Ce qui ne tarda pas à intriguer quelques gars du coin, installés à la table voisine. Ces derniers, fascinés par la beauté de Mélodie et étonnés de la présence de ces deux inconnus, engagèrent la conversation : “D’où venez vous les voyageurs ?”. Ravie de converser, Mélodie s’amusa à inventer une histoire rocambolesque captivant ses interlocuteurs qu’elle conclut de cette façon : “Et c’est ainsi qu’après avoir combattu le poulpe géant à mains nues, la suite de notre aventure continue sur terre et nous trouverons le rubis à trois face par la même.” Complètement effaré par la fougue inventive de son amie et par le fait que les bedeaux gobaient tout, tant ils étaient charmés, le Clown se détendit enfin un peu : “Un rubis à trois faces, c’est impossible.” s’amusa t-il intérieurement. Pour couper court à son histoire Mélodie demanda : - Mais avant que nous repartions à l’aventure, vous qui êtes du coin, quel travail y aurait-il ici ?
- Bien, le Palais est vaste, tu peux travailler aux champs comme au château.
- Le champs, ça je connais ! Qu’est-il possible de faire au château ?
- Il y a tous les métiers de service et nouvellement, comme notre Roi à disparu, la Reine veut amuser l’humeur du Royaume, elle souhaite construire des jeux grandeurs nature pour son bon peuple. Elle cherche donc des architectes innovants, des intellects qui pourrait étoffer ou inventer des modules.
Mélodie écarquilla les yeux et regarda son Clown comme si c’était LA seule chose qui leur fallait entendre ce soir. - Tu te rends compte mon bouchon ? On va habiter au château !
- Ho, ho, j’aime pas ça, nous n’avons pas les compétences pour de tels postes !
- Mais oui, nous les avons ! Il te suffira de faire les tours que tu m’as montrés mais à grande échelle !
En tout cas nous verrons ça demain.
Ils prirent une chambre dans l’auberge et retrouvèrent le confort d’un lit immobile. Excitée, Mélodie apprit par coeur ce qu’elle devrait dire à la Reine pour la convaincre. Au matin, ils dépensèrent une sommes incroyable pour se vêtir. Ils mirent le paquet et ressemblaient à des sommités. Mélodie, enfant élevée aux champs, parée alors de si beaux atours, riait de se voir si belle dans les miroirs du somptueux magasin. Le Clown qui ne s’était jamais vu accoutré comme un roi, mimait la tenue d’un vieil empereur devant la glace. Mélodie prit la posture et la voix d’une comtesse pour dire à son ami : “Et bien mon grand bouchon, on dirait que ces habits vous sied à merveille !”. Le Clown qui ouïe les dires et tout en détachant son bouton de manchette piqua son sourcil et ses lèvres à l’italienne. Les deux rirent de leurs rires familiers. Les voilà en carrosse sur la route du Palais. Ils se présentèrent aux portes du château comme de grands architectes du Pays de Barataniev venant proposer leurs services à la Reine qu’ils ne tardèrent pas à rencontrer dans le jardin de Jasmin. Tous trois face à face, il y eut d’abord un silence. La Reine, qui n’oublie pas un visage, faillit reconnaître le Clown. Quant à Mélodie, qu’elle n’avait jamais vu, la Reine ressentit auprès d’elle une vibration familière toute spéciale comme si les deux femmes se connaissaient déjà au tréfonds d’elles mêmes. Mélodie qui ressentit cette même vibration, en perdit son élan théâtral et bredouilla la présentation qu’elle avait si bien préparée en amont. “Oui, on m’a dit qui vous êtes.” Mais ses grands yeux qui plongeaient tour à tour dans la Fille Du Miroir et dans le Clown semblaient lire au-delà du texte : - Je suis enchantée que vous veniez à moi maintenant. J’ai grand besoin d’inventions. Mais, ne nous sommes-nous jamais vues ?
- Non. Répondit le Clown presque déjà trahi par une goutte d’eau perlant sur sa tempe.
- Non, c’est la première fois. Il me semble que nous ne nous connaissons pas encore. Anticipa Mélodie.
- Alors, quelles sont vos compétences ?
- Mon mari est un génie mais il est très timide comme vous le voyez. Je me permets donc de vous déployer le tableau : il est tout d’abord architecte, aussi opticien mais surtout mécanicien généraliste.
- Bon, alors je dois vous montrer quelque chose, venez !
Ils montèrent sur une des tours du château. La Reine montra du doigt un pan de montagne encore vierge : - C’est à cet endroit que vous ferez votre premier ouvrage.
- Que voulez-vous y voir ? Demanda le Clown dont la curiosité prenait le pas sur sa timidité.
- Je veux un mobile géant qui nous transporte à travers ciel. Vous disposerez de tous nos outils, usines et matières.
- Parfait, dit Mélodie, nous nous y mettons dès aujourd’hui !
La Reine confiante leur adressa un éclatant sourire et prit congé.
Pour étudier la topologie, le Clown et Mélodie se dirigèrent vers le terrain à construire. Les deux s’accordèrent sur le fait d’utiliser la force thermique et le vent exercés sur la pente de la montagne pour provoquer la cinétique du mobile. Aussi, ils répartiraient les poids par un système de rotules qui déplaceraient les nacelles portant les gens autour des points de rotation. Des ailes en toiles fines devraient aussi aider les nacelles à se poser sur la chaleur montante. Les idées fusaient tant et si bien qu’à la fin de la journée, le plan de construction était prêt. Les amoureux vivaient une période créative intense, l’édifice progressait jours après jours et il ne fallut pas attendre trop pour pouvoir essayer l’engin. Après quelques tours d’essai, la Reine fut invitée à tester l’attraction. Il fallait être au moins deux pour que l’engin fonctionne, alors, elle convia le Deuxième Sage et passa toute l’après midi sur le manège. C’était formidable, elle riait comme elle n’en avait plus eut l’occasion depuis longtemps. Les nacelles surfaient sur le vent telles des oiseaux, elle pouvait même choisir sa direction grâce à un petit volant.
Tout le Palais fût inviter à essayer ce jouet qui régalait chaque nouveau participant en y implantant l’étincelle de l’innovation.
Au soir venu la Reine organisa une grande fête et remercia chaleureusement les deux architectes pour cet amusement. C’était aussi l’occasion de les connaître mieux. Le Clown s’était donné le prénom “Eidolem” (Mélodie” à l’envers). La Reine qui ne voulait pas arrêter en si bon chemin partageait avec eux les idées qui lui trottaient dans la tête de fabrication de jeux grandeurs nature. Les jeunes architectes développèrent chaque idée en d’excellents projets qui ne tardèrent pas à voir le jour. C’est ainsi qu’après cette soirée, le Palais vit tout un tas de changements, de nouveaux parcs, jeux et promenades se construire ici et là, toujours avec une forme et un mécanisme surprenant.
Tout le monde au Palais appréciait les créations et la Reine aurait aimé les partager avec le Roi, mais quand elle y pensait, elle s’efforçait d’imaginer d’autres projets qui pourraient la divertir. La Reine eut une autre idée pour les deux artistes, elle aimait la musique et voulait un instrument à jouer lorsqu’elle prenait l’air sur sa terrasse. Le Clown inventa alors un instrument prodigieux qui émettait des sons grâce à la lumière. La Reine posait ses doigts sur des petits trous pour couper la lumière et une note jaillissait. De plus, les notes s’écrivaient en partition à mesure qu’elle jouait. Depuis qu’elle y avait goûté une fois, la Reine ne pouvait plus se passer de son instrument. Elle y jouait tout son temps des mélodies délicates et des tonnerres de notes,. Elle jouait tellement que les partitions générées par l’instrument pendaient de la terrasse de sa chambre jusqu’au sol du donjon continuant vers le centre du bourg. Elles étaient récupérées par les gens qui les jouaient à leu tour et dispersaient ainsi les notes aux quatre coins du monde.
Quand on demandait à la Reine d’où elle tirait son inépuisable inspiration, elle répondait que c’était le vent du manque qui faisait vibrer ses doigts.
Elle jouait tant et si bien que la gouvernance du Royaume se voyait délaissée à la grande satisfaction du Patron qui fort de ses entreprises propriétaires avait prit les rênes du Palais. Effectivement, il siégeait parmi les Huit Sages sur la chaise laissée vide par celui qui s’était fait confident de la Reine. Cette dernière laissa carte blanche à Mélodie et Eidolem pour fabriquer tout ce qu’ils voulaient. Grâce à cette permission, la cité devint magnifique mais les technologies déployées qui n’étaient rien d’autre que les anciens tours du Clown exprimées sur d’autres échelles et d’autres médias pour distraire les citadins, étaient systématiquement récupérés et détournées par le Patron et les Huit Sages pour le compte de l’industrie et de l’armement. C’était incroyable, on voyait apparaître l’électricité, le téléphone, l’automobile, l’avion, l’ordinateur. Le Patron se sentait si puissant, si capable, qu’il donna un nouveau nom au Palais : Abletown. Il avait aussi déployé des conquêtes dans les pays voisins grâce à l’avancée technologique qu’avait subi sa ville. Au lieu d’offrir les technologies d’Eidolem et Mélodie, il en conservait jalousement les secrets pour asseoir sa supériorité. Il préférait mentir à un peuple soumis plutôt que de vivre d’égal à égal avec lui.
Un messager avait bien essayé d’avertir la Reine des agissements du Patron mais celle-ci s’en contre fichait, elle était si envoûtée par la musique et elle ne savait de toute façon pas comment ralentir le progrès sans priver le monde de nouvelles inventions.
La réputation d’Abletown prit de l’ampleur tant et si bien que les contrées voisines dont le Royaume de l’Envers signèrent tout un tas d’accord commerciaux qui les placèrent sous la législation et la protection militaire de ladite cité devenant ainsi le plus puissant des empires connus. Le Deuxième Sage qui n’appréciait pas ce que devenaient ses compères et son univers se résigna à quitter le Royaume de l’Endroit à tout jamais. Il marcha droit devant. Face à la Mer De L’Imagination, il contempla l’horizon en méditant longuement. Soudain, ses yeux accrochèrent un objet flottant au loin. Comme la forme se rapprochait de lui, il vit que c’était un bateau étrange et qui paraissait sans passagers. Plus il s’approchait de la berge, mieux le Sage pouvait entendre une mélodie qu’il connaissait et il devinait maintenant que les voiles engouffraient le vent dans un mécanisme qui produisait la musique qu’il entendait. Le bateau vint accoster aux pieds du Sage comme si il lui était destiné. Sur la façade, il pouvait lire en grosses lettres son nom : “LE MYSTERE” et, juste en dessous “Tout Est Ecrit Dans La Musique”, une inscription apparemment gravée sommairement au couteau comme si le navigateur avait voulu laisser un message. Le Deuxième Sage eut comme premier réflexe de monter à bord et de partir avec cette embarcation offerte mais son deuxième réflexe fut d’observer l’engin avec plus d’attention. Il y avait là l’écusson du Royaume de l’Endroit, il était évident que c’était le bateau qui avait été préparé pour la quête du mystère. Qu’était-il arrivé à ses passagers ? En remarquant quelques détails du bateau, il comprit l’oeuvre d’un homme qui était resté très longtemps seul à bord. La mécanique bougeait devant lui comme une une arachnide fantomatique tissant les partitions de ses pâtes en aiguilles.
Ces mélodies ne manquaient pas de lui rappeler la musique de sa Reine. Il restait stupéfait, glacé par la drôle d’impression d’avoir face à lui le squelette de la majesté la Reine transformé en un robot naissant.
En fait, il n’allait pas partir avec mais le cacher pour le montrer à la Reine. Il retourna sur ses pas et la prévint mais cette dernière demeurait complètement hypnotisée par sa musique, elle ne disait ni n’écoutait plus rien. Attristé de la voir ainsi disparaître progressivement, diluée dans la musique, mais déterminé à ne pas laisser son étrange découverte entre de mauvaises mains, il alla prévenir discrètement un ami pour décider avec lui de quoi faire avec cet objet. Ce dernier lui conseilla aussi de garder secrète sa trouvaille pour qu’elle ne soit pas récupérée à des fins néfastes par les Huit Sages et le Patron comme ils le faisaient ces derniers temps avec toute technologie qu’ils avaient à voir. Ils savaient aussi qu’ils ne pourraient pas cacher l’objet bien longtemps, alors ils se dirent que la meilleur façon de cacher le bateau aux yeux du château était de perdre la connaissance de ce qu’il deviendrait.
La connaissance étant la base de la communication, pas d’information, rien à communiquer. Ainsi, en se libérant de la connaissance du bateau, ils lui offriraient peut être une chance de futur.
Ils organisèrent donc une équipe pour récupérer le bateau, le ramener secrètement dans un atelier du Palais afin de l’étudier puis de l’enfermer dans une bouteille de verre géante pour le remettre à la mer de l’imaginable.
Il fallut plusieurs semaines pour fabriquer la bouteille, et pendant ce temps, l’intérêt du Sage se cristallisait autour des partitions. Il fit faire un double pour avoir plus de temps d’étude plus tard une fois que le bateau serait à nouveau sur les flots loin des regards.
Ils ramenèrent l’embarcation de nuit sur la Mer de l’Imagination qui était calme.
Ils la regardèrent disparaître dans l’éther de l’horizon matinale percée par le soleil maintenant levé qui inondait la scène d’une puissante lumière semblant dire « Merci ».
Tous eurent la nette et rassurante sensation d’avoir fait ce qu’il fallait faire. Le Deuxième Sage alla ensuite revoir la Reine pour faire le rapport entre sa musique et celle qu’il avait eut à entendre sur le bateau. L’une comme l’autre étaient motivées par le Vent et semblaient traduire un message. A leur façon, ils écrivaient tous deux la musique sur du papier comme une photographie de l’instant. “Y a t il un message à comprendre dans cette musique ?” se demanda le Deuxième Sage. Il se mit à comparer quelques partitions du bateau avec celles que la Reine avait tapées. Comme il le pressentait, de larges pans se superposaient à la perfection. C’était exactement les mêmes figures musicales. Il étudia avec une grande attention toutes les partitions écrites jusque là mais ne parvenait à grandes conclusions.
Le hasard lui vint en aide quelques jours plus tard en lui ramenant l’Ascète porteur de bien tristes nouvelles concernant la politique gouvernementale actuelle d’Abletown. L’Ascète lui apprit qu’il était parti chercher le Mystère dans les terres où l’on cultive et qu’il y avait vu des choses atroces, des cadavres partout, des villages entiers brûlés sur des dizaines de kilomètres. L’Ascète découvrit finalement ce qui s’était passé par la bouche de quelques paysans qui avaient réussi à se cacher.
Abletown avait commandité le génocide des agriculteurs qui voulaient rester indépendants au niveau des semences et des méthodes de culture. Tous ceux qui n’acceptaient pas de cultiver des semences infertiles et donc de se rendre dépendants des recherches génétiques d’Abletown devaient mourir.
Le corps du chef de la coopérative avait été, sur les ordres du Patron d’Abletown, jeté dans les presses de l’usine de papier toilette de sa ville pour que tout le monde s’essuie le cul avec.
L’Ascète tremblait de la tournure des événements. Le Deuxième Sage qui voyait indiscutablement en l’Ascète un allié, le tint au courant de la découverte du Bateau-Boîte-A-Musique et du rapport qu’il tentait de faire avec les partitions de la Reine. Il alla chercher une bouteille d’alcool fort et les deux discutèrent toute la nuit de l’équation actuelle qui faisait leur réalité.
L’Ascète étudia les partitions et par le détachement naturel qui caractérisait son esprit et sa grande habitude de l’analyse, il vit presque tout de suite dans ces notes l’expression d’émotions. En fait, toutes les émotions qu’on pouvait connaître, c’était une sorte d’illustration de la danse atomique. Il y avait un son pour chaque chose et une organisation de sons pour chaque situation. Avec un peu d’imagination on pouvait lire des scènes comme dans un livre. Toujours plus intrigués, les deux hommes reconnurent même des personnages qu’ils connaissaient, il y avait la fougue joyeuse de la Reine, la colère du Patron, la patience de l’Artisan, la dérive du Clochard, la ruse de l’Artiste, l’intelligence du Clown… Pareil à un livre qui racontait les événements que tous avaient vécus, miroir de leur existence. - Mais pourquoi ? Qui organise l’écriture des événements et dans quel but ? Demanda l’Ascète.
- Le mystère est complet ! Dit le Sage.
- Le mystère, ce fameux que la Reine à commandé et qu’on a obtenu en échange du Roi. Il est venu à nous incarné par le bateau. Répondit l’Ascète.
- En tout cas, on dirait qu’une force veut que l’on comprenne, le bateau à accosté à mes pieds le jour ou je voulais quitter Abletown. Curieux hasard.
- On dirait.
On frappa à la porte. C’étaient Mélodie et Eidolem, ils venaient chercher renfort moral pour agir contre la transformation du monde en un unique empire esclavagiste contrôlé par une poignée d’hommes de guerre.
L’ascète qui ne reconnut pas le Clown, acquiesçait leur motif en leur racontant ce qu’il avait vu sur les terres paysannes. Mais à peine avait il eu le temps d’exposer la situation que Mélodie lui coupât la parole en demandant : - Est-ce que sur ces Terres, tu as vu une sculpture creusée dans la montagne représentant le Soleil et la Lune ?
- Oui, effectivement, elle est au beau milieu du carnage.
- Je n’aurai pas dû les quitter. Chuchota-t-elle avant de s’écrouler au sol en pleurant.
Le Clown qui comprit de suite qu’il s’agissait de la terre de son enfance, la prit dans ses bras et pleura lui aussi en promettant une réponse à ces actes cruels. La jeune femme se releva d’un bond, ses jolis yeux innocents devenus froids et tueurs : “Je les tuerai tous”. Les quatre restèrent silencieux un temps et le Deuxième Sage prit la parole : - Il nous faut réfléchir à un stratagème. La Reine et le Roi ne sont plus si l’on peut dire ainsi, les Huit Sages et le Patron sont protégés par les armes et nos finances fondent…
- Je peux faire sortir de l’argent du compte de la Reine en prétextant la construction d’un parc ! Pourquoi pas un parc destiné à la musique ? Comme un clin d’oeil à la Reine, justement. Un parc ouvert le jour et la nuit permettant à tous de défouler leur agressivité et de la transformer en danse ! Un parc ou les artistes pourraient s’exprimer, passer des messages dans le sens de la riposte. On construirait ce même parc dans tous les Royaumes alentour pour étendre notre champ d’action…
- Très bonne idée, dit le Deuxième Sage, seulement je pense que nos ennemis flaireront le plan.
- Pas si l’idée vient d’ailleurs, objecta le Clown.
- On pourrait effectivement organiser un concours d’idées publiques pour l’évolution d’Abletown et sélectionner le gagnant qui porterait notre idée… Proposa le sage
- Il nous faut trouver un jeune inconnu à qui on insufflera l’idée. Dit l’Ascète.e et une organisation de sons pour chaque situation. Avec un peu d’imagination on pouvait lire des scènes comme dans un livre. Toujours plus intrigués, les deux hommes reconnurent même des personnages qu’ils connaissaient, il y avait la fougue joyeuse de la Reine, la colère du Patron, la patience de l’Artisan, la dérive du Clochard, la ruse de l’Artiste, l’intelligence du Clown… Pareil à un livre qui racontait les événements que tous avaient vécus, miroir de leur existence.
- Mais pourquoi ? Qui organise l’écriture des événements et dans quel but ? Demanda l’Ascète.
- Le mystère est complet ! Dit le Sage.
- Le mystère, ce fameux que la Reine à commandé et qu’on a obtenu en échange du Roi. Il est venu à nous incarné par le bateau. Répondit l’Ascète.
- En tout cas, on dirait qu’une force veut que l’on comprenne, le bateau à accosté à mes pieds le jour ou je voulais quitter Abletown. Curieux hasard.
On frappa à la porte. C’étaient Mélodie et Eidolem, ils venaient chercher renfort moral pour agir contre la transformation du monde en un unique empire esclavagiste contrôlé par une poignée d’hommes de guerre.
L’ascète qui ne reconnut pas le Clown, acquiesçait leur motif en leur racontant ce qu’il avait vu sur les terres paysannes. Mais à peine avait il eu le temps d’exposer la situation que Mélodie lui coupât la parole en demandant :
- Est-ce que sur ces Terres, tu as vu une sculpture creusée dans la montagne représentant le Soleil et la Lune ?
- Oui, effectivement, elle est au beau milieu du carnage.
- Je n’aurai pas dû les quitter. Chuchota-t-elle avant de s’écrouler au sol en pleurant.
Le Clown qui comprit de suite qu’il s’agissait de la terre de son enfance, la prit dans ses bras et pleura lui aussi en promettant une réponse à ces actes cruels. La jeune femme se releva d’un bond, ses jolis yeux innocents devenus froids et tueurs : “Je les tuerai tous”. Les quatre restèrent silencieux un temps et le Deuxième Sage prit la parole : - Il nous faut réfléchir à un stratagème. La Reine et le Roi ne sont plus si l’on peut dire ainsi, les Huit Sages et le Patron sont protégés par les armes et nos finances fondent…
- Je peux faire sortir de l’argent du compte de la Reine en prétextant la construction d’un parc ! Pourquoi pas un parc destiné à la musique ? Comme un clin d’oeil à la Reine, justement. Un parc ouvert le jour et la nuit permettant à tous de défouler leur agressivité et de la transformer en danse ! Un parc ou les artistes pourraient s’exprimer, passer des messages dans le sens de la riposte. On construirait ce même parc dans tous les Royaumes alentour pour étendre notre champ d’action…
- Très bonne idée, dit le Deuxième Sage, seulement je pense que nos ennemis flaireront le plan.
- Pas si l’idée vient d’ailleurs, objecta le Clown.
- On pourrait effectivement organiser un concours d’idées publiques pour l’évolution d’Abletown et sélectionner le gagnant qui porterait notre idée… Proposa le sage
- Il nous faut trouver un jeune inconnu à qui on insufflera l’idée. Dit l’Ascète.
Chapitre 32 : Le Roi Devint Le Vent
Une fois que le Roi devint tous les personnages à tour de rôle, jusqu’à incarner ce professeur dont le savoir était largement diffusé, il tourna les talons à cette ville qui l’avait accueilli et continua sa route vers l’infini. Chaque pas était une méditation sur les étapes parcourues, et il revisitait ses souvenirs, comprenant que ses aventures avaient enrichi sa personnalité d’une multitude de facettes. Ces facettes, autrefois dispersées et parfois contraires, s’étaient unies dans un seul ensemble conscient : lui.
Tout en marchant, une révélation l’envahit. Ces caractères, qu’ils existent dans le monde extérieur ou dans son propre esprit, faisaient partie de lui. Il avait été ascète, chasseur, clochard, clown, artisan, comptable, patron, enseignant… Chaque vie, bien que temporaire, lui avait donné un aperçu de l’étendue de son être. Et en ayant traversé chacune de ces étapes, il pouvait maintenant dire : « Je suis tout cela à la fois. »
Mais la question demeurait : « Que suis-je d’autre, au-delà de cela ? » En posant cette question, le Roi déploya une énergie nouvelle. Ses sens, d’abord limités à son corps, s’étendirent autour de lui. Ses yeux commencèrent à voir au-delà de l’horizon, ses mains ressentirent l’énergie des étoiles, et son souffle porté par le vent emporta des fragments de réalité. « Suis-je encore à marcher ? Ma vie n’était-elle qu’un rêve ? Mes souvenirs m’appartiennent-ils vraiment ? »
L’incertitude s’insinuait en lui comme une brume, dissipant ses certitudes. Il ne tenta pas de retenir les réponses, laissant les hypothèses se disperser dans un souffle. Il devint un être de questionnement perpétuel, un flux en mouvement, toujours à chercher et jamais à conclure. Et à mesure qu’il s’abandonnait à cet état d’exploration pure, il cessa d’être un corps. Ses contours se dissolvèrent, ses pensées s’évaporèrent. Il était devenu le vent.
Le Vent était insaisissable. Il en était revenu à l’état de potentiel. Il avait perdu toute matière. Son seul reflet serait désormais le mouvement qu’il provoquerait aux choses autour desquelles il danserait. Il déplierait tout comme pour en extraire le secret, mais ayant alors perdu la faculté de synthèse, il ne comprendrait plus. Invisible, hormis son œil parfois, au centre du cyclone de lui-même, il portait en lui la trace de toutes choses mais ne les retenait jamais. Il ouvrait les portes sans les traverser, balayait les paysages sans jamais les posséder.
Il devint celui qui déploie sans comprendre, qui voit sans retenir, qui murmure aux oreilles des êtres sans qu’ils sachent qui leur parle. Son œil, souvent caché, apparaissait parfois comme le centre d’un cyclone silencieux, scrutant les dimensions sans jamais s’y fixer.
Comme l’avait prédit le Génie, son reflet n’était plus qu’un écho de son souffle, et son existence se mesurait à l’énergie qu’il insufflait au monde. Il ouvrit les miroirs de l’existence, projetant des vagues d’harmonie dans le chaos. Pourtant, en perdant la faculté de synthèse, il cessa de comprendre. Et ainsi, le Roi, devenu vent, était à la fois l’éveilleur et l’oublié, celui qui rendait la vie aux choses tout en s’effaçant de leur histoire.
Chapitre 33 : L’Errance de la Reine
L’absence du Roi devenait pour la Reine insupportable, elle envisageait alors les mauvaises actions qu’elles avaient commises à son égard et croulait sous les remords. Cette habitude qu’elle avait prise de le titiller à la moindre occasion. “Quel gâchis !”. Le supplice de se retrouver seule chaque nuit dans le lit conjugal l’empêchait de trouver le sommeil, si bien qu’elle ne dormait plus que quelques heures par jour. Plus rien, hormis la musique ne réussissait à effacer sa peine. Les visites même du Chat, tout étendu sur son ventre, ronronnant de bien-être lui rappelait les ronflements du Roi absent. Seul le Vent venant l’envelopper de douces caresses rafraîchissantes lui faisait remède. Elle y respirait le Roi tout entier, sa présence de nouveau près d’elle, quelques larmes coulaient de bonheur. Plus rien n’avait d’importance pour la Reine que le contact du Vent. Elle ne parlait plus et passait son temps à jouer des notes avec le vent, grâce à qui, elle vivait des aventures, voyageait sur les sons et ne pensait à rien.
Mélodie qui passait souvent près des appartements de la Reine, entendait sa musique et un jour, elle s’approcha jusqu’à elle, curieuse. Elle s’assit aux côtés de la Reine, bien présente physiquement mais dont l’esprit semblait se trouver à des kilomètres d’elle et se mit naturellement à chanter. Sa voix se mélangeait bien au son de l’instrument et puisque la Reine ne semblait toujours pas remarquer sa présence, Mélodie en profita pour donner plus de coffre. Mélodie aimait faire vibrer ses cordes vocales et au fil des jours, quand elle passait par là, elle s’arrêtait pour accompagner de son chant la musique de la Reine dont le style dialoguait à merveille avec ses improvisations vocales, tant et si bien qu’un jour le jeu de cette dernière sembla prendre en compte le chant dans un questions- réponses musical effréné jusqu’à ce qu’à la dernière note, la Reine se tourna vers Mélodie et prit le temps de la regarder dans les yeux. Elle s’était réveillée :
- Si je me sens si bien près de toi, c’est que tu as les mêmes nez et front que mon Roi.
- Depuis que j’ai quitté mon village, je n’avais plus eu l’occasion de me sentir si bien, comme ici, en famille.
- Que s’est-il passé pendant mon absence ?
- Les choses n’ont fait qu’empirer, nous sommes maintenant des esclaves des productions d’Abletown. C’est l’acceptation ou la mort. Il nous faut trouver une solution et vite.
- Lorsqu’il avait un problème à résoudre, mon époux avait coutume de demander conseil au génie de son miroir. Peut être peut -il nous aider aujourd’hui, allons dans les appartements du Roi pour y cueillir la clé !
A l’approche des appartements du Roi, deux gardes gardaient l’entrée et semblaient même l’interdire à la Reine. La Reine qui avait instantanément retrouvé sa répartie légendaire qui donnait brillance à son caractère, écarta le premier garde en pointant son index sur le nez. - Toi, t’es viré. Elle se tourna vers le deuxième garde qui baissa les yeux et recula de deux pas pour les laisser passer.
Arrivées dans la pièce du miroir, la Reine fut étonnée de le voir brisé :
-Tiens, je ne savais pas qu’il était cassé… Peut être y a t-il un rapport à faire avec la disparition de mon époux. Il a été brisé puis recollé. - Pourquoi ne reflète t-il pas la pièce et nous mêmes ?
- Parce qu’il présente la solution du problème qui nous importe, mais j’ai bien peur que notre solution ne nous soit présentée en puzzle… En tous cas, je préfère l’emmener loin des yeux du Patron, aides moi, on va le prendre.
Chapitre 34 : Cochlée
Le Deuxième Sage, l’Ascète, et le Clown organisèrent un concours et firent en sorte que l’événement soit largement connu dans le royaume. Ils publièrent des affiches, incitant les jeunes talents à présenter leurs idées innovantes pour le développement artistique. Cependant, Eidolem, le Clown, avait un plan en tête. Trop vieux pour participer lui-même, il décida de choisir un jeune prometteur pour porter son idée : la construction de Cochlée.
Assis sur un banc dans le grand jardin, il observa les passants, cherchant le candidat idéal. Il dessina alors, dans les graviers, une esquisse de Cochlée comme il l’imaginait : une spirale rappelant une cochlée auditive, ornée de coquillages, avec des escaliers, des terrasses, un dance floor. Le trait du Clown, précis et inspiré, attira l’attention d’un jeune homme curieux, ébloui par le dessin.
— Vous dessinez quoi, monsieur ? — Oh, juste un vieux rêve architectural qui ne verra jamais le jour. Un projet que j’ai imaginé, mais je suis bien trop vieux pour participer au concours organisé par la Reine, soupira le Clown. — Pourtant, ça a l’air joli. — Oui, et bien plus qu’esthétique. Ce serait aussi utile, mais bon… Je suis hors course. — Moi, je n’avais pas vraiment d’idée pour le concours… Vous pourriez me raconter votre projet ? — Pourquoi pas. Il s’agit d’un parc public qui diffuse de la musique 24 heures sur 24 dans toutes les capitales du monde, gratuitement. Mais ce n’est pas tout : c’est aussi un outil pour ceux qui n’ont pas les moyens de réaliser leurs idées. Imagine que tu veuilles imprimer une série de livres… Cochlée disposerait d’un atelier d’impression où un professionnel t’aiderait à réaliser ton projet de A à Z. Ensuite, tu pourrais vendre tes livres à la librairie de Cochlée, qui présenterait ton travail au reste du monde. Et ce principe s’applique à tout : meubles, musique, art…
Intrigué, le jeune homme posait d’autres questions.
— Mais comment rémunérez-vous les artistes ? — Avec les revenus de Cochlée. D’abord, nous proposons les matières premières à prix compétitifs grâce à des achats en gros. Ensuite, il y a les recettes générées par les commerces autour du parc, les consommations sur place et les pourcentages sur les ventes artistiques. Cochlée n’est pas juste un espace de gratuité, c’est aussi une machine économique éthique où tout le monde trouve son compte. Et en prime, l’audio y serait d’une qualité incomparable, grâce à un système sophistiqué de régulation du son. — C’est fascinant ! — Et si tu veux participer au concours avec cette idée, je suis prêt à t’aider. Qu’en dis-tu ?
Le jeune homme, enthousiasmé, accepta. Le Clown lui remit alors les esquisses complètes de Cochlée. Derrière ce geste apparemment altruiste, Eidolem préparait discrètement une résolution pour le récit. En faisant construire Cochlée à travers ce jeune émissaire, il proposerait en coulisse la scène finale où tous les personnages et toutes les dimensions se réuniraient dans le ballet de l’iris, le tourbillon ultime où tous les fragments se réuniront en un point de compréhension. La fin des temps du livre.
Incognito, loin des yeux suspicieux du Patron et de ses intelligences artificielles, Eidolem jouait son ultime coup de maître, à la manière du grand architecte.
Un beau jour, le Chasseur rentra au Palais du Royaume De l’Endroit qui était devenu Abletown. Les changements qu’avait subi la ville l’intriguèrent, mais lui, avait aussi tant changé qu’on ne le reconnaissait pas. C’était sa cicatrice d’enfance qu’il finit par montrer pour effacer tous les doutes quand à son identité. Il alla d’abord voir le Roi mais le Roi n’était pas. Il alla ensuite voir la Reine mais elle n’était plus qu’un rêve éveillé hypnotisée par son instrument de lumière qui traduisait le vent. elle était d’une beauté envolée, flottante sur le ruisseau de ses mélodies voyant des scènes se déroulant ailleurs.
Il alla donc voir le Patron et les Huit Sages mais toujours plus intrigué par les changements qui avaient opéré ici, il ne livra pas les secrets de son expérience. Il se vit revenir bredouille sans une ombre de réponse à ses multiples questions. Le Patron était quand même content de voir revenir le meilleur guerrier du Royaume. Il lui donna de l’argent et le remercia pour la mission lui disant qu’il était le bienvenu et que tous étaient contents de le voir de retour parmi eux. Le Chasseur qui ne se contentait jamais d’une seule voix fit le tour de la cité pour trouver renseignement. C’est alors qu’il croisa inévitablement le chemin de Mélodie, du Clown, du Deuxième Sage et de l’Ascète qui étaient là juste devant Cochlée qui était devenue le QG de l’équipe. Le Chasseur reconnu de suite le Clown dans la personne d’Eidolem mais ne dit rien. Comme il était le bienvenu ici aussi, il y resta un peu pour les laisser se détendre et prendre quelques informations. Il ne fut pas déçu puisque le Deuxième Sage lui apprit bientôt l’existence d’un mystérieux miroir ayant pour faculté de refléter d’autres mondes connectés au leur. Qu’on pouvait y voir l’avenir et que c’était là une arme immense pour les Huit Sages et le Patron. Le Chasseur qui sentait que cette équipe était plus saine que celle du Patron lui accorda sa confiance et raconta aux autres l’expérience psychologique qu’il avait vécu grâce à ses états de transe. D’après lui, c’était ce même objet qu’il avait eût à voir. Tous, passionnés par cette nouvelle, s’accordèrent à dire qu’il fallait récupérer le miroir et que le Chasseur tombait à pic pour la mission. Le Sage lui expliqua donc comment se rendre dans les appartements du Roi et l’invita à la prudence car la garde du Patron avait sûrement été renforcée mais celle-là ayant habituellement toujours les mêmes horaires, c’était peut être là, la voie de la réussite. Le Chasseur se mit donc en piste, pour lui c’était un jeu d’enfant, il suffisait d’observer les gardes et de repérer l’erreur, mais à sa grande surprise, il n’y avait aucuns garde pour surveiller l’entrée. Cela aurait du faciliter les choses mais à l’endroit convenu il n’y avait pas de miroir. Bredouille, il retourna voir le Deuxième Sage. « Je vais demander à un ami qui peut-être pourra nous éclairer sur le sujet ». Il n’eut pas a attendre longtemps pour avoir la réponse. La Reine avait récupéré le miroir, les gardes n’ayant pu l’en empêcher étant donné que l’objet après le Roi lui revenait.
- La Reine est sortie de son coma ? Demanda l’Ascète.
- Oui et Mélodie y est pour beaucoup, seulement maintenant que la nouvelle de son réveil ne s’est pas répandue, je pense que le Patron et les Huit Sages vont tenter de la tuer. Répondit le Deuxième Sage.
- Hum… Allons à sa rencontre.
- Oui.
Dans ses appartements, la Reine était assise là à contempler une forêt luxuriante dans le fameux miroir. - Comment allez vous ? Demanda gentiment le Sage.
- A vrai dire, je ne sais que penser de mon état. Pendant des mois, j’ai noué un dialogue étrange avec le Vent qui faisait jouer mes doigts sur cet instrument et tout à coup je reprends pied sur quelque chose qui me pousse à revisiter les affaires de mon aimant, Et à trouver ce miroir brisé en milles éclats, qui avant cela, était le Génie-Conseiller de mon mari.
Peut-être, un rapport est il à faire avec la disparition du Roi et ce miroir brisé.
Cet homme, le Patron, il me hait.
- Oui, ma Reine, il veut même vous tuer !
- Je m’en doutais. Par peur, il veut tout contrôler ! Nous allons nous venger de son manque de respect !
- Nous avons déjà oeuvré dans ce sens ma Reine mais pour l’heure, vous devez être mise sous protection.
Tous allèrent à la Cochlée d’Abletown, mais par des chemins différents pour ne pas risquer un “strike” de la part de l’adversaire et se mirent tous d’accord sur le fait qu’il fallait disperser les fragments de Miroir sans plus attendre de manière à ce que Le Patron et les Sages ne les retrouvent pas. Le Chasseur, l’Ascète s’en allèrent répartir les bris de miroirs dans les Cochlées en construction.
Le Deuxième Sage, Mélodie, Le Clown et la Reine restèrent dans les sous sols de la principale Cochlée et disposèrent le fragment de miroir face à eux pour l’étudier. Un visage apparu regardant droit dedans, il faisait des gestes comme pour attirer l’attention. C’était le Deuxième Sage ! Il était pourtant présent dans la salle et avait les yeux qui sortaient de la tête de se voir en double… C’était bien lui, on pouvait même l’entendre parmi une myriade de bruissements qui sortaient du Miroir : - Est ce que vous m’entendez ? Demanda l’homme dans le miroir.
- Oui on t’entend, répondit Mélodie, qui es-tu ?
- Je suis Jawad Cordelier de la direction de Cochlée d’Abletown, je suis accompagné de Mr Steeve Iceland, bibliothécaire de l’Ancestrale et de deux jeunes gens, Y et Hiss. Et vous ?
- Nous sommes du Royaume de l’Endroit, je m’appelle Mélodie et voici mes amis avec qui nous nous rassemblons actuellement contre l’esclavage du chaos de la bibliothèque de babel qui s’exprime à travers la peur infiniment puissante qui délite les fondements de la confiance en tout.
Nous rassemblons les fragments du miroir pour trouver le point de compréhension. Vous aussi avez des bris de miroir ? - C’est à dire que, effectivement, nous en avons un devant nous par lequel on vous parle mais chaque Cochlée en possède un autre ici dans ce monde, je les ai vus mais si ça n’est pas secret, c’est très peu connu.
- Et bien !? ici, c’est ce que nous venons de faire, chaque Cochlée possède maintenant son fragment séparé, nous avons du les cacher. Expliqua le Clown. Mais nous ne connaissons pas encore pleinement leurs propriétés. Nous avons été contraints de disperser les fragments car le pouvoir ici les cherchent. En est t-il de même chez vous ?
- Non, pas que je sache, les fragments ont toujours été disposés ainsi et je dois vous avouer qu’avant l’arrivée de Mr Iceland, de Y et de Hiss, je ne savais absolument pas que ces bris de miroir faisaient porte sur d’autres endroits. C’est de la science fiction votre histoire !
- D’après nos réflexions, les fragments décriraient la réalité dans son ensemble. C’était avant un miroir plein, complet, qui a été brisé par l’aventure du Roi de notre monde.
Celui-ci, depuis, à disparu. La Reine pendant ce temps, composa un nombre incalculable de partitions musicales dont les airs se sont répandus sur toutes les terres. Son absence à la gouvernance laissa libre cours à la prise de pouvoirs d’un personnage cupide qui par ses actions nous réduit à la domestication.
Par ailleurs, nous avons découvert il y a peu un bateau très étrange qui lui aussi, produit de la musique grâce aux turbulences du Vent et nous avons en notre possession certaines copies de ces partitions. En les comparant à celle de la Reine, nous constatons qu’elles se ressemblent pourtant, rien, hormis le vent, ne les lie.
Nous en déduisons un probable lien entre l’écriture de la musique et la réalité des choses comme un jeu de reflet entre différent monde tels que le votre et celui ci. Expliqua le Deuxième Sage. - C’est sûr que ça peut paraître étrange mais avec tout ce que j’ai vu ces derniers jours, ça me parle. Dit Y à Hiss et s’adressant ensuite au monde théorique, avez vous vu l’homme sur le bateau ? C’est mon double, le Robot-Conseiller me l’a dit ! Affirma Y
- Mon double ? heu .. le Robot… Hum ! C’est sûr que ça n’a pas tout à fait semblable, ici et chez vous. Intervint l’Ascète.
- Non je suis sérieux, on a tous des versions de nous-mêmes dans chaque monde, c’est le Robot-Conseiller qui a fait construire le Bateau-Boîte-A-Musique par le jeune marin, mon double, dans votre monde pour attirer votre attention, c’était “Une bouteille à la Mer De l’Imagination”.
- Effectivement, nous l’avons enfermé dans une bouteille puis remis à la mer… dit Le Deuxième Sage.
- Moi aussi, j’ai un double dans leur monde ? Demanda Hiss.
- Bien sur ! Répondit Y.
- C’est peut être moi ? Proposa Mélodie.
- Sexy mon autre moi ! S’exclama Hiss.
- C’est une façon d’écrire la réalité, n’est ce pas, votre boîte à musique ? Questionna le Deuxième Sage.
- Sûrement, vos partitions, on pourrait les voir ? Demanda Y.
- Oui, je vous les montre ! S’enquit Mélodie.
Jaw sortit alors un scanner de manière à garder empreinte des musiques. Il y en avait une quantité impressionnante. En même temps qu’il passait les notes devant le miroir, le Deuxième Sage les commentait en donnant le compte rendu de ses réflexions quand à la structure, l’enchaînement et le coeur des thèmes exprimés : “Voyez, ici, l’Ascète et moi-même étions d’accord pour reconnaître la joie de la Reine, ici la colère du Patron, là nous y voyions la frénésie du Vent.., ou bien ce passage, qui semble raconter l’extraordinaire évolution d’Abletown.”.
Tous étudiaient les séries de trous dans le papier et tentaient d’apporter leur angle de perception : - C’est une respiration, dit la Reine. Le Vent souffle dans le caractère de chaque chose pour en comprendre le fonctionnement. J’ai beaucoup discuté avec lui. C’est un être qui veut tout savoir mais qui a perdu la mémoire. Alors il oublie instantanément ce qu’il vient d’apprendre.
- Perdu la mémoire ? S’étonna Y. C’est apparemment quelque chose d’important dans cette histoire, la mémoire. Le Vent ne l’a plus, moi je l’ai depuis quelques “instants”, et le Robot-Conseiller, lui, l’a retrouvée. Qu’est-ce vraiment la mémoire ? A qui appartient-elle exactement ?
- A mon sens, la mémoire fait office de grosse armoire. On enregistre le moment présent comme un mini-film de la scène et on le stocke dans cette grosse armoire, les souvenirs y sont répertoriés par genre et ressortent soit de manières voulue, soit de manière libre. Intervint Mélodie.
- Et si nous étions les souvenirs classifiés de quelque chose ? Demanda Y.
- De qui ? Demanda le Clown. Moi aussi, ma mémoire est presque vide… Et j’aimerai bien savoir qui me l’a vidée.
- La mémoire nous aide à exister, c’est une sorte de distance en nous-même qui nous permet de construire et c’est pour ça qu’il est facile de rendre des gens esclaves en réduisant leur capacité à mémoriser. La mémoire c’est un repère qui nous sort du néant et si nous sommes nous-même des fragments de mémoire, peut-être qu’il serait judicieux de rassembler ces fragments afin de prendre de la perspective. Intervint l’Ascète. Il faudrait donc rassembler les doubles dans un même endroit ?
- Mais qui sont ceux que l’on doit rassembler ? Questionna le Clown.
- Je pense que ceux qu’il nous faut rassembler sont ceux qui nous préoccupent, ceux qui entrent dans la boucle de nos problématiques actuelles. Répondit l’Ascète.
- Ok, on va répertorier. Déjà il y a nous… Proposa Mélodie.
- En comptant en plus les aventuriers de la quête du Mystère qui sont absents ici ! Intervint la Reine.
- Ensuite, il y a cet affreux Patron et ses Huit Sages dégénérés contre qui nous sommes en guerre. Poursuivit Mélodie.
- Ah, ici aussi on a ces affreux ! C’est le Super-Président et ses Huit Ministres obséquieux ! S’exclama Hiss.
- Ca, c’est une chose, on dirait donc bien que les mêmes caractères ont leur images dans tous les mondes. Nous réunirons la même équipe dans nos univers respectifs.
- Mais attendez ! Qu’est ce que cette histoire de quête du Mystère ? Intervient Steeve Iceland.
- Une nuit, j’ai vu en songe l’oeil du mystère, j’ai invité mon Roi à me le ramener, les Neuf Sages conseillers du Royaume ont inventé la stratégie de rassembler pour ce faire neuf hommes dont les traits de caractères extrêmement différents avaient pour point commun l’oeil du Mystère. Nous les avons envoyé sur la Mer De l’Imagination pour cette aventure mais la quête ne connut aucun succès, le Roi a disparu, le miroir est brisé et le Patron m’a volé mon Royaume !
- Pouvez nous dépeindre les caractères des neuf participants ?
Le Clown commençait à monter en pression parce qu’il faisait partie de la mission. - En premier, le Chasseur a d’abord été sélectionné pour sa maîtrise de la chasse. En second, c’est le Clown qui a impressionné le Deuxième sage par son art de manipuler l’attention. Mais celui là, allez savoir où il se trouve…
- C’est moi le Clown ! Dit le Clown, tremblotant.
- Toi, Eidolem ! Je savais bien que tu me rappelais quelqu’un, encore une preuve de ton art. Dit la Reine en riant aux éclats, son oeil, pupille totalement ouverte dans celle du Clown.
- On vous a eu un moment n’est ce pas ? S’amusa Mélodie devant la face déconfite du Clown et du Deuxième Sage qui tombaient des nues.
- Poursuivez, la Reine. Dit Jaw Cordelier.
- En troisième, le Professeur chez qui le Troisième Sage vit le talent de pédagogie, celui de transmettre un savoir, ce dernier est rentré au Royaume et poursuit ses activités. En quatrième, l’Artisan a été sélectionné pour sa méthode de construction, maîtrisant l’art de la minutie. Lui est également au Royaume en ce jour. En cinquième, l’Artiste pour sa spontanéité, sa fougue, sa capacité à faire des choix décisifs et rapides face aux événements. Nous n’avons plus aucune nouvelle de cet homme depuis. En sixième, le Comptable pour sa rigueur et son impassibilité, il est au Royaume, retourné auprès d’Ana, sa femme et ses enfants. En Septième l’Ascète, présent parmi nous pour son détachement vis à vis des choses, apportant une philosophie. En huitième, Le Patron pour ses facultés de commerce et son leadership, dont on sait à présent qu’il est le double de votre Super-Président…. Et c’est déjà une bonne chose puisque c’est celui qui nous cause le plus de tords. Et pour finir, en neuvième, le clochard pour sa liberté et sa poésie mais malheureusement j’ai su par le gardien du port que celui-ci a embarqué sur Le Mystère avec une autre personne, un jeune qui n’a pas voulu dire son nom et tout porte à croire que le Clochard et le jeune sont morts en mer puisque le bateau a été retrouvé sans passagers.
- D’accord, il faut en trouver un chez vous et chez nous pas moins de huit, comment peut on s’y prendre, demanda Steeve Iceland. Comment vos Neuf Sages avaient trouvé ces neuf caractères à la base ?
- Certains en se promenant simplement, d’autres savaient où chercher et sont directement allés les trouver.
- Ca va pas être facile pour nous ! Nous sommes plus de dix milliards d’humains et près du double en créatures et robots !
- Peut-être le Robot-Conseiller peut nous aider, il à accès au dossier de toute la population ? Proposa Y.
- Bonne idée ! Mais comment attirer tous ses ennemis dans un même endroit sans carnage ? S’inquiéta la Reine.
- Avec quelque chose qui met tout le monde d’accord, la fête… et surtout innocemment, sans le dire aux concernés. Répondit Le Clown.
- Cette fête pourrait avoir lieu simultanément dans nos Cochlées principales sous forme d’un festival dont le thème nous parle tous : La Vibration, force qui traverse le égal du silence.
LES CARACTERES FORMENT L’ANNEAU DE LA COMPREHENSION
Chapitre 35 : Rassemblement Des Caractères D’Abletown
Compréhension Après la discussion entre les mondes, Hiss, Mr Iceland et Y retournèrent au camp des Aberrants. L’atmosphère était chargée d’attentes, chaque détail se préparant pour le grand événement : la fête à Cochlée.
— Parfait ! s’exclama le Robot-Conseiller, ses écrans holographiques scintillant comme des joyaux. Je vais chercher les participants dans les banques de données. Pendant ce temps, amuse-toi à faire de la musique !
— Euh, je ne sais pas vraiment comment faire, admit Y, un peu déconcerté.
— Pas de panique, Marcel ! dit le Robot avec un ton rieur. Le gentil Robot-Conseiller est là pour ça.
Une sphère holographique lumineuse apparut devant Y, affichant un logo brillant : « Ableton Live ». Une flèche clignotante l’invita à interagir. Y hésita un instant, puis toucha l’écran flottant. Instantanément, l’interface du logiciel se déploya dans un tourbillon futuriste d’instruments et de pistes sonores.
— Essaie de penser à une note, expliqua le Robot. Imagine une tonalité aiguë ou grave…
Y visualisa une vibration grave. Le son résonna, profond, presque tangible. Fasciné, il pensa à un rythme, et l’interface répondit, créant des motifs musicaux automatiques qui semblaient flotter dans l’air.
— Trop cool ! s’exclama Y, un sourire large éclairant son visage.
— Maintenant, demande les leçons émotives, ajouta le Robot avec un clin d’œil lumineux.
— Les leçons émotives ? Qu’est-ce que c’est ?
Une nouvelle interface s’ouvrit, affichant un avatar vibrionnant : un smiley changeant d’émotions. Il présentait les figures musicales correspondant à différents états d’âme. La joie, la mélancolie, la colère… chaque émotion était traduite en une partition sonore, à la fois fascinante et immersive.
— Comprends bien cette mécanique, dit le Robot. Une fois les bases assimilées, je te donnerai des partitions que tu traduiras en douze pistes distinctes.
— Génial ! répondit Y avec enthousiasme. Et toi, où en sont tes recherches ?
Le Robot-Conseiller fit un tour complet sur lui-même, ses lumières clignotant joyeusement.
— J’ai localisé tous les participants, annonça-t-il. Voici la liste :
1 Le Chasseur du Royaume de l’Endroit : garde du corps probable du Super-Président.
2 Adit Voubien, humoriste indépendant : présent aux côtés d’Eidolem le Clown.
3 Henry le Vil et son double, le Professeur : incontournables lors de cette soirée de prestige.
4 Cinquas, artisan et ex-espion du gouvernement : actuellement réfugié à Honolulu. Hiss s’en chargera.
5 Mr Iceland et Ana, la Comptable : représentants du Royaume.
6 Joris Idanov, Ascète et laborantin : une présence discrète mais essentielle.
7 Le Clochard : déjà en attente devant Cochlée.
— Alors, où en es-tu avec la musique ? demanda le Robot.
Y rit, absorbé dans ses expériences sonores.
— Je m’éclate !
Organisation du festival Pendant que Y explorait les possibilités musicales, Jaw, Iceland et Hiss coordonnaient les derniers détails de la soirée. L’urgence et l’excitation pulsaient dans l’air comme un courant électrique.
— Cette fête doit être unique, dit Jaw en feuilletant un catalogue d’idées. Rien de commun ou déjà vu.
— Une fois, à Cochlée, tous les sens étaient stimulés. L’effet était saisissant, se souvint Hiss.
— On pourrait intégrer des technologies innovantes, comme le Tactil-Air, proposa Iceland. Imaginez les gens pouvant littéralement toucher la musique.
— Et pour le visuel ? ajouta Hiss. J’ai entendu parler d’images projetées directement dans le cerveau par des vibrations sonores…
— Parfait. Cela créerait une immersion totale. Nous devons aussi inclure des saveurs, des parfums synchronisés avec les sons, continua Jaw.
Cinquas arriva, apportant des informations stratégiques.
— Hiss, il est temps pour toi d’aller convaincre l’Artiste de rejoindre l’équipe. Je t’enverrai les pistes sonores pour l’aider à comprendre notre vision.
— Parfait, répondit-elle avec un sourire en coin. Et je vais à Honolulu ?
— Exactement. Et n’oublie pas : cette mission est essentielle pour boucler l’anneau de la compréhension.
— J’adore ce job, dit Hiss avant de partir.
Conclusion Alors que le camp bouillonnait d’activité, chaque élément se mettait en place pour l’événement. Tous les regards étaient tournés vers Cochlée, où la fête promettait de redéfinir les limites de l’expérience humaine et de faire converger les dimensions dans un tourbillon orchestré à la perfection.
Chapitre 36 : Rassemblement Des Caractères Théoriques
Dans les sous-sols de Cochlée, étaient présents Mélodie, le Deuxième Sage, le Chasseur, l’Ascète, la Reine et tous riaient aux éclats à la vue d’un tour somptueusement mené par un Clown en pleine possession de son art. Mélodie aperçut Jawad qui tentait de communiquer avec leur monde par le miroir.
- Jaw, je vous vois, que se passe t-il ?
- Nous avons réfléchi à l’organisation du festival ! Ce que l’on va faire, il faudrait que vous rassembliez les fragments de miroirs de votre monde dans la Cochlée d’Abletown. Et nous, de notre Cochlée, nous vous réfléchirons les ensembles vibratoires, le son et la déco de manière à ce que nous ayons la même ambiance chez vous et chez nous. Le Robot-Conseiller a localisé les doubles. L’artiste s’est caché sur une île tropicale du nom d’Hono-Lulu et peut être serait ce une piste pour que vous le trouviez dans votre monde, je vous donne les coordonnées GPS. Hiss est parti le chercher.
- On y va ? Proposa Mélodie au Clown.
- Si tu veux.
Une fois sur place, Mélodie demanda à un maître d’hôtel où se trouvait la plage la plus discrète, le Clown bien évidement déguisé pour éviter que l’homme ne le reconnaisse directement. L’Artiste paré d’énormes lunettes de soleil, confortablement installé dans un transat et griffonnant des plans pareils à ceux là que le Cinquième Sage avait vus jonchant le sol de sa voiture, était là comme prévu. Arrivée près de lui, Mélodie lui lança : “Tu sais pourquoi on est là ?”
Dans son costume, la mâchoire prognate et les bras croisés sur la ceinture comme le font les hommes de main, Le Clown paraissait ce jour là impressionnant. - Euh, nan, qui êtes vous ? On se connaît ? Bredouilla l’Artiste confus.
- La Reine, le Mystère, la bourse, ça te parle ? Demanda Mélodie.
- Je suis sur le coup… Dit-il avec une petite voix qui tentait de séduire par l’ironie et sirotant ensuite bruyamment une gorgée de Mojito. Tiens, regarde, goûtes, ce mojito est vraiment mystérieux, nan ?
- T’as l’air sympa toi. En plus on déconnait, on va pas te prendre un rein. En vérité on organise un festival et on voulait savoir si tu voulais en être…
- Là, ça devient vraiment louche… Dit l’artiste en posant son verre et en retirant ses lunettes.
- Ok, maintenant la vraie vérité c’est que tu dois en faire partie et on est venu te chercher parce que t’as pas vraiment le choix.
- Ah ! J’aime mieux ça… Et c’est quoi votre fête au juste ?
- En deux mots, on a trouvé une porte vers le futur, on y est tous dans des versions différentes alors on va faire une petite fête pour se rencontrer un peu plus.
- Putain, je sais pas ce que vous prenez mais ça à l’air de bonne qualité ! Du coup, ça me tente, dit il en se levant. Il regarda Eidolem, et toi, c’est quoi ton nom ?
- Mon nom c’est.. : le Clown. Répondit-il avec une voix SylvesterStalonèsque après avoir sortit un nez rouge de sa poche.
- Oh merde, c’est toi vieux ? Tu m’as presque fais peur en vigile ! On retourne au Palais, alors, c’est ça ? Elle se passe où cette teuf ?
- A Cochlée. Viens, suis nous !
A leur retour, la porte principale de Cochlée était encore fermée. A la petite porte, se trouvait le jeune du concours qui filtrait. Il les invita à rentrer et une fois à l’abri leur expliqua que les fragments de miroir étaient revenus et qu’ils étaient en train de les disposer dans Cochlée sous la directive du Robot-Conseiller qui gérait les angles de réflexion à travers le miroir. L’ambiance était feutrée et technique, l’Artiste brisa le silence : - Alors elle est où l’ambiance de folie, je croyais qu’on devait faire la fête ?
- Tiens, tiens l’Artiste ! Il nous est revenu ! Dit la Reine
- Madame la majesté, je suis désolé pour le Roi !
- La fête, on l’organise pour qu’elle soit fantastique et elle ne manquera pas d’étonner je vous l’assure une personne telle que vous et peut-être je l’espère fera t-elle revenir mon aimé… Rendez vous donc utile à la décoration, voulez-vous ? Je pense que votre salaire vous a déjà été versé pour ce travail, n’est ce pas ? Finit-elle par dire, un petit sourire en coin.
Chapitre 37 : Le Vent et l’Éveil de la Conscience
Au beau milieu des mers, le Vent erre, insaisissable et diffus. Il cherche, toujours il cherche, mais il ne sait pas ce qu’il cherche. Il se répand dans toutes les directions, se faufile entre les vagues, effleure les crêtes, et s’épuise dans l’infini. N’étant plus qu’un œil curieux, il regarde, il perçoit, mais il ne trouve rien qui puisse apaiser son errance.
Un jour pourtant, il capte un éclat. Ce n’est pas une lumière de l’eau, ni un reflet des étoiles. C’est autre chose, quelque chose qui semble l’appeler. Intrigué, le Vent s’approche et découvre une bouteille perdue, flottant seule dans l’immensité. À l’intérieur, il distingue un bateau minuscule, replié sur lui-même comme un rêve endormi.
Le Vent, tout entier tendu vers cet objet mystérieux, souffle doucement sur le bouchon de la bouteille. Ce bouchon, étrange, a la forme d’un chapeau accroché par un fil fragile. En un souffle continu, le Vent parvient à l’enlever. La bouteille s’ouvre, et le Vent, audacieux, plonge comme une ancre dans l’abysse qu’elle renferme.
À l’intérieur, il souffle encore. Il enveloppe le bateau de ses courants, le soulève, et le fait émerger de la bouteille. Alors qu’il le maintient en l’air, le bateau commence à se déployer. De grandes et magnifiques ailes jaillissent de ses flancs, comme un papillon qui se libère d’un cocon. Le papier qui compose ces ailes s’étire dans le vent, léger et gracieux, glissant sur l’air tel le ruban d’une danseuse.
La musique des trous
Le Vent, émerveillé, remarque que les ailes sont percées de petits trous. Quand il souffle à travers ces perforations, des sons s’élèvent. La musique jaillit, pure et vibrante, et porte avec elle mille histoires. Chaque note respire et chante des récits du passé, du présent et du futur. Fasciné, le Vent écoute. Chaque mélodie contient des mystères qu’il n’avait jamais osé envisager.
Il voit un premier homme, perdu dans l’infini, qui retrouve son cœur. Un deuxième qui comprend enfin l’empathie. Un troisième qui cherche sa moitié, un quatrième prêt à affronter sa peur de l’autre. Puis un cinquième qui découvre la force de l’arrêt, un sixième qui s’éveille à l’art, un septième qui saisit le sens de la communication, un huitième qui embrasse la confiance, et un neuvième qui chasse sa propre personnalité.
Alors qu’il observe cette multitude d’histoires, il perçoit un fil conducteur. Derrière ces personnages si variés, il reconnaît un même esprit, une essence unique qui traverse tous ces corps. C’est lui, c’est sa propre histoire qui s’étale devant ses yeux.
Le miroir de la musique
Le Vent continue de souffler. Une femme apparaît alors, solitaire, jouant de la musique. Intrigué par ce visage, il souffle plus doucement, espérant percer le mystère qu’elle incarne. Cette fois, c’est elle qui le regarde. Son regard est étrange, empreint d’une intensité qu’il reconnaît, car c’est la même qu’il porte aujourd’hui. Ce regard, c’est celui du miroir.
Une chanson s’élève, portée par les ailes du bateau. Les paroles semblent lui être adressées :
Je suis le génie du ventJe glisse sur les ailesJe fais rouler les mécanismes, tourner l’horlogeJe suis le plus fou en ce mondeJe n’ai qu’un œilMais je vois toutJe vois dans chaque coinMais j’oublie tout.
À cet instant, le Vent comprend. En un éclair de génie, il réalise que ces mille symphonies sont les fragments de sa propre existence. Il était autrefois tous ces personnages : le pirate, l’ingénieur, l’amoureux. Il a laissé des traces de lui-même à travers les mondes, des indices visibles pour celui qui saurait les lire. Ces indices sont autant de pièces d’un puzzle qu’il doit résoudre, une équation qui l’a emprisonné depuis qu’il était enfant — ou presque. Car, enfant, il n’était pas seulement cela. Il était le Roi de l’Imagination, et il avait une Reine.
Le retour à la conscience
À nouveau doté de conscience, grâce au miroir de lui-même, le Vent sent renaître en lui une force qu’il avait oubliée. Il ne cherche plus. Il sait où aller. Les scènes qu’il a vues dans les ailes du bateau, ces histoires, ces visages, se jouent en cet instant même dans la CoChlée, au festival de la vibration. Tout converge vers cet événement unique.
Alors, avec une puissance retrouvée, le Vent roule ses ailes, tourne les mécanismes, et se précipite vers la fête. Il s’engouffre dans la CoChlée, prêt à s’unir à l’énergie de cette nuit, à relier toutes les dimensions et à révéler ce qui a été fragmenté.
Chapitre 38 : Mise En Place Des Miroirs
Ce soir est le grand soir où sont attendus tous les caractères des deux mondes. À Abletown comme au Royaume de L’Endroit, le temps est au beau fixe, et la fête s’amorce progressivement. Le thème de la soirée, “La vibration”, attire une foule bigarrée. Dans les salles lumineuses et vibrantes, dansent et s’amusent toutes sortes de gens déguisés en insectes, végétaux, minéraux, ou encore objets insolites comme des pendules, des horloges, ou des instruments de musique. Chaque costume est une œuvre d’art, un fragment de l’imaginaire collectif incarné pour cette nuit unique.
Les salles se remplissent peu à peu. L’ambiance y est chaleureuse, colorée, traversée d’éclats de rire et de musique qui monte progressivement en intensité. Dans l’air flotte une excitation palpable, un souffle d’attente. Les prestigieux invités ne tarderont plus à arriver, et toute la presse d’Abletown s’est réunie pour couvrir cet événement exceptionnel. Les hologrammes de la fête seront retransmis en direct au Dôme Culturel, où des milliers de spectateurs patientent déjà dans une euphorie partagée.
Dans la CoChlée, les participants s’activent pour les derniers préparatifs. Déguisé en champignon, Y est prêt pour le show. Sa silhouette atypique, toute en courbes arrondies et en teintes vives, attire déjà des regards amusés. Quant au Robot-Conseiller, il s’est, comme prévu, métamorphosé en boule à facette, suspendue au plafond de la CoChlée du Royaume de L’Endroit. Chaque rotation de ses fragments de miroir projette des éclats scintillants dans la salle, créant des reflets animés qui capturent les émotions et les attentes de cette nuit. Il retransmet également, avec une précision chirurgicale, tout ce qu’il voit à travers les dimensions, reliant les mondes dans un jeu de miroir parfait.
Les invités commencent à arriver
Dans la salle, des figures familières et excentriques s’installent, chacun dans un déguisement plus inventif que le précédent. Hiss, enveloppée dans un costume d’un réalisme glacé, semble flotter comme un flocon de neige vivant. Jawad Cordelier, imposant, arbore un déguisement de scarabée aux reflets métalliques. Cinquas est méconnaissable, solidement camouflé en arbre, sa stature imposante se fondant parfaitement dans le décor. L’Artiste, dissimulé en mouche — ou, comme il préfère le dire avec une pointe d’arrogance, une “fine mouche” — se tient en retrait, ses yeux multiples observant tout.
Mr Iceland, dans un somptueux costume d’ours blanc, accompagne sa femme Anastasia, dont le costume de belette, finement brodé, attire de nombreux compliments. Leur élégance contraste avec la tension palpable dans leurs regards. Tous sont impatients de voir si le plan du Robot-Conseiller fonctionnera.
L’entrée du Super-Président
L’atmosphère s’électrise lorsque le Robot-Conseiller donne l’alerte : à l’extérieur, une limousine noire arrive devant la CoChlée. Les éclats de ses phares balaient les parois vivantes, annonçant l’arrivée de l’homme le plus influent d’Abletown. La portière s’ouvre, et le Super-Président apparaît, arborant fièrement un costume de bourdon parfaitement ajusté, les ailes ornées de motifs dorés qui captent la lumière avec éclat. Derrière lui, sa femme, somptueusement vêtue en reine des abeilles, descend avec une grâce calculée, attirant tous les regards.
Les huit ministres qui les suivent, malgré l’élégance de leurs tenues, ne se sont pas prêtés au jeu du déguisement, ajoutant une touche de solennité à ce cortège exubérant. L’homme qui leur ouvre la portière, un garde imposant déguisé en aigle royal, n’est autre que le Grand-Militaire, chargé de veiller à la sécurité du président et de ses proches. Son regard acéré parcourt la foule, prêt à déjouer la moindre menace.
Les autres figures de la soirée
À peine la limousine noire repartie qu’une autre, blanche cette fois, s’arrête devant la CoChlée. En descend Adit Voubien, l’un des humoristes les plus célèbres d’Abletown, dont les ailes de papillon, délicatement brodées, ajoutent une touche de poésie à l’ensemble. Peu après, Henry Levil, déguisé en félin, entre avec une élégance féline qui attire les murmures admiratifs des spectateurs.
Le cortège des invités prestigieux ne cesse de grandir : Joris Idanov, le respecté scientifique créateur du chewing-gum absorbant de vibrations, fait une entrée remarquée dans un costume de bactérie minutieusement détaillé. Son déguisement provoque à la fois fascination et éclats de rire.
Dans le Royaume de l’Imagination, le jeu de reflets orchestré par le Robot-Conseiller est parfait. Chaque mouvement des fragments de miroir renforce l’illusion que les deux mondes se superposent. Tout est prêt pour le grand moment, celui où la CoChlée révélera sa véritable puissance.
Chapitre 39 : L’OEIL DU MONSTRE
La CoChlée d’Abletown est un chef-d’œuvre vivant. Plus ancienne des CoChlées, elle a vu toutes les fêtes depuis la fin du monde théorique. Grâce aux nouvelles technologies d’architecture vivante, elle a poussé seule, comme un arbre gigantesque dont les branches auraient formé cette structure monumentale. Sa surface, couverte de matières organiques en constante évolution, respire doucement, vibrant avec l’énergie qui monte dans l’air.
Autour de la salle principale, des alcôves ajourées et des ouvertures titanesques laissent voir l’immensité du cosmos. Ce soir, l’univers s’est paré d’un manteau royal : des pourpres et des bleus profonds, piquetés d’étoiles d’or et d’argent. Le spectacle céleste, en harmonie avec la CoChlée, donne l’impression que cette nuit contient tous les possibles.
Chaque paroi, chaque recoin semble attendre avec une impatience contenue. L’air est lourd de tension, chargé de cette promesse unique : une convergence des mondes, un moment où le temps et l’espace pourraient enfin s’unir.
L’arrivée de Cinquas
Cinquas entre par une porte latérale, suivi de son équipe. Son visage est marqué par la concentration, mais un éclat de triomphe brille dans son regard. Il a déjoué les brigades d’Abletown, utilisant des leurres holographiques si convaincants que les patrouilles les poursuivent encore dans les ruelles de la ville.
Derrière lui, avancent les techniciens, encadrant le Robot-Conseiller. Recouvert d’un voile iridescent, le Robot est presque invisible. Mais à chaque mouvement, l’étoffe laisse entrevoir des éclats brillants. Les fragments de miroir qui recouvrent son corps projettent des visions fugaces : un désert infini, une cité de cristal, des silhouettes humaines se dissipant dans la brume. Ces reflets semblent appartenir à des mondes lointains, comme des souvenirs volés.
Cinquas lève une main pour stopper l’avancée.
— C’est le moment. Installez la boule à facette. Activez le lecteur d’environnement. Tout doit être parfait.
Le montage : un rituel sacré
Les techniciens hissent lentement la boule à facette magique au centre des fragments suspendus au plafond. Lorsqu’elle atteint sa position, un frémissement parcourt la salle. Le Robot-Conseiller, dissimulé sous les fragments, s’intègre parfaitement à la structure. À mesure qu’il commence à tourner, les éclats lumineux se multiplient, projetant des reflets mouvants dans toute la CoChlée. Chaque fragment devient une fenêtre vers un autre monde, révélant des paysages changeants, des visages inconnus, et parfois des visions si fugaces qu’elles semblent surgir de l’imaginaire.
Sur la scène, au centre de la salle, le lecteur d’environnement s’active. L’appareil émet un grondement sourd, semblable au battement d’un cœur gigantesque. Ce lecteur, un outil d’une sophistication inégalée, capte chaque détail du présent : la chaleur corporelle des invités, les molécules en suspension dans l’air, les variations d’humidité, et même les battements de cœur. Il transforme ces données en un flux sonore, une musique qui naît directement de l’essence de l’instant.
— Ce n’est pas qu’un outil, explique Hiss, les yeux fixés sur les écrans. Le lecteur transforme le chaos en harmonie. Il capture l’âme du présent pour la traduire en sons. Et le Robot-Conseiller, avec ses fragments de miroir, renvoie cette harmonie à travers tous les mondes.
La première note résonne : une basse profonde, lente, qui semble émaner du sol. Elle est suivie par une mélodie qui monte doucement, tissant une toile invisible autour des invités. L’air se charge d’une intensité palpable. Les regards se croisent, les corps frémissent. La musique, vivante, commence à guider les mouvements, comme si chaque invité devenait une partie d’un orchestre cosmique.
Les grandes portes s’ouvrent
Soudain, les grandes portes de la CoChlée s’ouvrent dans un grondement profond. Une brise chargée d’énergie traverse la salle, et les premières vagues d’invités s’engouffrent à l’intérieur. Ils avancent, comme attirés par une force irrésistible, captivés par les pulsations de la musique et les éclats lumineux. Chaque pas résonne, chaque regard brille d’un éclat presque prédateur, comme si la foule entière ressentait l’importance de cet instant.
La pulsation s’intensifie. Les murs vivants semblent vibrer en réponse. Les invités, d’abord hésitants, commencent à bouger, leurs corps répondant instinctivement au rythme naissant. Bientôt, la CoChlée devient un tourbillon de danse, une fresque mouvante où chaque mouvement est une offrande à l’univers.
Le vent du lecteur
Le vent se lève. Invisible mais puissant, il traverse la salle comme une force primordiale. Là où il passe, des fissures apparaissent dans les murs vivants, et certaines zones se pétrifient, comme figées par une présence prédatrice. Ce vent, porteur de l’essence du lecteur et du roi, semble lier toutes les dimensions en un point unique. Chaque souffle amplifie la lumière des fragments, chaque éclat devient plus précis, plus vibrant.
Les fragments de miroir projettent des images de la bibliothèque de Babel, où une vague d’énergie dévaste les rangées infinies de livres, cherchant à disperser le sens dans l’océan du non-sens. Tous dans la CoChlée ressentent cette menace. La tension monte.
— Nous ne pouvons plus reculer, murmure Cinquas. C’est le fatum.
Le climax
La rotation du Robot-Conseiller s’accélère. Les fragments de miroir tournent si vite que leurs reflets se mêlent, créant un kaléidoscope vivant. Chaque éclat dévoile une histoire, un monde. La musique, elle, devient insoutenable, chaque note portant une émotion brute, chaque silence résonnant comme un gouffre.
La foule, en transe, danse avec une intensité presque sauvage. Le vent, désormais omniprésent, soulève des tourbillons de lumière et de poussière. La CoChlée entière semble sur le point d’éclater sous la pression.
Puis, soudain, une voix résonne, portée par le vent et les éclats.
— Pourquoi êtes-vous ici ?
La question, lourde de sens, traverse la salle. Tout se fige. Les invités lèvent les yeux vers la boule à facette magique, maintenant illuminée d’une lumière presque divine. Les fragments semblent se tourner vers eux, comme pour scruter leurs âmes. Cinquas échange un regard avec Hiss, puis murmure :
— C’est maintenant. Tout se joue ici.
Chapitre 40 : Le Chasseur se lâche
Le mix commence :
Dans la CoChlée, l’atmosphère est déjà électrique. Le Robot-Conseiller, niché au cœur de la boule à facette, envoie un signal à Y Spark. L’instant est venu. D’un geste précis, Y ajuste son équipement et lance la première track qu’il a composée pour cette nuit unique : “Le Chasseur”.
La musique commence doucement, comme un frisson qui serpente dans l’air. Une ligne de basse profonde résonne, lente et menaçante, évoquant le battement d’ailes d’un rapace. Des percussions sèches et espacées suivent, chaque coup semblant sondé les abîmes, cherchant une proie à débusquer. Le son monte en puissance, scrutant chaque recoin de l’espace sonore, avec une précision presque chirurgicale. C’est une musique qui ne laisse aucun endroit pour se cacher.
Un radar qui capte l’attention
Les aiguilles du lecteur d’environnement, jusqu’alors en mouvement erratique, commencent à s’aligner. Elles décrivent un cercle parfait, parallèle au sol, comme un radar balayant méthodiquement chaque zone de la salle. La plus petite aiguille se fixe soudainement sur le “1”, marquant le premier caractère à s’éveiller.
Sur le dance floor, les invités, d’abord pris au dépourvu, se laissent happer par cette énergie hypnotique. La tension monte. Les corps se meuvent lentement, captivés par le rythme, leurs gestes devenant mécaniques, presque instinctifs. Les regards se croisent, intenses, comme s’ils cherchaient à percer les secrets de cette musique.
Le Grand-Militaire entre dans la danse
Non loin de là, le Grand-Militaire, posté fièrement devant la loge du Super-Président, balaye du regard le dance floor et ses alentours. Il est sur ses gardes, observant chaque détail pour s’assurer qu’aucune menace ne plane. Tout semble en ordre, et il s’apprête à confirmer au Staff Présidentiel que la situation est sous contrôle.
Mais alors que la musique s’intensifie, quelque chose change. Une ligne mélodique perçante, semblable à un cri d’oiseau, traverse la pièce. Ce son, il le reconnaît. C’est son style, ses méthodes, ses propres mouvements traduits en musique. La track du Chasseur agit comme un miroir sonore. Pour la première fois, il se voit de l’extérieur, son esprit projeté hors de lui-même par cette mélodie incisive.
Il reste immobile un instant, le regard fixe, avant que ses pieds ne commencent à bouger presque malgré lui. Il se laisse happer par le rythme. Chaque note lui révèle une part de lui-même qu’il n’avait jamais perçue. C’est comme mourir et quitter son corps, flotter au-dessus de lui-même pour se contempler tel qu’il est réellement. Ce n’est plus de l’action brute, mais une réflexion pure, une confrontation avec la réalité.
La révélation
Sous le choc de cette révélation, le Grand-Militaire plane. Ses mouvements deviennent fluides, synchronisés avec la pulsation de la musique. Il attrape machinalement la première personne à sa portée, un jeune danseur déguisé en horloge, et lui dit d’une voix presque absente, comme s’il parlait à lui-même :
— “Tu vois ce que je vois ? Nous sommes tous des mécanismes. Tous des rouages, des chasseurs, mais… chasse-t-on ce que l’on est déjà ?”
Le danseur, pris par surprise, éclate de rire, mais quelque chose dans le ton du militaire semble résonner en lui. La musique continue de monter. Les percussions deviennent plus rapides, plus agressives, évoquant une course-poursuite qui s’accélère inexorablement. Autour d’eux, la foule se met à danser avec une intensité croissante. Les corps se rapprochent, les gestes deviennent plus précis, comme si chaque personne sur le dance floor était un engrenage d’une immense horloge en mouvement.
Un appel universel
La track du Chasseur atteint son apogée. Les basses grondent comme un cœur enragé, les aigus percent l’espace comme des serres, et les médiums vibrent avec une urgence électrique. Les participants sont maintenant totalement pris dans le rythme, leurs mouvements créant une chorégraphie involontaire mais parfaite, une danse collective qui tourne autour de la boule à facette.
Les aiguilles du lecteur d’environnement commencent à s’accélérer. Elles ne décrivent plus seulement un cercle : elles se mettent à tourner en spirales ascendantes, créant une dynamique hypnotique. La CoChlée elle-même semble réagir. Les lignes du décor commencent à se courber, pliées par la puissance croissante de la musique.
La boule à facette, au centre de tout, tourne de plus en plus vite. Les fragments de miroir captent et amplifient la lumière, projetant des formes fractales sur les murs et les corps. Ces formes commencent à se mouvoir, s’enroulant autour des participants comme des artefacts vivants. Les invités déguisés deviennent eux-mêmes des bris de miroir, reflétant et amplifiant l’énergie environnante.
Le crescendo
La rotation du Robot-Conseiller s’accélère encore. La sphère de lumière devient un vortex, un point focal où toutes les dimensions semblent converger. Les invités commencent à léviter, leurs corps attirés par la force centrifuge. Ils ne sont plus que des concepts, des idées, des fragments de sens aspirés par ce trou noir musical. Chaque individu devient une note dans cette immense symphonie cosmique.
Y Spark, concentré, sait qu’il doit maintenir le tempo. Il laisse la track du Chasseur se terminer dans une envolée spectaculaire : un hurlement percussif qui résonne comme un cri de libération. Alors que le dernier écho se dissipe, il prépare déjà la prochaine track, prêt à activer un autre caractère, à ajouter une nouvelle pièce au puzzle.
Chapitre 41 : Le Clown
Le Robot-Conseiller transmet un nouveau signal à Y. C’est le moment de lancer la seconde track : “Le Clown”. Y Spark ajuste les commandes, sa concentration imperturbable malgré l’énergie tourbillonnante de la salle. Il appuie sur le bouton, et un rire électrique traverse l’espace sonore. La transition est immédiate : la gravité imposée par la track du Chasseur s’allège soudain, remplacée par une effervescence lumineuse et imprévisible.
La musique commence comme une parodie, une version moqueuse de la précédente track. Les basses du Chasseur, si denses et sombres, sont ici rebondies, caricaturées, chaque pulsation accompagnée d’un éclat de trompette ou d’un xylophone joyeux. Les rythmes sont déstructurés, jouant avec les attentes des danseurs, créant des surprises à chaque instant. Des mélodies éclatantes s’enchaînent, comme des éclats de lumière dans une réalité acidulée.
Une réalité déformée et révélée
La track du Clown transforme la CoChlée. Les lumières projetées par la boule à facette se fragmentent en prismes multicolores, couvrant les murs, les invités et les miroirs d’arcs-en-ciel mouvants. Ces couleurs, éclatantes et dynamiques, semblent se jouer des formes, pliant les perspectives et déformant les contours du décor. Les invités, pris dans ce kaléidoscope vivant, se laissent emporter par cette énergie exubérante et malicieuse.
Le lecteur d’environnement reflète cette effervescence. Une seule aiguille apparaît sur le “2”, mais elle tourne si vite qu’elle semble invisible. Sa vitesse est telle que seuls quelques regards attentifs perçoivent son mouvement. Elle ne trace plus un simple cercle, mais dessine des spirales invisibles, comme des boucles infinies qui amplifient la sensation d’étrangeté et d’inconnu.
La musique elle-même joue avec les sens. Les petites boucles sonores, légères et espiègles, cachent des tours complexes. Chaque note, chaque pause est une énigme, un clin d’œil à ce que l’on croit voir mais qui se transforme en autre chose. La track nous pousse à sentir les limites de notre perception et à deviner l’infini derrière l’illusion.
L’éveil de l’humoriste
Adit Voubien, l’humoriste déguisé en papillon, cesse de danser un instant. Son regard s’illumine, comme frappé par une révélation. La musique, qu’il reconnaît comme un reflet de sa propre histoire, lui parle d’une manière nouvelle. Ce n’est plus la froideur analytique de l’étude de l’être humain qui l’anime, mais une chaleur qu’il découvre pour la première fois : l’amour.
Il ouvre les yeux, ému, et se tourne vers Henry Levil, qui danse à ses côtés. D’une voix douce mais vibrante, il lui dit :
— “Si nous sommes un feu, l’amour est notre bois.”
Henry Levil, absorbé par le rythme, acquiesce avec un sourire éclatant, hochant la tête comme pour signifier son accord. Mais derrière ce geste simple, les paroles d’Adit pénètrent profondément son être. Elles commencent à cheminer à travers son esprit, cherchant quelque chose de plus grand, de plus essentiel. Sans qu’il en soit conscient, ces mots explorent les fondations mêmes de sa personnalité, révélant des strates qu’il n’avait jamais imaginées.
Le Robot-Conseiller perçoit l’instant
Le Robot-Conseiller, au centre de la boule à facette, capte ce moment. Ses fragments de miroir réfléchissent l’interaction entre Adit et Henry, amplifiant leur échange et le diffusant dans toute la salle. L’énergie de la track du Clown atteint son apogée, enveloppant la CoChlée d’un éclat presque insoutenable. Les invités sont comme suspendus dans cette réalité déformée, où chaque couleur, chaque son semble réécrire les règles du monde.
Le Robot comprend alors que le Clown a accompli son rôle. Il perçoit l’éveil progressif des caractères. L’humoriste a trouvé l’amour, le professeur commence à se laisser interroger par les mots, et la foule, elle, danse toujours plus intensément, attirée par le vortex grandissant au centre de la salle.
La track du Clown, avec ses boucles joyeusement trompeuses, s’efface doucement, laissant place à un silence temporaire, mais chargé d’attente. Le Robot-Conseiller envoie un nouveau signal à Y.
— “Track 3 : Le Professeur.”
Chapitre 42 : Le Professeur
Le Robot-Conseiller transmet un nouveau signal à Y Spark. “Track 3 : Le Professeur.”Y ajuste rapidement les réglages, son regard concentré sur le dance floor où l’énergie est palpable. Il lance la track, et un nouveau paysage sonore s’élève dans la CoChlée.
La musique débute par des samples de conférences, des discours politiques, des foules qui acclament. Ces fragments sonores, entrecoupés de percussions légères et de nappes synthétiques, évoquent un monde de mots et de concepts, une symphonie de l’intellect et de l’autorité. Chaque sample est un écho du savoir humain, une construction de vérités proclamées à haute voix.
Puis, une voix nette, tranchante, brise le flot :
— “Je vais vous montrer comment ça marche, ce beat est un beat d’État. C’est le consensus. Le savoir est une arme pour votre futur !”
La phrase résonne, immédiatement suivie par un beat percutant, mécanique et structuré, qui impose un rythme précis, presque martial. Mais en fin de mesure, un nouveau sample intervient :
— “Propaganda.”
Un doute s’immisce
Henry Levil, toujours plongé dans la danse, laisse échapper un sourire. Il aime entendre ces codes, ces mots qui résonnent avec son rôle de professeur et de transmetteur. Mais ce petit sample “Propaganda”, répété à intervalles réguliers, s’insinue dans son esprit. Il est interpellé. Alors qu’il continue de bouger au rythme, une pensée émerge, claire et inconfortable :
— “Peut-être est-il vrai que je transmets parfois des informations erronées, simplement parce qu’elles sont grandiloquentes. Il est aussi vrai que le fait de me sentir utile et admiré comme le porteur du savoir est plus important encore que le contenu de mes paroles.”
Cette pensée, qui aurait pu le déstabiliser, ne l’arrête pas. La musique change, devenant plus lumineuse et optimiste. Les basses se font chaudes, les mélodies s’ouvrent, et une nouvelle voix intervient, claire et rassurante :
— “L’honnêteté nous sauvera. Sois toi-même, sans honte ni détournement.”
Un regain de confiance
Ces mots trouvent un écho profond en Henry. Il redresse la tête, son regard s’illumine, et un sourire sincère éclaire son visage. Il s’arrête un instant, observe les mouvements de la foule, et se tourne vers Cinquas, qui danse non loin de lui, mal à l’aise mais engagé malgré lui dans la pulsation collective.
— “La communication n’est rien sans le sens !” lance Henry d’une voix forte, presque triomphante.
Cinquas, surpris, regarde le professeur avec attention. Ces paroles le touchent. Malgré sa stature imposante et ses mouvements maladroits, il sent une vérité résonner dans cette déclaration. Il hoche la tête lentement, comme pour l’accepter, puis pointe du doigt le lecteur d’environnement.
Les aiguilles se croisent
Les aiguilles du lecteur d’environnement réagissent immédiatement. Les deux plus grandes se croisent en sens inverse, comme pour recouper des informations, vérifiant chaque mot, chaque intention. La plus petite reste immobile, figée sur le “3”, marquant l’activation complète de ce caractère.
La musique monte en intensité, comme si elle absorbait les doutes d’Henry pour les transformer en une force bienveillante. Les participants, portés par ce nouvel élan, se rapprochent encore, leurs gestes devenant plus synchronisés. La sphère de la boule à facette accélère légèrement sa rotation, projetant des reflets de lumière qui semblent prendre forme, des silhouettes humaines, des artefacts de concepts en train de naître.
Le passage à la track suivante
Alors que la track du Professeur atteint son apogée, Cinquas, d’un geste maladroit mais décidé, indique le lecteur, qui passe soudainement au “4”. Le signal est clair : le moment est venu d’avancer.
Le Robot-Conseiller perçoit la transition. Il capte l’énergie montante, les connexions qui se tissent dans la salle. Ses fragments de miroir, en rotation constante, projettent maintenant des images d’archives, des fragments de connaissances anciennes, comme pour rappeler à tous que l’histoire est en train de se réécrire.
Un nouveau signal est envoyé à Y Spark.
— “Track 4 : Le Militaire.”
Chapitre 43 : L’Artisan
Le Robot-Conseiller transmet un nouveau signal. “Track 4 : L’Artisan.”Y Spark, concentré, ajuste les commandes, prêt à injecter une nouvelle énergie dans la CoChlée. Il lance la track, et la musique se transforme. Une pulsation régulière et méthodique emplit la salle. Chaque son est une frappe nette, comme le martèlement d’un outil contre la matière brute. Une basse ronde accompagne ce rythme, implacable mais humble, évoquant le geste répétitif et précis d’un artisan à l’œuvre.
Les mélodies sont subtiles, comme des esquisses en train de prendre forme, et chaque boucle musicale semble ajouter une nouvelle pièce à un ouvrage invisible. Les percussions résonnent avec une clarté rituelle, des frappes qui se répètent en série, chaque cycle bâtissant sur le précédent, poussant la création toujours plus loin.
Les aiguilles trouvent leur rythme
Le lecteur d’environnement s’aligne parfaitement sur cette track. Les aiguilles tournent maintenant de manière régulière, comme celles d’une horloge parfaitement synchronisée. Chaque rotation évoque le passage du temps, chaque mouvement témoigne de la persistance et de la discipline nécessaires à l’ouvrage.
Sur le dance floor, les mouvements des invités changent. Ils deviennent plus précis, plus ancrés. Les danseurs se déplacent avec une harmonie naturelle, comme si leurs gestes contribuaient eux-mêmes à la grande construction en cours. Les reflets de la boule à facette projettent des formes géométriques sur les murs, des motifs qui se répètent et s’entrelacent, évoquant des plans architecturaux.
Cinquas s’éveille
Cinquas, déguisé en arbre, se laisse porter par cette musique qui parle directement à son essence. Lui, le constructeur, le bâtisseur de ponts et de structures solides, ressent un profond respect pour ces sonorités qui célèbrent le geste méthodique et la patience. Il sourit, savourant cet hommage implicite à son rôle dans le grand récit.
Les mots du Professeur résonnent encore dans son esprit : “La communication n’est rien sans le sens.”Cinquas comprend que la construction, comme la communication, repose sur une fondation solide, bâtie pièce par pièce. Inspiré, il se tourne vers la première personne qu’il croise, l’Artiste, et déclare avec une voix posée mais empreinte d’une certitude absolue :
— “Le sens, ça se construit.”
La réaction de l’Artiste
L’Artiste, dissimulé en mouche, est interpellé par cette déclaration inattendue. Il fixe Cinquas avec un regard complexe, l’expression de son visage changeant en une succession de masques, tour à tour moqueur, intrigué, pensif. Sa réponse n’est pas verbale, mais son langage corporel parle pour lui : un mélange de questionnement et de provocation.
La musique continue de monter, et les participants, toujours plus synchronisés, semblent former un immense mécanisme vivant, où chaque individu est une pièce unique. La CoChlée elle-même répond à cette harmonie : ses parois vivantes émettent des pulsations légères, accompagnant le rythme de la track.
Le passage à l’Artiste
Le Robot-Conseiller perçoit cette interaction entre Cinquas et l’Artiste. Les fragments de miroir reflètent leur échange, amplifiant la tension entre ces deux caractères si différents mais intrinsèquement liés. Il comprend que le moment est venu de passer à la track suivante.
Les aiguilles du lecteur ralentissent légèrement, comme pour marquer une transition. Puis la plus petite se fige sur le “5”, indiquant que l’activation du prochain caractère est en cours.
Chapitre 44 : L’Artiste
Le signal du Robot-Conseiller fuse : “Track 5 : L’Artiste.”Y Spark ne perd pas une seconde. D’un geste précis, il envoie la track, et immédiatement la CoChlée se transforme. Une explosion sonore éclate, brutale et inattendue. Les premières notes fusent dans toutes les directions, chaotiques et contrastées. Le rythme est vif, éclaté, sans préavis. Les percussions jaillissent comme des éclats d’une idée naissante, tandis que des boucles de mélodie surgissent, obsessionnelles, pour disparaître aussitôt, laissant la place à une autre.
La musique est un tourbillon. Elle casse les attentes, change de direction sans prévenir, et pousse chaque émotion à son paroxysme. Chaque rupture est une provocation, chaque silence un défi lancé aux participants. La foule réagit, prise dans cette énergie désordonnée mais captivante. Les danseurs se contorsionnent, leurs mouvements soudains et imprévisibles reflétant la tension de la track.
L’Artiste : une force incontrôlée
Au cœur du dance floor, l’Artiste, déguisé en mouche, est en plein mouvement. Chaque note le traverse, chaque rupture le fait vaciller. Il est l’incarnation de cette musique : libre, imprévisible, mais aussi profondément instable. Son esprit est un champ de bataille d’idées. Il cherche, il teste, il détruit pour reconstruire, sans jamais s’arrêter. Sa danse est une explosion d’énergie, un écho de ses pensées qui ne trouvent jamais de repos.
Un sample surgit, une voix nette et pénétrante :
— “I was a man, a philosopher who surf on the truth.”
Ces mots claquent comme un éclair dans l’esprit de l’Artiste. Il ralentit un instant, ses mouvements devenant plus précis, presque méthodiques. Il se voit dans ce sample : un surfeur sur les vagues de l’existence, cherchant à garder son équilibre sur une planche qu’il sait fragile. Chaque pensée, chaque idée qu’il jette dans le monde, crée une onde. Mais il le sait : sans un support pour les accueillir, ces ondes risquent de s’évanouir.
Une quête désespérée
Le chaos de la musique amplifie son tourment. Il se sent comme une explosion continue, une force qui s’épuise sans jamais trouver d’écho. La lumière des miroirs de la boule à facette tourbillonne autour de lui, amplifiant cette sensation d’être pris dans une spirale infinie. Alors, instinctivement, il ralentit. Ses pieds cherchent à se stabiliser sur le sol, à s’ancrer dans quelque chose de tangible.
Son regard balaye la salle. Il cherche un point fixe, un repère dans cette tempête. Et c’est alors qu’il le voit : Steeve Iceland.
Le miroir de la stabilité
Immobile au milieu de la foule en mouvement, Steeve Iceland, déguisé en ours blanc, est une figure de sérénité. Son sourire léger, presque imperceptible, dégage une tranquillité inébranlable. Ses yeux sont fixés sur l’Artiste, comme s’il avait deviné son tourment et l’accueillait avec une compréhension silencieuse.
L’Artiste, frappé par cette vision, murmure :
— “La stabilité, c’est lui.”
Inspiré, il redresse son corps, ancrant ses pieds solidement au sol. Le chaos de la musique ne disparaît pas, mais il le perçoit différemment. Ce n’est plus une force qui l’éparpille, mais une énergie qu’il peut diriger. Fixant Steeve, il prononce à voix haute, presque comme une proclamation :
— “L’expression cherche un support, la ligne du temps.”
Un puzzle qui s’assemble
Ces mots, portés par les éclats de la boule à facette, se diffusent dans toute la CoChlée. Les miroirs du Robot-Conseiller projettent cette scène sur les murs : l’Artiste, représentant de l’expression libre, trouve enfin un écho dans la stabilité incarnée par Steeve Iceland. Les fragments de miroir, comme des pièces de puzzle, s’imbriquent, formant une image plus grande : celle du miroir du tout. Chaque personnage, chaque perspective, trouve sa place dans cette structure universelle.
La tempête des aiguilles
La musique atteint son apogée. Les aiguilles du lecteur d’environnement s’emballent, tournant en tous sens comme des météores dans une tempête. Des éclairs sonores percent le mix, chaque flash figeant les aiguilles un instant avant qu’elles ne repartent de plus belle. La CoChlée elle-même semble plier sous la pression, ses lignes courbes se déformant comme si l’espace tout entier se réorganisait.
La foule est en transe. Les mouvements des danseurs deviennent presque chorégraphiés, malgré l’apparente anarchie de la musique. Chaque personne sur le dance floor est une pièce vivante de cette immense horloge qui se met en place.
Le passage à Steeve Iceland
Le Robot-Conseiller capte la transition naturelle. L’échange silencieux entre l’Artiste et Steeve Iceland marque un tournant. Les aiguilles ralentissent, comme pour respirer après la tempête. La plus petite se fige sur le “6”, et un nouveau signal est envoyé à Y Spark.
LA FORME DU MESSAGE
Chapitre 45 : Le Comptable
Le Robot-Conseiller envoie un nouveau signal. “Track 6 : Le Comptable.”Y Spark, les doigts précis, fait basculer le mix. Immédiatement, la musique plonge la CoChlée dans un chaos organisé. La track commence par un brouhaha dense, un mélange désordonné des samples des tracks précédentes. Des fragments de voix, de rythmes, de mélodies éclatées se croisent et se superposent, formant une cacophonie presque insupportable. Mais rapidement, une structure commence à émerger.
Les sons se filtrent un à un, classés, ordonnés. Une voix mécanique énonce des chiffres, comme pour nommer l’innommable. Les percussions s’alignent, répétitives et régulières, bâtissant un rythme implacable. Une basse froide et monotone s’installe, rendant l’atmosphère bureaucratique, presque stérile. La musique évoque l’univers du Comptable, où chaque détail est léché, chaque geste calculé avec soin.
Un univers froid et ordonné
Sur le dance floor, les mouvements des invités ralentissent. La pulsation régulière impose une cadence mécanique. Les danseurs se meuvent comme des engrenages d’une grande machine, leurs gestes se calquant sur le pendule sonore qui oscille inlassablement. Le lecteur d’environnement reflète cette précision. Ses aiguilles se balancent doucement, décrivant des arcs réguliers, comme un métronome hypnotique.
Pour Steeve Iceland, cette musique est familière. Elle résonne avec son propre univers, celui de l’ordre, du contrôle, de la protection. Mais alors qu’il écoute attentivement, il ressent autre chose. Derrière cette perfection froide, il perçoit une solitude immense. Il réalise que cette sphère de protection qu’il a construite avec Anastasia est aussi une prison. Elle les isole, les assèche, les prive de la richesse des autres mondes.
Un dialogue intérieur
Steeve jette un regard vers Anastasia. Déguisée en belette, elle danse avec une légèreté nouvelle, ses mouvements plus fluides, plus ouverts. Il sent qu’elle est déjà en train de changer, qu’elle s’ouvre à quelque chose de plus vaste. Ce constat le frappe. Une pensée émerge, claire et inéluctable : “Le support est dans le rapport à l’autre.”
Il se tourne vers Joris Idanov, son voisin de danse, et lui murmure ces mots :
— “Le support est dans le rapport à l’autre.”
Joris, déguisé en bactérie, sourit.
— “Oui, il faut de tout pour faire un monde.”
Mais alors que Steeve réfléchit à ces paroles, la musique commence à changer.
L’ouverture vers d’autres territoires
À mesure que la track progresse, une transformation subtile s’opère. Les rythmes réguliers deviennent plus complexes, plus vivants. Une mélodie inattendue émerge, d’abord timide, comme une goutte d’eau dans un désert. Puis elle s’amplifie, s’épanouit. Les sons froids et mécaniques s’enrichissent de nouvelles textures, des harmonies chaleureuses qui évoquent des territoires lointains et inconnus.
Les percussions se mêlent à des instruments organiques, des cordes qui vibrent avec une douceur inattendue. Une ligne de flûte traverse l’espace sonore, légère et aérienne. C’est comme si la musique elle-même s’ouvrait à d’autres mondes, dépassant les limites qu’elle s’était imposées. La sphère froide et protectrice du Comptable s’efface, remplacée par un paysage sonore plus vaste, plus lumineux.
La prise de conscience
Steeve ressent cette transformation dans son être. La musique reflète son propre cheminement : il comprend que l’ordre et la protection ne suffisent pas. Pour vivre pleinement, il faut s’ouvrir, accueillir les autres, les inclure dans son univers. Il regarde Anastasia à nouveau. Elle sourit, plus libre qu’il ne l’a jamais vue. Une sensation rassurante l’envahit, un mélange de sérénité et d’excitation face à cette ouverture.
un éclair traversa leurs regard et ils se mirent à danser comme des fous ajoutant une nouvelle énergie à la fête.
La transition
Alors que la track atteint son apogée, le lecteur d’environnement réagit. Les aiguilles, d’abord oscillantes comme un pendule, commencent à tourner avec plus d’amplitude. Elles décrivent des cercles de plus en plus larges, comme si elles exploraient de nouveaux horizons. Enfin, la plus petite aiguille se fixe sur le “7”, indiquant que la transition est achevée.
Chapitre 46 : L’Ascète
Le Robot-Conseiller envoie un nouveau signal. “Track 7 : L’Ascète.”Y Spark, concentré et attentif à l’énergie qui monte dans la CoChlée, ajuste les contrôles. La track glisse sur la timeline, et une nouvelle texture sonore s’installe.
La musique commence doucement, comme un murmure qui s’éveille, traversée de variations subtiles et de grains multiples. Chaque note est une exploration, chaque rythme une tentative. Les sonorités jouent avec des styles variés, mélangeant des échos de percussions tribales à des synthés contemporains. On entend dans cette track l’émerveillement de l’Ascète : une curiosité innocente, un plaisir pur à découvrir et interpréter le monde.
L’Ascète : un enfant dans le monde
La musique reflète l’esprit de l’Ascète. Il est comme un enfant qui s’amuse, qui touche et joue avec tout ce qui l’entoure, sans jamais chercher à détruire ni vexer. Mais derrière cette légèreté se cache une profonde solitude. Comme le Comptable, l’Ascète est seul, mais il ne s’en rend pas compte. Cette habitude de vivre isolé l’a rendu insensible à son propre manque.
Alors que la musique monte en intensité, cette solitude devient palpable. Le lecteur d’environnement réagit. Toutes les aiguilles tournent dans des directions différentes, comme pour exprimer le chaos intérieur de l’Ascète. La petite aiguille, cependant, reste immobile sur le “7”, soulignant que cette révélation est en train de s’enraciner.
La prise de conscience
Pour la première fois, l’Ascète prend conscience de ce qu’il manque à sa vie. Entendre cette musique, cette interprétation de son caractère, en même temps que tous les autres présents, agit comme un miroir. Il voit qu’il n’a ni famille, ni ami à aimer. Sa solitude, qu’il croyait naturelle, lui apparaît sous un jour nouveau : elle est une absence qu’il n’avait jamais osé affronter.
Ses pensées le troublent profondément. Dans un murmure, il laisse échapper une vérité simple mais bouleversante :
— “Pour connaître l’autre, il faut pouvoir se mettre à sa place.”
Alors qu’il prononce ces mots, son regard croise celui du Super-Président, déguisé en bourdon, qui vient de faire son entrée.
L’entrée du Super-Président
Le Super-Président est furieux. Il balaye la salle du regard, cherchant son garde du corps. Il finit par le trouver sur le dance floor, complètement absorbé par la musique. Le Grand-Militaire, déguisé en aigle royal, danse avec un sourire large, son visage exprimant une joie qu’il ne laisse habituellement jamais paraître. Le Super-Président, outré, avance d’un pas rapide.
— “Mais enfin ! Tu étais censé garder ma loge, pas te perdre ici !” gronde-t-il en approchant.
Le Grand-Militaire, pris sur le fait, s’excuse platement, ses mouvements se figeant sous le regard furieux de son supérieur. Mais avant que la tension ne monte davantage, la Première Super-Dame intervient. D’un ton calme mais ferme, elle conseille à son mari :
— “Pourquoi ne pas profiter un peu de la musique ? Vous êtes ici, alors amusez-vous.”
Le Super-Président, hésitant, finit par céder. Il s’approche des caissons, crée un espace autour de lui, et commence à bouger la tête au rythme de la musique, bien qu’une moue contrariée reste figée sur son visage.
Un moment chargé d’émotions
Pendant ce temps, l’Ascète, toujours troublé par sa révélation, pose une main légère sur l’épaule du Super-Président. Le geste est presque imperceptible, mais il traduit une tentative de connexion, une recherche de partage. La phrase de Joris Idanov, entendue plus tôt, flotte dans l’air comme un écho : “Il faut de tout pour faire un monde.”
Mais cette phrase glisse sur le Super-Président sans trouver d’accroche. Sa concentration est ailleurs, focalisée sur son rôle et sa colère résiduelle. Cependant, une tension nouvelle s’installe dans la salle.
Le Vent rôde, la haine s’intensifie
Alors que la track de l’Ascète atteint son apogée, la musique change légèrement. Les sons légers et curieux qui dominaient sont rejoints par une profondeur nouvelle, une gravité qui semble surgir de l’air lui-même. Le Vent, invisible mais présent, rôde dans la CoChlée.
À travers le miroir des mondes, une énergie sombre commence à se manifester. La haine accumulée de Mélodie, celle de la Reine, et celle de tous les personnages que le Super-Président a blessés dans le passé, devient palpable. Elle sature l’atmosphère, s’ajoutant à la tension croissante.
Le regard des invités se fixe de plus en plus souvent sur la boule à facette, où le Robot-Conseiller accélère sa rotation. Les fragments de miroir projettent des reflets de scènes passées, des échos de douleur et de colère. La CoChlée, tout en vibrant au rythme de la musique, devient le théâtre d’une confrontation silencieuse mais inévitable.
Le passage au climax
Alors que la track se termine, le lecteur d’environnement ralentit. Les aiguilles, qui tournaient en toutes directions, commencent à converger. La petite aiguille se fixe sur le “8”, marquant l’arrivée d’un nouveau caractère.
Chapitre 47 : Le Patron
Le signal du Robot-Conseiller est envoyé. “Track 8 : Le Patron.”Y Spark, imperturbable, ajuste le mix et lance la track. La CoChlée, déjà saturée d’émotions et d’énergie, est immédiatement envahie par des sons luxueux et confortables. Des cliquetis de verres en cristal, des rires feutrés, des murmures élégants évoquent un univers de privilèges. Mais rapidement, une voix froide et autoritaire surgit, coupant cette ambiance en deux :
— “If you want it, you have to sell it.”
Le beat démarre, lourd et opulent, un mélange de basses puissantes et de samples évoquant le commerce mondial. Des voix provenant de divers pays se mêlent, recréant le brouhaha des échanges internationaux. On entend une standardiste gérer des appels :
— “Merci, bonne journée, au revoir,” répète-t-elle inlassablement.
Une voix masculine retentit, tranchante :
— “I want more!”
L’intensité du commerce destructeur
À cet instant, la track bascule. Le beat s’intensifie, épaissi par des bruits industriels : des pelles mécaniques, des arbres qui s’effondrent, des chaînes métalliques qui s’entrechoquent. Une tension monte, amplifiée par la juxtaposition entre les sons confortables du commerce et la brutalité des processus qui les sous-tendent. Une nouvelle voix, calme mais inquiétante, intervient :
— “It may create collateral damage.”
La réponse, sèche et désinvolte, arrive aussitôt :
— “I don’t care. I need the power.”
Puis, après un silence court mais lourd, une autre voix acquiesce :
— “Ok, ok.”
Un break saisissant
Le beat s’interrompt brusquement, filtré par un effet de passe-haut. Dans ce vide sonore tendu, une boucle de la vendeuse réapparaît :
— “Merci, bonne journée, au revoir.”
Mais cette fois, elle répond à un sample de guérilla, des cris, des bruits de chaos. La musique met en lumière un contraste glaçant : l’atmosphère policée du produit fini vendu dans un magasin confortable et les conflits sanglants à l’origine des matières premières nécessaires à sa fabrication. Chaque cycle de quatre temps est marqué par une signature sonore : une détonation d’arme à feu en début de mesure et le bruit sec d’une caisse enregistreuse qui se referme à la fin, comme pour dire :
— “Une pièce, un coup de feu, voici ma méthode.”
La réaction du Super-Président
Le Super-Président, d’abord sceptique face à cette track si brutale, se laisse peu à peu emporter. Son sourire s’élargit, il ferme les yeux et commence à danser avec une énergie croissante. Son expression semble dire : “Ça envoie.” Il est totalement absorbé, son corps suivant les pulsations du beat avec une aisance inattendue.
Mais alors que la track progresse, un changement subtil s’opère. Les bruits métalliques des pièces tombant dans la caisse enregistreuse commencent à être filtrés, triés. Le sample s’affine, se réduit progressivement jusqu’à ne conserver qu’un mot unique :
— “King.”
Une montée vers l’abîme
Le beat s’éclaircit, laissant place à une montée sonore qui s’intensifie progressivement. Le mot “King” est répété, accompagné par un autre sample mystérieux qui monte crescendo :
— “Fear not to be…?”
La résonance de cette question s’étend dans la salle, laissant apparaître au loin un rire gigantesque, moqueur, qui semble venir de nulle part et partout à la fois. Ce rire, amplifié par les fragments de miroir du Robot-Conseiller, emplit la CoChlée d’une tension insoutenable.
Puis, soudain, le beat s’arrête. Tout s’efface, ne laissant que deux sons : le bruit du vent et la résonance lointaine du rire. Le silence est oppressant, brisé seulement par ce souffle qui traverse la salle.
Le Vent s’amuse
Le Vent, présent dans la CoChlée, perçoit ce moment comme une opportunité. Invisible mais palpable, il tourne autour du Super-Président, jouant avec lui. Des courants d’air glissent sur son costume de bourdon, soulèvent légèrement ses ailes, le font tituber. Ce jeu malicieux est un avertissement, une manière de rappeler au Patron que son pouvoir est fragile, que tout peut basculer.
Le Super-Président, d’abord déstabilisé, ouvre les yeux. Il observe autour de lui, cherchant l’origine de cette perturbation. Mais lorsqu’il ne trouve rien, il reprend sa danse, défiant le Vent avec un sourire légèrement crispé.
Une tension palpable
Dans la salle, les regards convergent vers le Super-Président. L’atmosphère est chargée. La haine accumulée de Mélodie, de la Reine, et de tous les personnages blessés par ses décisions semble se condenser dans l’air. Les reflets projetés par la boule à facette montrent des scènes de destruction et de chaos, des images d’un monde brisé par la quête de pouvoir.
Le Robot-Conseiller capte cette intensité croissante. Les fragments de miroir tournent de plus en plus vite, amplifiant chaque détail, chaque émotion. Le lecteur d’environnement, lui, réagit en silence. La petite aiguille se fige sur le “9”, marquant l’arrivée de la dernière phase.
Chapitre 48 : Le Motif De La Peur
Parce que ces sons lui évoquent la peur, le Super-Président n’éprouve plus a présent aucun plaisir à danser. C’est la peur, celle de ne pas être à la hauteur qui l’a fait devenir ce qu’il est. Pour se prouver qu’il n’est pas faible, il écrase les autres et, ça, au fond, il le sait très bien. Mais pire encore, ces sons lui évoquent le néant, le rien, son pire ennemi. Lui qui à toujours voulu être entouré par un maximum de choses pour cacher le vide insondable de son être. Qui est cette femme qui danse à sa droite ? Il l’a épousée il y a plus de trente années mais peut-il affirmer la connaître vraiment. Elle n’aime que ce plateau d’argent sur lequel il lui apporte luxe et confort. Ou sont les caresses, les paroles d’une femme et mère aimante, celle-ci ne parle que d’argent, de vente et d’achat, d’objets coûteux, elle ne semble plus posséder de coeur, simplement animée par le besoin de dépenser et de se faire voir. A t-elle toujours été cette femme là, est elle heureuse ? Il croit se souvenir qu’il l’a épousée parce qu’elle lui ressemble. Tous deux sont les mêmes. La track fait siffler le vent de plus belle et le lecteur d’environnement s’emballe. « Qu’est ce qui a de la valeur ? » se demande le Super-Président pendant qu’un sample vient appuyer sa méditation : “What is the real deal ?”. Un beat pur apparaît avec des choeurs qui résonnent et traversent le Super-Président qui ne trouve en lui aucune des valeurs qui font la beauté d’un homme. Ce dernier fond en larmes comme jamais ça ne lui était arrivé et dit à celui qui était là, juste à ses côtés : “Rien n’ à de valeur s’il n’est donné”. C’est Le Clochard qui regarde le Super-Président avec toute la compassion d’un ami, pourtant c’était par les actes de cet homme que le Clochard eut sa destinée. Le clochard avait dû renoncer à tout ce qui fait le bonheur d’un homme seulement pour porter ce message aujourd’hui à son exacte opposé.
Chapitre 48 : Le Clochard
Le signal du Robot-Conseiller retentit une dernière fois. “Track 9 : Le Clochard.”Y Spark, pleinement conscient de l’importance de ce moment, ajuste ses commandes et lance la track. Un souffle de vent traverse la CoChlée, un sifflement qui semble provenir des fragments de miroir suspendus au plafond. Les premiers sons de la musique émergent, fragiles, comme une esquisse tremblante. Un instrument chétif, à peine audible, joue une mélodie hésitante, exprimant une solitude déchirante.
Le poids des horreurs
Les miroirs projetant les fragments de la boule à facette s’animent. Sur les murs vivants de la CoChlée, des images du passé apparaissent, reflétant les horreurs et les destructions provoquées par le Super-Président. Des forêts abattues, des guerres déclenchées pour le profit, des visages marqués par la douleur et la faim. Ces visions, amplifiées par les miroirs, se superposent à la figure du Super-Président, qui reste immobile, figé sous le poids de ses actes.
La foule entière observe cet instant avec une intensité palpable. Chaque invité, chaque regard est tourné vers lui. Les danseurs, un instant arrêtés, forment un cercle silencieux, comme pour encercler cette scène de jugement muet.
La fracture de l’homme
Au centre de cette attention, le Super-Président vacille. Les images projetées ne sont pas seulement des souvenirs collectifs, elles s’inscrivent en lui, déchirant les façades qu’il avait construites pour masquer sa culpabilité. Les sons de la musique, minimalistes et tremblants, amplifient cette fracture intérieure.
L’instrument chétif continue de jouer, sa voix solitaire perçant la tension comme un cri d’âme. Chaque note semble dire : “Pourquoi ?” Pourquoi avoir détruit, pourquoi avoir ignoré, pourquoi avoir fait le mal pour se prouver qu’il était fort ?
Une montée de chœurs surgit doucement, apportant une chaleur inattendue. Ces voix ne jugent pas, elles observent et témoignent. Le Super-Président, écrasé par cette confrontation, sent son cœur céder. Il tombe à genoux, ses épaules tremblantes. Les premières larmes coulent sur son visage, puis il éclate en sanglots.
Un sample rurgit dans la musique, posant une question universelle :
— “What is the real deal?”
À ce moment précis, le Super-Président regarde autour de lui. Il croise les regards des invités, mais aucun d’eux n’est hostile. Ce n’est pas la haine qu’il voit, mais la compassion. La CoChlée tout entière, comme un organisme vivant, semble lui répondre. L’instrument chétif, toujours aussi fragile, trouve soudain un écho. Les chœurs montent en puissance, enveloppant cet instrument solitaire dans une harmonie bienveillante.
Le Vent, qui avait rôdé comme un prédateur, change de nature. Il devient doux, caressant, glissant autour du Super-Président comme pour le consoler. Les aiguilles du lecteur d’environnement, qui tournaient dans tous les sens, commencent à ralentir. Leur mouvement s’apaise, trouvant un rythme plus stable, plus humain.
Chapitre 49 : Le pardon
L’instrument chétif est maintenant rejoint par d’autres. Une flûte légère, un violon discret, une guitare aux notes pleines de réconfort. Ensemble, ils composent une nouvelle mélodie, simple mais vibrante. La musique l’accueille, elle l’accepte à nouveau dans la symphonie de la société. C’est un pardon, non seulement collectif, mais aussi intérieur.
Le Super-Président lève les yeux, son visage marqué par les larmes. Il se tourne vers celui qui se tient juste à côté de lui : Le Clochard. Cet homme, dont la vie a été brisée par ses décisions, le regarde avec une douceur infinie. Le Clochard tend une main ouverte, sans rancune, et lui dit simplement avec un sourire :
— “Rien n’a de valeur s’il n’est donné.”
Ces mots résonnent comme une vérité universelle. Le Super-Président, touché en plein cœur, prend cette main offerte, ses doigts tremblants d’émotion.
Une transformation collective
Dans la CoChlée, la tension se dissipe. Les invités, unis dans ce moment de transformation, reprennent leurs danses, mais d’une manière différente. Leurs mouvements sont plus fluides, plus connectés, comme s’ils formaient une seule entité vivante. Les fragments de miroir projettent maintenant des images d’un monde réconcilié, où les erreurs du passé laissent place à des gestes d’amour et de générosité.
L’instrument chétif, désormais intégré à l’harmonie générale, continue de jouer, mais avec une confiance retrouvée. Sa voix, autrefois fragile, est maintenant portée par une symphonie entière.
La fin de la track
La musique ralentit, les chœurs s’adoucissent, laissant place à un silence chargé de sens. Le Robot-Conseiller arrête sa rotation, les fragments de miroir s’immobilisant pour former un cercle parfait. Les aiguilles du lecteur d’environnement se figent elles aussi, marquant la fin de cette transformation.
Dans le silence, le Super-Président, toujours à genoux, lève les yeux vers la foule. Il ne dit rien, mais son regard exprime ce que les mots ne pourraient jamais saisir : un homme brisé qui renaît, porté par le pardon et l’amour.
LE LECTEUR
Chapitre 50 : Dilution De La Réalité
La CoChlée change. L’atmosphère se fait plus dense, plus magnétique, mais aussi d’une étrange douceur. Ni chaud, ni froid : un espace suspendu hors du temps. Les sons se distendent, un souffle traverse la salle, emportant avec lui les tensions accumulées. Chaque personnage ressent cette transformation, un ralentissement profond qui touche leurs âmes.
Le Vent, ce témoin silencieux, tourne autour des choses comme à son habitude. Mais cette fois, il ressent quelque chose de différent. Il reconnaît ces formes, ces figures qu’il a caressées mille fois auparavant. Ces lieux, ces visages, ces énergies sont des fragments familiers, comme des morceaux de lui-même qu’il redécouvre.
Alors, le Vent se souvient : il n’est pas ici par hasard. Il a un but. Sa Reine. Il sent sa présence, fraîche, diffuse, partout et nulle part à la fois. Ses mouvements deviennent plus précis, scrutant chaque reflet des miroirs, chaque éclat projeté par la boule à facette. Et soudain, il comprend : tout ce qu’il voit – CoChlée, les personnages, les dimensions, le futur, le passé, lui-même – ne sont que des symboles de son être. Il est tout cela à la fois.
Dans une danse élégante, il s’approche du Robot-Conseiller. Il le salue, un geste empreint de respect, comme pour reconnaître qu’il n’est autre qu’une image de sa tendre Reine. Alors, dans un moment d’audace cosmique, il plonge dans le miroir central, brisant l’équilibre de l’univers.
Une rupture universelle
Un flux électrique traverse la CoChlée. Les dimensions se superposent, les lois de la réalité se dissolvent. Chaque caractère, chaque forme est attiré par une force invisible. Les corps se transforment, se liquéfient, se cristallisent, passent à l’état gazeux dans une danse chimique. Les molécules s’excitent, les structures éclatent pour se reformer dans un ballet fantastique.
Le son devient tribal, un rythme minimaliste soutenu par des grelots et des voix réverbérées. L’espace de la CoChlée ressemble à un vivarium : un creuset où toutes les créatures, toutes les couleurs, toutes les textures se mélangent dans un chaos magnifiquement ordonné.
Chapitre 51 : Les Parures Des Caractères
Comme un chef qui touille les ingrédients dans un chaudron, l’électricité danse sur la scène. Les personnages, désormais fusionnés dans un flux continu, se transforment en figures déifiées. Leurs parures brillent : plumes, zébrures, fourrures, écailles, feuillages, stries, plis et pics, tout est représenté. La diversité infinie de la nature est incarnée ici, dans ces êtres qui valsent autour du son.
La mathématique de l’univers s’exprime dans leurs mouvements. Les figures s’entrelacent, leurs corps deviennent un tissu vivant, une continuité qui dépasse les individualités. Chaque battement du beat est une impulsion qui structure ce monde en mouvement. La CoChlée elle-même, comme un organe vivant, vibre au rythme global, amplifiant ce tourbillon cosmique.
Chapitre 52 : Le Monde Est Un Disque De Musique
Au centre de cette effervescence, une forme émerge : un serpent. Paré d’écailles, chacune représentant un caractère naturel, il glisse et s’enroule autour du son. Ses mouvements dessinent une spirale parfaite, une incarnation du monde qui tourne comme un disque sur une platine. La tête du serpent s’orne de cornes de dragon, une figure de puissance et de sagesse.
Ses yeux, d’abord transparents, s’illuminent d’une pupille bleue. Sa bouche entrouverte libère des étoiles filantes, des fragments d’univers qui s’éparpillent dans toutes les directions. L’univers tourne à l’envers, mais il trouve dans ce désordre une forme d’ordre supérieur.
Chapitre 53 : Big Bang À L’Envers
Le dragon continue de tourner, sa tête oscillant comme celle d’un chamane en transe. Au centre de la scène, le sound system s’élève, se transformant en un totem noir brillant, semblable à de l’ébène. Chaque pli du totem émet une lumière incandescente, rappelant la lave en fusion. Le totem s’élève comme un arbre cosmique, et en son centre, un trou se forme, un vortex d’une puissance inimaginable.
Le trou devient un œil, noir, profond, mais bordé d’un iris phénoménal composé de millions de lignes colorées. Chaque atome aspiré par le trou laisse une traînée lumineuse, dessinant des motifs qui naissent et meurent en un instant. Le dragon, attiré par cette force, plonge sa tête dans l’œil, emportant avec lui l’ensemble du monde.
Des éclairs inondent la scène, illuminant les personnages et les fragments de miroir. Les formes se dissipent, laissant place à des lignes pures, des structures fondamentales de l’existence. Le bruit est indescriptible, un mélange de sons et de silence absolu, comme si l’univers tout entier respirait une dernière fois.
Chapitre 54 : L’Oeil Du Mystère : La Symphonie Totale
La CoChlée est devenue une entité vivante, un creuset où l’univers tout entier semble s’être réuni. L’atmosphère vibre, non pas comme un simple espace, mais comme une membrane cosmique tendue entre les dimensions. Le Son envahit tout, s’insinuant dans chaque fibre de l’existence.
Le tumulte des infra-basses
Un grondement sourd s’élève, une onde d’infra-basses si profondes qu’elles semblent surgir des entrailles de la réalité elle-même. Ces basses ne sont pas seulement entendues : elles sont ressenties. Elles traversent les corps, secouent les âmes, évoquent des forces primordiales qui précèdent la lumière. Ce son est une matière brute, une fondation, une force qui engloutit et prépare tout pour l’éclatement.
Au-dessus de cette mer abyssale, des cavernes sonores émergent, des médiums sculptés comme des anfractuosités où chaque détail du monde prend forme. Le martèlement d’une forge, le craquement de branches, le bruissement d’un tissu ancien. Ces sons s’entrelacent, des fragments du réel qui se brisent et se recomposent dans une chorégraphie infinie.
Enfin, des aigus éclatants fusent comme des éclairs, des pointes lumineuses qui transpercent cette masse sonore. Chaque note, chaque tintement évoque des étoiles naissantes, des cris de vie dans le vide. Les fréquences les plus élevées dansent avec une précision chirurgicale, un contraste violent mais sublime avec les basses profondes.
La dislocation de la réalité
Sous cette pression sonore totale, la CoChlée se disloque. Les murs vivants, autrefois stables, explosent en fragments lumineux qui flottent dans l’air comme des lucioles électriques. Le sol se tord et se déchire, formant des vagues liquides qui s’élèvent et s’effondrent, emportant avec elles les souvenirs du passé.
Les personnages présents sont projetés dans cette tempête sonore. Le Super-Président, Hiss, Cinquas, l’Artiste, et tous les autres sont aspirés dans un flux magnétique. Chacun d’eux se perçoit à la fois comme une individualité et comme une partie du tout. Les dimensions se superposent : le futur, le passé, l’imaginaire et le réel se confondent, se réfractent à travers les fragments de miroir qui tournent frénétiquement autour de la boule à facette.
Le vortex sonore
Au centre de la salle, la boule à facette atteint une vitesse impossible. Chaque fragment de miroir projette un monde, une idée, un fragment d’existence. Les reflets créent des motifs complexes, des spirales infinies qui dessinent des constellations mouvantes. Mais bientôt, ces fragments commencent à s’agréger, attirés par un point central.
Le Sound System, désormais totem cosmique, émet un chant abyssal. Il est noir et brillant, chaque pli émettant une lumière incandescente. Des motifs géométriques surgissent de ses flancs, des runes de sons gravées dans l’ébène. Au centre, un trou se forme, un vortex d’énergie pure.
Le Son devient la force motrice de cette spirale. Les basses grondent comme un cœur universel, les médiums sculptent des formes dans l’espace, et les aigus tracent des lignes lumineuses qui s’enroulent autour du vortex. Ce n’est plus seulement de la musique, c’est une symphonie totale, un événement sonore où chaque fréquence raconte une histoire.
L’Œil du cyclone
Le vortex s’ouvre lentement, révélant un œil gigantesque. Cet œil, né du trou noir au centre du totem, aspire tout : les personnages, les fragments de miroir, les mondes entiers. Les éclats de lumière dessinant l’iris vibrent à une vitesse inimaginable. Des millions de formes naissent et meurent dans cet iris, chacune une vie, une idée, un univers entier condensé dans un point unique.
un dragon apparait autour de la sphère noire comme un anneau de saturne qui glisse majestueusement en ondullant la tête comme un chaman en trance.
Quand il finit le tours complet, là il plonge dans l’œil en une onde de choc qui traverse la CoChlée, un éclatement de couleurs et de sons. Tout bascule.
une flèche droite perce le coeur de l’orbite dans une ultime explosion laissant la trace comme d’un rond de fumée au centre duquel le vide dessine la silhouette d’un crâne humain, jusqu’à progressivement s’entouré d’un cadre magnifiquement sculpté.
C’est le miroir enfin recomposé que tu vois
L’OGRE ET LA FEE
Chapitre 55 : Un Nouveau Jour
Dans un ciel éclatant, où le miroir désormais parfait flotte majestueusement, la lumière joue sur sa surface comme une danse infinie.
À ses pieds, la petite fée vibre d’excitation. Elle tournoie autour de l’ogre de pierre, son énergie débordante illuminant les détails du marais et les ronces qui le recouvraient.
« Tu vois, on l’a fait ! le miroir est complet» s’écrie-t-elle, sa voix cristalline résonnant comme un carillon. Elle virevolte, effleurant l’ogre, le motivant à repartir pour une nouvelle aventure. L’ogre de pierre, imposant et massif, fixe le miroir avec une lueur de compréhension et de détermination.
« Allez, grand balourd ! Il est temps d’y aller », continue la fée, s’agrippant sur sa tête dans un élan joyeux.
« Tu ressens ce souffle, léger comme un battement inconnu?
C’est la graine plantée dans le Lecteur. Personne ne la décrit, mais on en devine la présence grandissante, en lui. »
On les voit parfaitement centré dans ce miroir figé L’ogre sourit, son expression d’habitude impassible, maintenant marquée par une fierté douce.
La fée éclate de rire en tournoyant encore, sa lumière et sa joie se mêlant aux mouvements amples de l’ogre. Ensemble, ils avancent vers le miroir, qui scintille comme un lac d’eau verticale. L’ogre, d’un pas lent mais assuré, franchit la surface du miroir en levant ses bras massifs avec énergie, ses mouvements empreints de puissance et de satisfaction. Ses mains décrivent un arc gracieux, suivant la courbe du miroir , ornant l’air de l’éclat du potentiel.. La lumière se plie autour de lui, et, dans son geste final, la trace de ses bras forme un cœur parfait qui s’imprime sur le miroir avant de s’effacer progressivement.
À travers le miroir, les silhouettes de l’ogre et de la fée disparaissent, mais leur image demeure un instant, figée dans le reflet. Dans ce cœur laissé derrière eux, un spectateur devenu acteur de l’histoire.
Le miroir brille une dernière fois, entouré par son cadre subtil évoquant l’amour.
Cet ornement simple et élégant qui rend hommage à la vie.